La demeure de cristal
De ces poèmes que tu portes en toi, il t’arrive de retenir le souffle, pour reprendre ta respiration, ce que tu vis, pour ainsi dire, t’empêchant de respirer.
La respiration poétique cède alors la place à la pause pure et simple, où, l’esprit vide, tu cherches à y voir clair dans des pensées mortelles qui ne viennent pas de toi…
Etrange sensation où tu te sens presque absent à toi-même, mais plein de pensées qui te viennent de ton entourage, de ton environnement. Tu te vois momentanément contraint de faire silence en toi pour écouter ces pensées mauvaises, afin de les neutraliser par l’analyse rigoureuse, la patience critique.
Tu deviens alors extraordinairement combatif, tu sors les griffes de ta logique impeccable. Une envie de te battre te soulève, et puis tu retombes en toi-même, tu laisses la bêtise à sa bêtise, tu te persuades qu’on ne discute pas avec les imbéciles mâles ou femelles qui t’importunent. Tu t’éloignes, tu ne fuis pas. S’il faut parler, tu le fais vigoureusement, fermement, ta voix ne tremble pas, elle devient impérieuse, et même rieuse parfois, car il t’arrive d’avoir envie de rire, quand tu entends des inepties dirigées contre toi.
Ta vie te l’a amplement prouvé : bien s’entourer est décisif, c’est pour cette raison que tu dresses des poèmes entre toi et les importuns. Tu t’entoures de poèmes. Tu remâches la beauté sereine ou crispée qui te vient du monde autant que de toi, mais à certaines heures cela ne suffit pas : il te faut agir.
Tu le sais aussi : réagir est une faiblesse, agir une force.
Tu laisses alors aller ta force là où elle te mène, avec pour seule arme ta logique et pour unique allié ton bon sens. Tu n’as pas d’armure, tu n’es pas non plus muré en toi-même, au contraire tu es la porosité même, depuis ta plus tendre enfance. Tu éprouves continûment le continuum humain, tu sais que la séparation, le vide, sont fondateurs de toute communication véritable, alors tu enrages contre ceux ou celles qui rêvent de communauté fusionnelle, contre ceux et celles qui s’approchent de toi pour te demander de faire ceci ou cela, afin d’avoir ultérieurement la piètre satisfaction de critiquer ton action, de ces pervers qui s’approchent de toi pour mieux te rejeter, en te donnant à comprendre que tu ne " fais pas l’affaire ", que tu es incapable de satisfaire leurs désirs. Leur perversité est bien là : ils te demandent d’agir en leur faveur pour ensuite te déclarer que tu es en fait incapable d’agir dans leur sens… De ceux-là, particulièrement, tu te détournes résolument, tu les laisses à leur hystérie.
Tu es loin de la poésie alors, oui, bien loin, mais dans le même temps tu sais que combattre les empêcheurs d’écrire est vital, car la tyrannie commence tout en bas, avant de se répandre jusqu’au sommet de l’état parfois…
" Qui vit bassement pense bassement."
Tu remâches cette pensée de Nietzsche, tu la dégustes. Tu agis pour œuvrer, et oeuvrant, tu as le sentiment fort d’agir en vue du bien, le tien propre aussi bien que celui des autres, à qui tu veux faire don de toi, à qui tu veux communiquer encore et toujours, pour peu qu’ils soient dignes de ta confiance, ta joie de vivre, ta soif d’images assoiffantes, ton élan, ton allant, cette espèce de grâce qui te saisit aux heures favorables… Tu es alors pour quelques heures poème tout entier, et de ce poème tu ne rêves pas de faire une demeure de cristal haut perchée, inaccessible, mais bien au contraire cessible, offerte à qui veut bien y demeurer en ta compagnie lointaine.
L’amour, alors, fête ses retrouvailles avec la liberté charnelle, la continuelle liberté interrompue par les ennemis de la liberté que tu fustiges, éloignes ou négliges souverainement.
Oui, tu te fais amour irradiant, dépense solaire et appel à la dépense dans l’univers vide de dieux, et tu n’attends plus qu’une chose : la libre advenue à soi de qui tu aimes, à qui tu peux alors dire : " Viens, mon amour ! Je t’attendais depuis si longtemps ! "
[...]
à paraître bientôt chez Le
chasseur abstrait