Le ramage de la Ral,m, tout comme son plumage, est des plus singuliers.

J’imagine un arbre de belle taille, aux riches frondaisons, qui arbore un majestueux houppier : voilà donc un arbre aux allures millénaires qui n’a que vingt-cinq ans. L’arbre et ses hôtes arboricoles se rendent service mutuellement, ils sont en symbiose, mais, dans cette perspective, il ne faut surtout pas oublier la symbiose des racines de l’arbre et du mycélium invisible à l’œil nu. La culture des uns et des autres ne s’y étale comme une épaisse couche de confiture trop sucrée posée sur une tartine abondamment beurrée… elle court entre les lignes qui sont autant de minuscules radicelles toutes reliées les unes aux autres par le désir et la nécessité de vivre ensemble.

Quelques oiseaux de belle taille se disputent ses branches les plus fourchus pour y nidifier en toute sécurité. Il y a là quelques loriots à la discrétion devenue légendaire, le jaune vif de leur plumage les signale immédiatement à notre attention. Le bleu du ciel y contraste merveilleusement avec le jaune vif de leur plumage. Une chouette chevêche y veille également. Voyez ! Quelques passereaux de passage ne s’y attardent que le temps de reprendre des forces. On cherche encore leur descendance.

Vingt-cinq ans, c’est fort jeune dans une vie d’homme ou de femme, c’est beaucoup pour une revue. Je serais bien incapable de m’en faire l’historien mais une chose frappe le lecteur, c’est la grande labilité de la rédaction qui s’est formée par agrégat, chaque rédacteur ayant été introduit dans le sérail par son rédacteur en chef ; au fil du temps, les défections -inexpliquées - paraissent nombreuses mais la revue poursuit sa route et elle tient la route.

Paradoxe intriguant : il s’y déploie des paroles parallèles toutes plus fortes les unes que les autres ; prises individuellement, elles conservent toute leur puissance, ne souffrent pas de la comparaison ; leur singularité bien assise ne tire pas avantage d’un effet de contraste : nous ne sommes pas dans une chaîne signifiante qui serait produite par un seul et même individu mais bien par plusieurs qui tiennent tous à leur indépendance. Chacun vaque à ses occupations.

En d’autres termes, les paroles en question ne forment pas un ensemble cohérent qui nous ferait dire que l’ensemble formé par cet apparent tout-fourre-tout est supérieur à la somme de ses parties. Il n’y règne pas une ligne idéologique clairement affirmée, même si des considérations sur notre monde et notre société s’y font entendre. Je parlerais volontiers d’anarchisme tranquille à haute valeur ajoutée, celle de l’exigence intellectuelle qui préside à toutes les publications qui ne donnent jamais dans la facilité journalistique.

Chacun veille au grain, à son propre grain et sème de petits cailloux blancs ou diversement colorés dans un seul et même but : perdre le lecteur dans le dédale des ses mots en ne lui proposant d’autre porte de sortie que celle de la patience : le lecteur est son propre fil d’Ariane, Thésée le taiseux est absent du tableau tout comme Dionysos qui a fui avec ses copains d’antique mémoire.

Reste l’inquiétant Minotaure qui ne sera pas tué, tout simplement parce qu’il est introuvable.

A l’image de l’arbre millénaire et dédalique, chêne de Dodone qui bruisse de paroles divines que de sages devins décryptent, se surajoute celle, plus « construite » du naos grec ou du temple romain. Est-ce à dire qu’un espace sacré s’y dessine ? A vrai dire, une claire limite sépare la Ral,m de revues concurrentes fort estimables. Il n’est pas lieu ici de dresser un tableau panoramique de l’activité revuiste en France et dans le monde : les revues vivent et meurent, certaines ont la vie dure, d’autres sont éphémères, toutes répondent à un besoin : diffuser le plus largement possible des singularités pensantes.

De ce point de vue, la Ral,m ne manque pas d’atouts !

Jean-Michel Guyot

8 septembre 2023