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Le fossoyeur
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 Article publié le 29 décembre 2005.

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" Un mort. Les grandes eaux... Les fontaines de Versailles. Des visites quotidiennes... La Toussaint... Et puis plus personne. Alors je défleuris Oreste pour fleurir Pilade. Si les morts sont pas égaux, où on va ? Je pousse la chansonnette, je leur lis les journaux, je leur pose des questions... Ma Rose, elle, elle fricasse. Encore un rata qui bout, qui mijote, qui frissonne ou qui grille, qui met l’estome aux abois. Avec nous, ils sont pas malheureux, les trépassés. Nous en aurons pas autant dans notre sarcophage auvergnat. Tout gosse, je savais que j’aurais le coeur de Rose, la fille des fleuristes. Nos rombiers trinquaient. Nous avons le même archiatre et le même pharmacopole ! Et un cadavre ! Et de deux ! De solide constitution, les compères ! Untel a bloqué son compteur ! Untel ? Guillaume ? Encore un qui suivra pas notre fourgon ! Croix de bois, croix de fer, si tu mens t’iras en enfer. Les stèles, les cippes, les mastabas, les feux follets, les chats noirs, les Ci-gît, les Ravi à l’affection des siens, les A notre bien-aimé, les portraits, les fleurons de céramique, les couronnes, les marbres, les grilles, les angelots, les arrosoirs... Voilà notre royaume. Le papa est mécanicien, le fils aura le bec dans l’huile. Le papa est bourreau, le fils tranchera dans le vif du sujet. Le papa est fossoyeur, le fils enfouira. Mon père m’a laissé sa pelle et sa pioche. C’est des vivants qu’il faut avoir les foies. Les morts, eux, mordent pas. De toutes façon, ils ont tort. Crache dans tes arguemines, le manche sera plus doux. N’attends pas de postillonner blanc pour t’arroser l’avaloir, pour te laver la dalle. Pelle et pioche. Ces outils-là ensevelissent la comprenette, l’anatomie et l’âme. Mon âme, elle est aux orties. Les macchabées, aujourd’hui, préfèrent se faire l’adja en fumée. C’est plus propre, qu’ils se persuadent. Ni vu ni connu, je te pulvérise. Un creux dans la muraille. Un nid de colombe. Tu peux emporter le cendrier. Tu te disperses ? Pas de frais d’emballage, pas d’entretien... Les malins, ils peuvent plus le regretter. C’est triste les cendres. Dans peu on nous alignera par ordre alphabétique et par catégorie. Ma Rose, elle, elle est dans son tailleur de sapin. En Auvergne avec toute sa parenté. Pour moi, elle est là. On s’esbignera enlacés dans les ténèbres, dans nos auverpinches, les godasses de chez nous. On se l’est promis. Trente ans dans les mêmes trous. Une vie de taupe. Tu seras jamais sur le séant, fiston. Jamais la pelle au troufignon. Ce métier se perd pas. Les légataires sont à nos pompes. La Mort avec sa faux nous retient pas pour nos graines. Un jorne ou l’autre, on a tous notre contremarque pour Pantin, pour Montparnasse, pour Bagneux, pour un quelconque champ de navets. Pauvre bibard, on lui aurait acheté sa charpente et son tempérament. Ma mater, frêle, brimbalante, a vécu quinze ans de plus. Comme quoi. Tu mens comme une épitaphe ! Demain on a un bel enterrement, vous vous tiendrez à l’écart, sinon pas de marionnettes. Si tu ramènes des bons points de l’école, tu pourras choisir le Père-Lachaise. On connaît plus de morts qu’on croît. Ils nous apprennent à vivre. Les voix parfois reviennent. Les voix... On en réchappera pas, c’est tout ce qu’on peut affirmer. Après... L’enfer, le paradis... Un calice de lacryma-christi. Passe-moi le gaz moutarde, je te passe le missel ! Mascarades ! Tous dans le même sépulcre. Tous complices. De la poussière, on est que de la poussière. La poussière des ministères... Ils empêchent la terre de tourner rond, les bondieusards de tous poils ! Avec ou sans Galilée ! T’as de ça, t’auras le faste