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![]() oOo « L’écriture ne saurait retenir un visage, comme le font les mains. Et nous voudrions nous en consoler avec des mots ! » Richard Millet, Le sentiment de la langue. Écrire, dans la plus grande insouciance d’écrire, avec au cœur le seul souci d’écrire… Mouvement pas si étrange que cela, quand on y songe : penser part de là : rien à dire, le mutisme du monde qui appelle, corrobore, suscite tous les mimétismes, tous les renoncements… Écrire alors, écrire pour dire non au monde tel qu’il est, tout en disant oui à la vie, un oui qui résonne au fond de chaque phrase qui creuse les raisons de dire non au monde tel qu’il est. Puissance de l’affirmation : l’affirmation, le risque majeur, la tentation de la chance tentée, voulue, jouée. L’affirmation de la chance dans l’espace de laquelle la chance jouée ne se joue jamais de nous : souveraineté du jeu dans l’acceptation effrénée de la chance comme mise en jeu de l’existence à travers l’écriture propritiatoire. L’écriture prépare le terrain de la chance de vivre, étant chance elle-même, espace ouvert sur le possible qui advient par l’écriture d’abord, possible qui n’advient pleinement que lorsque l’on a surmonté le dégoût de vivre que nous inspire le monde dans lequel nous vivons jour après jour. Écrire alors, toujours écrire avec une seule idée en tête : vivre l’écriture qui fait vivre. Ce n’est pas trop demander à l’existence que de réaliser la chance qu’elle nous offre : la pleine réalisation d’un talent qui se connaît et se fait connaître dans l’acte fort d’écrire : laisser une trace de son passage dans le monde des hommes en disant non à l’indifférence – aux autres, à soi, à la vie qui nous lie les uns aux autres – pour dire oui, toujours, à la différence, à l’affirmation heureuse de la singularité des êtres aimés. L’écriture est inséparable de l’amour d’écrire qui donne à vivre que c’est l’amour qui cherche à se réaliser ici et maintenant à travers l’écriture qui se cherche dans l’amour. Les mots de l’amour, l’amour des mots, c’est même chose, deux fois… À la fin, mais c’est sans fin, c’est l’amour qui a le dernier mot dans l’acte d’écrire : impossibilité du mutisme, appel des profondeurs qui dit : seule la vie importe dans l’amour réalisé. Alors oui : tenir ton visage dans mes mains est tout ce qui m’importe, mon amour, et écrire a cette vertu qui le dit sans fard, lourd fardeau pour moi qui suis privé de ton visage. Ce fardeau allège, me donne des ailes pour venir à toi à travers l’écriture et nos causeries : entre nous, des mots toujours, dits ou écrits, pour te dire : un jour verra la présence de ton visage, un jour tu verras mon visage s’illuminer du bonheur de te serrer dans mes bras. Il y a plus : l’écriture s’effacera – pour revenir en force, car elle est amour de l’amour – devant ton visage qui ne me dévisagera pas, devant mon visage offert à tes baisers tendres ou fougueux. La bouche, ce lieu de tous les sens fondus en un seul : sensation et signification mêlées, signification qui n’existe que dans la sensation d’aimer : bouche à bouche qui réalise l’indicible, donne à vivre l’au-delà des mots dans l’intimité heureuse de nos deux corps portés l’un vers l’autre par l’amour des mots. |
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