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 Article publié le 30 octobre 2022.

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Après la chasse

J’aime à me figurer que les premiers cris modulés-répétés devenus les mots premiers le furent de chasseuses et chasseurs habitués à communiquer par gestes au cours de leurs expéditions cynégétiques ; un silence chargé de signes digitaux lancés à distance devait présider à leur communication non-verbale, hommes et femmes ensemble chassant, dos courbés, évoluant en silence dans les hautes herbes, évitant soigneusement de se déplacer sous le vent afin de ne pas être subodorés par les bêtes pourchassées.

Au retour, il fallait qu’une joie longtemps comprimée éclatât avec force interjections et cris modulés projetés dans les airs, sorte de narration première de ce qui avait eu lieu sans le concours d’aucun mot de prime abord.

Un os devenue flûte résonne sous la voûte de calcaire. Une soupe gargouille par-dessus les pierres chauffées. Un récit peut commencer.

 

Au désert

Ecriture mercenaire, stipendiée, rémunératrice ou purement gratuite se partagent l’espace éditorial et la faveur du public.

Un forum déserté, une agora évanescente, des arènes dont le sable n’est plus foulé par quelque jeu que ce soit, voilà pour moi un triptyque attachant.

Si tout le possible devait advenir, selon le mot de Schelling, alors il se pourrait bien que tous et toutes criions et prêchions tôt ou tard dans un désert grandissant. Le nihilisme se porte mieux que jamais. 

La soif de vivre y sera la compagne des mauvais jours, la rage de survivre l’ultime recours, mais tout cela ne fait pas une culture.

 

Grandeur et puissance

L’idéologue, auto-entrepreneur ou stipendié, refait l’histoire en prenant ses désirs pour des réalités. Négationnisme, révisionnisme et trituration des faits historiques sont peut-être les trois degrés de l’ignominie en matière de pensée politique ; à cela s’ajouteraient les hagiographies de quelques « grands hommes », sauveurs de la patrie, grands conquérants ou salutaires planificateurs.

Grandeur et puissance, crainte et tremblements qui en résultent, voilà sans doute à peu près tout à quoi se résume une grande politique au service de laquelle se mettent journalistes et auteurs, idéologues patentés et hauts fonctionnaires.

La grandeur séduit les nains de jardin, la puissance gonfle la poitrine des médiocres et des faibles.

Le commun n’est vu et exploité que sous l’angle de la grandeur escomptée servie par de hauts desseins, une vision messianique de l’Histoire et pour ainsi dire adossée à des réalisations grandioses, une réorganisation en profondeur de la masse administrative et des forces armées, tandis que services secrets, polices parallèles voire milices en sous-mains et flics au grand jour veillent au grain.

Le grand homme piaffe d’impatience. Il lui faut sa guerre à lui, « fraîche et joyeuse », comme le disait ce gros niais de Guillaume II. Tout est enfin prêt pour le grand jour qui verra plus tard l’édification de son vivant de monuments à sa gloire qui jalonneront de belles et larges avenues baptisées à son nom.

 

Les histrions

Des émotions de substitution, fortes de préférence, un peu de sang et beaucoup de larmes, des drames en cascade, une vie sentimentale par procuration, l’opportunité perverse de voir une personnalité portée aux nues en tomber et expier la possibilité qui lui fut donnée par le Destin ou la Fortune - le capital génétique, le milieu familial, l’éducation et l’instruction reçues, les honneurs dû au rang, bref un salmigondis de mérites imaginaires et d’héritages bien réels ou, noblesse nouvelle, des origines modestes, le ruisseau, la misère - de se hisser vers des sommets d’excellence, d’élégance ou d’influence, élégance, excellence et influence étant les trois figures d’une hybris qui profite à tous et à toutes dans la stricte mesure où elle est transformée en spectacle par les médias.

Les réseaux sociaux permettent désormais à tout un chacun de se hisser « au sommet » de l’attention publique, ne serait-ce que quelques semaines ou quelques mois, avant la chute dans l’oubli, avant la dégringolade voire la déchéance et parfois même la mort prématurée au bout du chemin. 

Acteurs, musicos, sportifs, « people », journalistes, hommes d’affaire et têtes couronnées constituent la longue liste de ces Christ de pacotille qui alimentent le vaste marché de la vie par procuration.