et toute la rocambole. T’as les baguenaudes retournées, t’auras quatre gouttes d’eau bénite et le nase cassé à coups d’encensoir. La sortie c’est par-là. Et mon De profundis ? Du grand guignol ! J’ai assisté, malgré moi, au baptême d’une cloche. Deux ans plus tard, le clocher s’est effondré. Tout de même un prodige, le sonneur était aux champs. Avec le préfet, peut-être ! Quelle scie d’aller à la messe. Mêmes sermons, mêmes décors, mêmes anecdotes... Petit saint, petite chandelle ! Tu parles, Charles, de la justice. Saint breneux, chandelle de merde ! On souffre, le Sauveur, ses barbouzes et ses casse-burettes jubilent. C’est ma faute, c’est ma faute... Ma faute ! Moi, je les soigne mes refroidis. Non, pas un terme sur ce carnaval ! Vous avez remarqué, comme fait exprès, le prêchi-prêcha tombe toujours à l’heure de l’apéritif. On est obligé de respecter les vœux des défunts. Me causez pas de la Divinité, ni de ses sbires, ni de ses proches. L’eau en vin ? Les cruches y croient ! La manne, pas à nous... Une rondelle de froment dans le cornet... Le robin, il boit à la tienne. L’doux Jésus dit à ses apôtres/Si t’as pas d’femm’ prends cell’ des autres. Je bredouillerai pas un pater noster, ni un ave Maria, même par reconnaissance de l’œsophage pour des saint-émilion, ni pour les seins, ni pour le fondement de la vendangeuse. Je ne m’agenouillerai pas devant la dive goulotte. Il faut saluer la vieillesse du pinard, surtout quand on prend de la boutanche. Je renverse plutôt que je bois ! Mets de l’eau dans le verre des autres. L’humour de mon paternel... Le mec des mecs donne le froid selon la robe. C’est son boulot. Il notait les bons mots dans un calepin. Quand nous étions invités, quand nous recevions, la veille il feuilletait son pense-bête pour ne pas être en reste. Les bourgeoises, bouchez-vous les oreilles, j’en ai une qu’est pas catholique. Le fleuriste, le dabe de Rose, rajoutait ses touches. Les daronnes nous ont une fois de plus régalé la panse. J’espère que nous aurons pas à faire à des ingrates dans la halle aux draps. Pasquinades ! Pantalonnades !. Au goûter, mon père trempait des biscuits dans du vin chaud. Je fais trempette. Les sablés, c’est pas du luxe, mais ça fortifie ! Trois momis, trois mominettes ? Je suis sur mon cinquante et un. C’était l’hiver, la queue de l’hiver... La ronde de nuit... Près de la chapelle, sur un banc, une grimbiche pétrifiée... La trouille et le gel. Prenez mon bras. Je l’ai reconduite jusqu’au portillon. Subitement... J’ai eu peur... Le noir, les tombeaux, la bise... J’étais complètement paralysée. Comment vous remercier, cher monsieur ? Ne me remerciez pas, demoiselle... Moi aussi j’avais la pétoche quand j’étais vivant. Palabrer, ça dessèche le lampas. Alors on l’humecte. Quand je demandais une bière, ça pouffait dans mon dos. Une moussante sans faux col, Achille. Là, c’était de la moquerie. Une fois, deux fois... Pour les bluettes, les saillies, les traits je tire de mon vioc, mais là... Chaque âge a ses déplaisirs. Un jour on a plus d’âge, on sort de la farandole. Son Eminence grise me tinte. Il pleut. Saint Pissard nous rafraîchit à l’œil. Tournanche générale pour les escargots et les grenouilles ! Au huitième étage où les étoiles se reposent, au firmament les archanges tambourinent. Plus de foin que de hallebardes. La Mort entrerait que je bougerais pas le petit doigt. Madame, vous êtes sur votre trente et un ? Je noie ma déraison au fond du guindal et je suis à vous. Dites-moi, Madame, est-ce que les allongés reviennent ? Dites, parfois ils reviennent ? Je gamberge... J’ai personne de mon sang... J’ai vécu sur des dépouilles. Ma Rose est en Auvergne. Pour toujours. Elle m’appelle. Dites, Madame, les morts... Les morts, Madame, parfois ils reviennent ? "

 

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