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La suçarelle
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 Article publié le 14 février 2009.

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J’ai mon Aurillac, pourvu qu’il pleuve. Tu te vois toute une sainte journée, sans une perle d’eau, un pébroc accroché à ton bras ? Tu n’as plus qu’à l’avaler, ton pépin ! Coquin de sort !

Sur la muraille grise, la pluie hachure les passants. Garçon, un bock ! Blonde ou brune ? Rousse. J’ai mon stylogriffe Waterman, mon crayon Hard-Bold, ma gomme blanche, mon estompe. Tous ces carnets !

Demain, la marmaille, si le cœur vous en dit, nous irons récolter des escargots. J’en étais malade. Le jeûne de plusieurs jours en cage sur des branchettes de fenouil poudrées de farine, le rinçage et le brassage dans la bassine, le dégorgement dans l’eau vinaigrée et salée. La bave. Le purgatoire de ces patientes créatures. J’appelle tes cousins. Tu viens ! J’ai mes devoirs… Ma récitation à apprendre. A l’enterrement d’une feuille morte/Deux escargots s’en vont/Ils ont la coquille noire/Du crêpe autour des cornes/Ils s’en vont dans le soir/Un très beau soir d’automne…Tant pis pour toi ! Hélas quand ils arrivent/C’est déjà le printemps/Les feuilles qui étaient mortes/Sont toutes ressuscitées/Et les deux escargots/Sont très désappointés…

Saint Médard, grand pissard par devant l’Eternel. Par devant et par derrière ! Quarante jours plus tard, des trombes, à moins que saint Barnabé, passant par là, l’air de rien ne le rembraille, ne le reboutonne, ne lui botte le dargif ou ne lui casse le tarbouif à coups d’encensoir, bref, ne lui ferme le robinet. Ô saint Médard de Noyon, abreuve mes sillons, rafraîchis mes idées noires, asperge mes migraines, lave mes soupçons…

Les tomates du jardin… Il me reste une boîte de pulpe. Les carottes, l’oignon, j’ai… L’huile d’olive… La chapelure, j’en ferai. Tiens, prends une tresse d’ail avec le bouquet garni ! Du persil ! Prends le vin blanc… Du sec ! J’oublie quoi ? D’une fois à l’autre… Je prendrai la chair à saucisse, le petit salé… Je regarde le sel et le poivre… Du vinaigre ! Si tu y penses, prends des allumettes.

Robinson, sur ton île, j’emporte un parapluie. Un parapluie… Un mât, une voile, des baleines… Une robuste carcasse. J’emporte le calendrier de Fabre d’Eglantine, la pierre d’Achaz, mon Eustache Dubois… Mes carnets… A tête reposée, j’y relirai mes notes, mes fatrasies, mes raisonnements amphigouriques, mes fulgurances… Tu suces Tom Pouce ? Je vous carre votre tom-pouce dans le folklore… Et je l’ouvre ! Les frères Grimm regardent dormir Tom Pouce dans une coquille d’escargot. Des bris, des débris, des reliefs, des lambeaux… Qui aime bien, châtre bien. Des rogatons, des mines… Des mines d’or, de plomb, de charbon… Dans un premier temps, je suis pour ne pas vieillir… La peine des mines. Dans un second, pour ne pas mourir. Après trois ou quatre jours, les babillages des femmes, les bavardages des hôtes et les murmures des pluies, certes, me manqueront, mais… Les frangines, les aminches, la lansquine… Je ne laisserai que des regrets, j’ai le regret de vous le dire.

