L’entente est au diseur. Vous dites :
C’est lui qui sait le moins le fond
De ce qu’il dit. Muse érudite,
Occupez-vous de vos chiffons !
J’en aurai dit de ma cabane,
De mon moulin, de mon donjon,
De mon rafiot couvert de bannes,
De ma haute tour aux pigeons…
J’en aurai dit tout d’une tire
En revenant à mes moutons,
A mes mirobolants martyres,
A ma forteresse, à tâtons.
J’en aurai dit par échappées
De mes friches, de mes labours,
De mes marches, de mes lippées,
De mes villes, de mes faubourgs…
J’ai dit tout ce qui m’émerveille,
Tout ce qui me mène à mentir,
J’ai dit les lubies de mes veilles,
Ma peur de rester, de partir.
Dirai-je toutes mes cocagnes,
Mes soûleries, mes balthazars,
Ce que j’engoule avec mes cagnes,
Mes destins, mes sorts, mes hasards ?
J’ai dit, de la bonne manière,
Mes soucis, mes joyeusetés ;
J’ai dit, du fond de ma tanière,
Ce que je crois avoir été.
J’ai dit tout ce qui me tracasse,
Tous mes chagrins dans des chansons,
Tout ce qui passe, lasse, casse.
J’aurai tout dit à ma façon.
Ai-je dit tout ce qui m’emballe,
Tout ce qui me met hors de moi,
Dit, à tous ces rimeurs de balle,
Mes doux, mes doucereux émois ?
J’ai dit tout ce qui m’estomaque,
J’ai dit ce sang d’encre exsudé
Sous mon armure d’hoplomaque.
A vous le crachoir et le dé !
J’ai dit tout ce qui m’ensorcelle
Et m’esprite ni plus ni moins.
Le vieux tourneur de manivelle
De mon quartier en est témoin.
Il m’en a fallu des volumes
Pour mettre mon domaine à nu,
Des tourbillons, des tours de plume
Pour me narrer par le menu.
J’ai dit tout ce qui me chicane
-Ce sont souvent de petits riens-,
J’ai dit presque tous mes arcanes
Pour le plaisir des grammairiens.
J’ai dit tout ce qui me torture,
Tout ce qui me met sens dessus
Dessous, tout ce qui m’aventure,
Tout ce qui passe inaperçu.
J’ai dit tout ce que je pardonne,
Ce que je trimbale au tombeau,
Ce que j’enfouis, ce que je donne,
Ce que je ponds de bon, de beau.
J’aurai tout dit sur mes rencontres,
Sur mes canevas à broder,
Tout sur mes pour, tout sur mes contre,
Sur mes désirs de procéder…
J’aurai dit tout ce que j’endure :
Les soifs, les faims, les chauds, les froids,
Les mortes-saisons qui me durent
Sur des routes de cris, de croix.
J’ai dit mes troublantes escales
-docks, culs-de-sac, turnes, bouis-bouis-,
Mes traversées à fond de cale
Dans le tapage et le cambouis.