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Revue en lignevendredi 29 mars 2024 |
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Revue d'art et de littérature, musique
Directeur: Patrick CINTAS
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Sommaire
Numéro coordonné
par Valérie CONSTANTIN PREMIERE PARTIE:
FEMME(S)
& CRÉATIVITÉ I Corollaire:
Patrick CINTAS
Le personnage incréé Gender studies, un autre moi qui écris, James Joyce, Marcel Proust, Gertrude Stein, Djuna Barnes...
FEMME(S)
Valérie CONSTANTIN
& Marta CYWINSKA Frida KAHLO Estoy sola. Espero alegre la salida - y espero no volver jamás.
María Eugenia CASEIRO
Poésie & Graphisme Valérie CONSTANTIN Galerie Marta CYWINSKA Trop femme - Poésie Habiba DJANINE Poésie Rodica DRAGHINCESCU Poésie Kathy FERRÉ Poésie Ela GRZYBEK Galerie Françoise HUPPERTZ Poésie Daniela HUREZANU Trois fables: Elfriede JELINEK Conférence Nobel Ewa KOZLOVSKA Poésie María José PALMA El Libro de las Apariciones extractos Denise PELLETIER Galerie Marie SAGAIE-DOUVE Essai Stéphanie SAUTENET Galerie & Poésie Carmen VASCONES Poésie Béatrice VIAL-COLLET Galerie
Parviz ABOLGASSEMI
Poésie Patrick CINTAS Théâtre Benoît PIVERT Essai
DEUXIEME PARTIE:
COLLECTIONS
Que sont les collections? Ouvrir la fenêtre
ESPACES
D'AUTEURS Que sont les espaces d'auteurs? Ouvrir la fenêtre Chronique du péristyle
La scène de l'exclusionSerge MEITINGER Les événements qui, en novembre, ont mis le feu aux banlieues de nos grandes cités sont sujets à interprétation.
Une certaine déclarationIl y eut donc un moment 89 où les circonstances, les hommes et une forme singulièrement vivace de la raison entrèrent en osmose pour accoucher de ce miracle qui fait encore parler de lui car il est toujours vivant : la «Déclaration des droits de l'homme et du citoyen»...
Línea de sombra
El Desierto está creciendoOscar PORTELA Los que no entiendan sobre lo que reposa la política con mayuscula, no entenderan cual es el acto por el cual se funda la polis.
Le zinc
Le zinc est le parlement du peuple:Robert VITTON La concierge
Trois ans... Trois ans en mai. J'avais mon brin de muguet, mon bouquet de lilas, mon orchidée... Eve chérie par-ci, Eve chérie par-là. La dame de mauvaise vie
Au clair de la lune, mon ami Pierrot, prête-moi ton plume pour dormir un peu. A quoi ça rime? Le parfumeur
L'argent n'a pas d'odeur, mais ceux qui le suent en ont une. La classe laborieuse pue. Le fossoyeur
Un mort. Les grandes eaux... Les fontaines de Versailles. Des visites quotidiennes... La Toussaint... Et puis plus personne. Le revenant
Tiens, voilà le revenant! T'étais où? En pleine Renaissance!
ANTHOLOGIES
Que sont les anthologies? Ouvrir la fenêtre Rodica Draghincescu propose:
Jean-François AGOSTINI Romulus Patru BENA Nicole CAGE-FLORENTINY Claude DARBELLAY Christine DUPOUY Sandrine ROTIL-TIEFENBACH Robert SERBAN Traian Pop TRAIAN |
ÉDITO
FEMME(S) & CRÉATIVITÉ I
Valérie CONSTANTIN - Femme Aquarelle sur Ingres - 65cm x 50 cm Voir la galerie de Valérie CONSTANTIN dans la RAL,M
Féminité et créativité : créer ou ne pas être par Daniela HUREZANU Dans l’imaginaire occidental, le pouvoir de créer a une histoire ambivalente : d’un côté, il est associé à la Genèse, étant par conséquent une qualité de l’homme, lui seul Créateur ; de l’autre côté, il est lié à la germination et à l’enfantement, étant donc inséparable du féminin. Cette ambivalence est amplifiée par d’autres images qu’on associe avec la création, telle la plume, image de l’instrument ou de la technique qui englobe des connotations de la masculinité. Cette vision de la création comme force masculine peut se retrouver chez beaucoup d’écrivains (hommes) pour lesquels créer veut dire agir, transformer, bref, une vision où la création est du côté de l’actif. Rien d’étonnant à cela, car on le sait, selon les dichotomies usuelles, masculin=actif, féminin=passif. Il y a cependant des écrivains-peut-être moins nombreux que les premiers, mais au moins aussi importants-qui voient le pouvoir de créer du côté de la passivité et donc du féminin. La dictée automatique des surréalistes est en quelque sorte une réaction contre une vision « masculine » de la littérature (et de l’art en général)-expression d’une force qui agit et contrôle, triomphe de la raison solaire contre la nuit de l’irrationnel. Aujourd’hui, dans un monde qui confond création et production, où produire un livre chaque année (contrat oblige !) semble être le signe suprême de la valeur d’un écrivain, être vraiment créateur signifie peut-être justement le contraire : refuser de produire. Ce n’est pas par hasard que tant d’artistes de la modernité sont « improductifs » : alcooliques, marginaux, souvent sans emploi, grands fumeurs, brefs, d’intraitables paresseux, « producteurs » seulement des excès que la société bien-pensante se sent obligée de corriger. Pour ces « improductifs » créer n’est pas une force agissante-mythe du progrès et hommage à la virilité-mais, au contraire, c’est l’ouverture passive de l’être vers quelque chose qui le dépasse. Lorsqu’on crée, une