 

Il pleut il pleut des hallebardes

Le fer en haut le fer en bas

Il pleut des boulets de bombarde

Il pleut des cordes de guimbarde

Des fleurs de feu sur les combats

 

Douze apôtres à table… Cristi ! Douze coqs empâtés, empastissés qui n’ont jamais remué leurs vingt doigts… Si… Je mentirais. Si, les petits.. Ils se les fourrent dans les oreilles pour les écouter parler. Leurs index, eux, choisissent les gourmandises ou montrent la mauvaise direction à suivre. Les pouces... Les pouces, ils se les roulent. Et les orteils ? Deux superbes éventails ! Pour monter sur leurs ergots, ça… Des fanfaronnades dans les paroles ! Avec la langue, ils en font des miracles. Ne te fatigue pas les méninges, Madelon ! Plutôt, avant que nous prenions l’hélix par les cornes, sers-nous le boire qui aiguise l’appétit. Je choie une bande d’anchois. La gargoulette, les pichets, les carafes… Le pain du péché est coupé…

Mes carnets… Il pleut sur Sceaux et sur Marseille. Il pleut à seaux, Il pleut à seilles ! Il pleut sur Vienne, il pleut sur Vannes… Il pleut, il pleut tout ce qu’il peut. L’air est si doux, si sirupeux… J’ouvre les vannes. Il pleut, il pleut des javelines, des javelots, des boulets, des boulines… Il pleut des tonneaux en javelle. Il pleut des nouilles, des grenouilles… Monsieur Prévert, Il pleut sur Brest ! Sont-ce les restes de l’autre hiver ? Il pleut comme il n’a jamais plu, il pleut, il pleut de plus en plus. Sous la pluie, nous nous sommes plu. J’avais mon Cherbourg. Un piano… Quatre mains. Là-bas, on dirait Satie, trempé jusqu’aux os. Une soupe ! Erik ! C’est lui ? Costard velours gris et melon. J’ai dû oublier mon parapluie dans l’ascenseur. Mon parapluie doit être très inquiet de m’avoir perdu. Erik ! Erik !

Les sept félibres sous la tonnelle… Quel bon vent vous amène, Mestre Frederi ? Il arrive toujours le premier. Les autres le talonnent. Alphonse, le paysan, avec sa plume et sa charrue ; Anselme dans sa Farandole ; Joseph dans ses Pâquerettes ; Jean dans les dictons et les proverbes de son paradis terrestre ; Théodore avec son caractère d’imprimeur, avec son chagrin d’amour, avec son œuvre posthume ; Paul avec ses galéjades, avec la fantaisie de son langage. Je vous débarrasse des chapeaux ? Estelle, tu seras notre patronne ! Quand nous entrerons dans la ronde des fromages… Entre les tommes, la brousse, ce putain de Banon et la pompe à l’huile, tu nous montreras tes nichons en poire. Et puis… Que nos cris, que nos écrits laissent autant de traces que les cagouilles sur les promenades de l’Histoire ! Et puis, en levant leurs derniers verres pour la route, ils entonnent la chanson d’Anfos, d’Alphonse Les frissons de Mariette.

Prends ta gabardine et ta bâche, il tombe des gouttes. Je marche sous la pluie avec Emile Verhaeren… Longue comme des fils sans fin, la longue pluie/Interminablement, à travers le jour gris,/Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,/La longue pluie,/La pluie. Je pleure avec Verlaine… Il pleure dans mon cœur/Comme il pleut sur la ville ;/Quelle est cette langueur/Qui pénètre mon cœur ?/Ô bruit doux de la pluie/Par terre et sur les toits !/Pour un coeur qui s’ennuie,/Ô le chant de la pluie !/Il pleure sans raison/Dans ce coeur qui s’écoeure… Je chante sous la pluie… Il pleut, il pleut, bergère,/Presse tes blancs moutons,/Allons sous ma chaumière,/Bergère, vite allons./J’entends sous le feuillage/L’eau qui tombe à grand bruit,/Voici, venir l’orage,/Voici l’éclair qui luit… Je danse sous la pluie, je flic-flaque dans des flaques d’encre. Pyrrha et Deucalion sont dans une barque… Je prendrai l’autobus à Montparnasse. Il pleut des abbés, des abécédaires… Il pleut des abbés à bésicles, des abbés à bécane… C’est le déluge.

