Fut un temps où j’ignorais jusqu’aux limbes, cet enfer mou et humide, cette nausée faite paysage, ce marécage noirâtre immergé dans la mêlée des âmes esseulées, ce brouillard flasque et froid dans lequel évoluent des semblants de figures glauques et visqueuses, corps réduits à l’impuissance d’yeux qui voient que rien ne s’offre à voir que la nuit nue.
Impossible nudité de la nuit, anti-dévoilement. L’habiller, cette nuit, dans une hâte propice à toutes les nonchalances.
Le noir de l’âme, la pâleur cireuse des corps, c’est tout un dans ce hors temps qui lévite dans les basses terres de la vie arrêtée-figée.
Parfaite cécité de qui, se sachant dans le noir, s’empare de ce dernier, s’affole, étouffe, suffoque, perd haleine, se débat avec l’ombre de lui-même, confondante obscurité, se bat dans la nuit avec la nuit, négligeant ce jour en lui qu’il ajourne sans coup férir.
Le frêle feu-follet alors est le seul recours dans ces terres désolées où l’humide et le gluant le disputent aux ombres et aux sombres pestilences.
Une âme se plaît à danser pour quelques instants.
Il ne faut pas la souffler.
Ne pas tenter d’en saisir le secret affolé, refaire en sens inverse le long chemin stérile qui l’a vu naître et presque aussitôt mourir.
Epouser la flammèche bleue sur l’autel du levant.
Eclipse de mots, vague peur des vagues.
S’étourdir d’écume blanche. Se jeter à l’eau et bondir enfin dans la vague saline.
La flamme bleutée surgit, aussitôt se tord, chandelle ivre d’air, puis s’évanouit. Pareille au bleu des vagues qui écument.
A nous d’en goûter le mystère parlant sans en éventer l’énigme blanche.
Noir sur blanc.
Noir sur blanc, l’encre vive des jours.

Jean-Michel Guyot
25 février 2014