main écrit et l’autre efface, et la main qui efface est plus créatrice que celle qui écrit. S’il y a quelque chose qui résiste aujourd’hui à la production, c’est la création. S’il y a quelque chose qui résiste encore à la barbarie du langage bureaucratique et de la « pensée » administrative, cette organisation « ergonomique » de l’esprit, c’est l’esprit créateur. Je ne connais pas de meilleur exemple de cette résistance que celui de Marina Tsvétaeva. En 1918, une année après la Révolution bolchevique, seule avec deux petites filles, sans famille, sans amis, le mari à la guerre, Tsvétaeva ne survit que grâce au secours des voisins qui lui donnent de temps en temps quelques patates ou un peu de soupe. Compte tenu des circonstances, l’on croirait que lorsqu’elle réussit à trouver un emploi, elle fera tout pour le garder, car sa vie et celle de ses filles en dépend. Mais non, après moins de six mois elle donne sa démission. D’ailleurs, quand elle avait accepté le poste, elle l’avait fait non pas parce qu’elle était affamée, mais parce que le bâtiment où elle devait travailler était la maison de Rostov de La Guerre et la paix de Tolstoï. Le récit de ces cinq mois de travail fait par Tsvétaeva dans son journal de Moscou est sans doute l’un des récits les plus comiques de la littérature universelle sur la bureaucratie. La tâche de Tsvétaeva était de copier des articles de journaux et de « dresser des listes » pour le Commissariat des Nationalités. Les différentes « nationalités » sont représentées par des Estoniens, des Lituaniens, des Finlandais, des Moldaves, des Musulmans, des Juifs, des Polonais, chacun à un bureau, chacun plus grotesque que l’autre. Tsvétaeva fait le portrait impitoyable de chaque « nationalité », portrait dont le point culminant est le « bureau Oriental » où « l’une des femmes a un nez mais pas de menton, et l’autre a un menton mais pas de nez. (Qui est Abkhazia et qui est Azerbaijan ?) » (47-ma traduction). Mais ce récit contient également une puissante description de la vie en Russie immédiatement après la Révolution bolchevique. Ce fut une grande victoire pour Tsvéteva que d’apporter un jour chez elle plusieurs kilos de pommes de terre qui avaient été initialement congelées, ensuite dégelées et qui étaient maintenant pourries. Pour faire le feu elle doit sacrifier souvent des meubles et même la balustrade en bois. Et pourtant, elle parle de joie : de la joie d’écrire et d’être avec ses enfants ; et de la vie de l’âme qui naît de ses écrits et de ceux de sa fille Alya. Cet épisode de la vie de Tsvétaeva nous explique indirectement quelle est la spécificité de l’esprit d’un grand poète-indirectement, parce qu’on ne nous dit pas en quoi consiste le pouvoir de créer ; ce qu’on nous dit c’est ce qu’un grand créateur est incapable de faire. Tsvétaeva est incapable de faire des classifications, des sections et des sous-sections ; son esprit ne peut comprendre les formules mécaniques répétitives ; elle est l’anti-bureaucrate et l’anti-statisticien par excellence. Cette femme, qui est l’un des poètes les plus grands du 20e siècle, est complètement incapable, mentalement et biologiquement incapable, d’accomplir une tâche que n’importe quel idiot pourrait faire. Et bien que démissionner soit l’équivalent d’un suicide, Tsvétaeva n’hésite pas à le faire : J’ai donné ma démission. Je l’ai fait parce que je ne peux faire du classement. J’ai essayé, j’ai tout essayé-rien. Je ne comprends pas ce qu’ils veulent de moi : « Classez, comparez, fichez . . . Dans chaque section-une sous-section. » Comme s’ils l’avaient appris par coeur. J’ai demandé à tout le monde : du directeur du département jusqu’au garçon qui apporte les messages. « C’est très simple. » Et le problème est que personne ne me croit. Ils rient. (70-ma traduction)
Il vaut la peine qu’on s’arrête un peu sur la décision de Tsvétaeva de démissionner. D’un point de vue pratique c’est une décision insensée, d’autant plus que ses employeurs n’étaient pas particulièrement intéressés à sa « performance », comme l’on dit aujourd’hui. Dans le Commissariat des Nationalités l’adage communiste « Nous feignons de travailler et ils feignent de nous payer » était tout aussi vrai que dans n’importe quelle autre entreprise communiste (même si nous ne sommes qu’en 1918). Et pourtant, cette mère de deux petits enfants préfère affronter la famine que continuer d’y travailler. Cette anecdote est révélatrice parce qu’elle indique la puissance de l’instinct créateur de Tsvétaeva, sa primauté par rapport à nos instincts les plus élémentaires, tels l’instinct de conservation et l’instinct maternel. On ne peut parler dans son cas tout simplement de « talent », voire de « don », car il s’agit d’un être pour lequel tout est subordonné à la source d’où jaillit la création. Si la poésie avait un visage, ce serait celui de Tsvétaeva.
Ouvrage cité Tsvétaeva, Marina. Earthly Signs. Moscow Diaries, 1917-1922. New Heaven & London, Yale University Press, 2002. Marina Tsvétaeva : sur le site d’Huguette BERTRAND Autre site : |