 

Paris Jour de pluie Caillebotte

Je rame rame dans les choux

Gustave j’en ai plein mes bottes

Plein mes bottes en caoutchouc

 

Surveille, j’ai une envie pressante. J’ai été longue, bout de chou ? Je les rince, je les égoutte, je les verse dans la sauce, les limaçons. Une grosse heure. Aide-moi. La nappe, les couverts… On aura assez de chaises ? Pour une fois que toute la famille est là. Pour la suçarelle, ils se damneraient. Arrête de renifler ! Au dessert, tu nous réciteras quelque chose. Est-ce que le temps est beau ?/Se demandait l’escargot/Car, pour moi, s’il faisait beau/C’est qu’il ferait vilain temps./J’aime qu’il tombe de l’eau,/Voilà mon tempérament./Combien de gens, et sans coquille,/N’aiment pas que le soleil brille./Il est caché ? Il reviendra !/L’escargot ? On le mangera. Tu vas chercher ça où ? C’est un poème de Robert Desnos. Il est mort pour la liberté, m’man ! Il avait des lunettes et un pyjama à raies. Les grandes serviettes blanches… On mange avec les doigts. On aspire le jus et la bestiole. Doucement, doucement, les morveux, doucement, n’allez pas vous estrangler.

Mes carnets… Je croque l’insolite, l’indicible, l’imperceptible, l’innommable… Je cueille des propos, des mots, des gestes… Je griffonne, j’ombre des décrêpages de chignon, des batailles de fleurs, des rixes, des faits et des méfaits… Le détail, le menu, le gros, le vrac… Narre ! Je narre mes doux martyres amoureux, mes déboires, mes songes creux… Ton blé ! Fauche-m’en un are ! Ambrogio ! Je me rapporte des points de vue, des opinions sur rue, des bagatelles des portes et des fenêtres… Je me raconte mes chauds, mes froids, mes soifs, mes faims, mes débuts, mes milieux, mes fins, mes aventures d’écrivain, de laissé-pour-compte. Je mime un marin du quai Malaquais, un marle frit du quartier Poissonnière à la marée septentrionale ; j’ébauche un égoutier au pont de l’Alma, un saute-ruisseau primesautier de la Contrescarpe, un tourneur de manivelle de la Cliche ; je silhouette un charretier des Halles, un coureur cycliste du Vel’ d’Hiv’, un mouisard de Notre-Dame ; j’épaissi un revendeur d’occasions, un aboyeur du Chat Noir, un pickpocket assermenté… Je suis Brahms, Zola, Ravaillac, le duc de Guise… Je me déguise. Les métiers, les sots métiers… Je me relate des voyages sur des chemins en rimes plates, trombone au dos, gourde à la ceinture, Corbière en poche, en cherche d’un eldorado. Je m’en souviens grosso modo. Je m’émerveille en changeant le fer-blanc en or, le vin en eau, le sud en nord. Dans mes veilles, je me tiens pour un ténor. Ambrogio Calepino ! Je m’énumère des villes, des villages, des lieux-dits… Le Bois du Fay ! Les Auvernes ! Evenos ! Marseille ! Argentan, Chaville, Marmande, Arles… Je vide de leurs d’habitants le Dublin de Swift Jonathan, le Messine où naquit Evhémère, l’Omans de Courbet… Ambroise Calepin !

L’homme, dit Jean Giraudoux, se tient debout sur ses pattes de derrière pour recevoir moins de pluie et pouvoir accrocher des médailles sur sa poitrine.

 

Ma muse m’a cousu des ailes

J’étais bigle tordu boiteux

Crois m’en pauvret jamais honteux

N’eut de si belles demoiselles

 

Je chante les fleurs hiémales

Les espiègles ondées d’avril

De mai les rosées baptismales

D’octobre les roux d’août les grils

 

Il pleut épis et épigrammes

Les petits vont encor pâtir

Pour les gros jouer les martyrs

Etre à la roue être à la rame

 

De l’or de l’argent et des loques

Je n’en ai non plus qu’il en pleut

Sur le trimard je soliloque

Qu’il fasse gris qu’il fasse bleu

 

Mes vers et mes proses rebelles

Abattent des pans et des pans

De vos pamphlets de vos libelles

Vieux jeux faux jetons sacripants

 

Robert VITTON, 2009

 

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