L’expiation de fautes commises par quelques élus, encouragées et partagées fantasmatiquement par un public avide de sensationnel poussé jusqu’au sordide et qui en redemande sans cesse ne s’accompagne pas d’une possible rédemption, encore moins d’une résurrection, ce qui donne à penser que la star montée au pinacle puis déchue et traînée dans la boue, ou du moins qui souffre le martyr, n’est qu’une victime sacrificielle érigé en substitut du dieu absent par les temps qui courent, et par le truchement de laquelle le public, qui s’adjuge la position confortable du spectateur, entre en communion avec une vie rêvée, à défaut de pouvoir la vivre, sorte d’interface imaginaire entre un monde de luxe, de beauté et de volupté fantasmé et la rude réalité quotidienne où la trivialité des soucis quotidiens et la banalité la plus plate d’une vie ordinaire le disputent avec les perversions, les outrances, les addictions qui gangrènent la société, un monde imaginaire où le religieux dégradé en idolâtrie niaise se cherche des raisons de vivre et de se réjouir.

 

L’anneau de pouvoir

En dépit de la facilité exquise qu’ont les mots à se déployer dans des phrases alambiquées mais creuses, il convient de ne pas réfréner cette sorte de rage qui bouillonne en nous, à condition de l’y maintenir dans des écrits ; elle doit se réserver pour des jours meilleurs, de telle sorte qu’elle n’explosera qu’en de rares occasions, à la manière d’un orage ponctuel, parfaitement circonstancié, déclenché par nous qui enrageons de ne pouvoir donner libre cours à la rage qui court en nous un interminable marathon, condition sine qua non d’une déflagration seule à même de détruire ce rocher de Sisyphe que nous sommes les uns pour les autres.

La victoire n’est pas pour demain, et quand bien même il y aurait victoire, elle ne serait qu’une victoire à la Pyrrhus. Les forces hostiles se reconstituent par capillarité. C’est nous qui leur fournissons les nutriments nécessaires à leur bonne santé.

La destruction n’est pas chose si facile.

L’anneau de pouvoir du Nibelung, ce nain crasseux et méphitique qui renie l’amour pour accéder à l’anneau magique, c’est nous moins les forces colossales qu’il induit. Notre nanisme figure l’impuissance à laquelle nous sommes réduits, tandis que l’anneau représente tout ce qui nous entraîne vers notre perte à travers des jeux de puissance qui dépasse de loin nos faibles forces.

Sur l’anneau se concentrent toutes les forces antagoniques en présence qui se disputent les faveurs d’un doigt providentiel qui leur permettra d’exercer leur malfaisance.

 

De quelques images

Lorsque l’image précède les mots pour la dire, l’image est fausse.

L’image poétique, à la seconde où elle émerge toute formée, n’a pas la lenteur de celle du peintre ou du dessinateur.

Il faut beaucoup de matière pour faire une image.

L’image poétique n’investit pas l’espace.

Quelques mots seulement donnent à voir l’incipit de ce qui va se déployer en toute clarté à mesure que les phrases s’enchaînent, lançant leurs facettes acérées qui tournoient en bandes serrées autour d’un axe imaginaire. Et tout cela sans un bruit d’ailes.

Il faut beaucoup d’audace pour faire du langage matière à œuvre d’art, un peu comme si un oiseau exotique décidait d’utiliser ses plumes à d’autres fins que celles auxquelles son ADN l’assigne.

Un homme ? une femme ? une figure humaine austère en tous cas, marchant sans doute à visage découvert, mais qui, nous tournant le dos, demeure indécidable, et qui s’éloigne depuis toujours sur la ligne blanche de plus en plus étroite que dessine un chemin de pierres concassées, figure qui s’invisibilise toujours plus à mesure qu’elle s’éloigne en s’avançant vers ce qui, selon toute vraisemblance, ne fera jamais que se répéter indéfiniment.

Ainsi pour elle, aucun changement notable, alors que pour nous la figure ne sera bientôt plus qu’un point insignifiant sur le point de disparaître. L’horizon qui l’absorbe ne fait pas un but ni même un obstacle.

 

Jean-Michel Guyot

24 octobre 2022

 

 

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