Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
A une rage de vivre
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 26 juin 2022.

oOo

Je ne livrerai que des impressions

 

C’est le cœur serré que je me suis extirpé de ton livre comme d’un roncier en fleurs, amie ; l’été perçait sous le printemps 

 

Je reprenais goût à la vie loin de tes remarques pointues et de tes conseils avisés

 

Du poème l’aube tumultueuse

 

D’aucuns se cramponnent désespérément au bastingage de leurs obsessions 

 

Par trois fois, recru de chagrin, je me sentis mort éveillé et de la vaine lumière je fis une brassée d’angoisse

 

A quoi bon cette lucidité de tous les instants, cette veille dans le vide des lumières douces, cet espoir sans nom et sans visage qui taraude jusqu’à mes pas, saut à pieds joints dans l’inconnu récalcitrant

 

Fouler les blés, se rouler dans les jonquilles en fleurs, rêves d’enfant carnassier

 

Vieilli avant l’âge, plus jeune que jamais, selon mes heures

 

Du divin je devine, devine seulement, le sort funeste qui l’attend au coin des rues finement éclairées 

 

Partout dans le pays, madones et christs en croix devisent de loin en loin, mère improbable et fils dévoyé jalonnent la contrée

 

Dans les années soixante-dix, quand j’étais gosse, je crois me souvenir qu’un comité anarchiste fit exploser quelques madones qui enlaidissaient le sommet des montagnes cévenoles, une action salutaire dont je me réjouissais fort

 

Foncièrement athée, dès ma prime enfance, et heureux de l’être ; insatisfait toujours, et proche comme malgré moi de mes ancêtres celtes et germains

 

Je me plais à penser que, dans un lointain passé, une de mes ancêtres fut peut-être une seidkona

 

A quelques kilomètres de chez moi, au pied des Monts de Gy, à Avrigney, fut découvert un taureau tricorne en bronze de très belle facture que l’on peut admirer au musée archéologique de Besançon

 

Longtemps, j’eusse aimé vivre en des temps préchrétiens ; arrivé à l’âge mûr, je ne rêve plus de renverser les dogmes et de balayer la liturgie catholique poussive et désuète, même si la voix blanche et atone des prêtres entendue en de rares occasions me dégoûte toujours autant ; je prends les gens comme ils viennent, toujours attentif à débusquer la moindre lueur de fanatisme religieux en eux

 

La religiosité de notre temps m’écœure

 

Je n’appartiendrai jamais à cette race de gens qui ont besoin qu’on leur dicte leur conduite du matin au soir et jusque dans leurs nuits ; c’est là que je suis bel et bien contraint de tourner le dos en imagination aux sociétés ancestrales préchrétiennes qui régentaient les vies de leur naissance à leur mort

 

En d’autres termes, je flotte sans nostalgie aucune dans mon époque en proie au fanatisme religieux qui se réveille un peu partout dans le monde chrétien et non-chrétien ; une époque volontairement exposée à la connerie généralisée qui s’étale dans les réseaux sociaux, rivée aux feux de paille des idéologies politiques, et surtout toujours prête à lécher les pattes de la bête immonde hélas encore féconde

 

Cette femme, immobile comme un coupe-gorge qu’on brûle de traverser d’un pas lent et sûr

 

Ne danse pas, jamais, ni ne convole en justes noces, laisse à d’autres le soin de s’envoler vers des hauteurs que tu préfères ignorer, vaines promesses d’harmonie

 

Amour et moi ne logeons assurément plus à la même enseigne

 

Au cœur des Cévennes, c’est là, et nulle part ailleurs, que mon regard s’est aiguisé ; en Provence, tout petit, la mer et ses clapotis, les premiers oursins violets au bout de mon trident

 

Dans les Cévennes, les roches schisteuses faisaient ma joie sous un soleil impitoyable, aulnes et saules se balançaient en surplomb de la vasque qui accueillait les eaux fraîches de l’Homol, si calmes en été, torrentueuses en automne, inabordables en hiver et au printemps

 

Cela eut lieu en terre cévenole non loin de Génolhac, le long de l’Homol, un éblouissement d’enfant soucieux enfin délivré de sa peine pour quelques heures d’insouciance ; pêche promeneuse et tonique en compagnie de mon père jamais en reste de découvertes ; avec lui, je serais allé au bout du monde ; il était l’Africain, l’homme que j’admirais le plus au monde

 

Quelques années avant l’éblouissement cévenol, il y eut, vers mes cinq ans, l’indéfinissable présence dans le grand jardin ; elle parlait à l’enfant taciturne, sans mot dire, dans le vaste verger aux essences si diverses ; il n’y avait qu’à tendre la main pour attraper les cerises noires du grand cerisier, dont le tronc meurtri par un obus, avait survécu, comme mes parents, aux affres de la guerre

 

Il y eut, sous la garde de mon père, le premier feu d’herbes sèches et de petit bois, le long du Doubs

 

Mais pourquoi suis-je venu au monde, dis-moi ! Pas une parole de moi, dans le recueillement, qui ne tente d’oublier cette question frivole

 

L’amour qui vous unissait, toi et maman ; les années de pauvreté, vous les avez traversées sans m’en faire sentir la cruelle morsure qui n’était que pour vous dans une France grise et terne, triste à mourir ; vous ne manquiez jamais de nourrir les mésanges au plus fort de l’hiver, un généreux morceau de beurre, une bonne tranche de lard, et le tour était joué

 

Peu de bonne nouvelles pour les indigents, les sans-grades ; il n’y avait que l’Huma pour vous réconforter un peu en ce temps-là

 

Votre générosité rejoignait celle qui me parlait dans le grand verger : une et indivisible, elle irradiait comme si elle émanait d’un très vieux site sacré oublié des hommes

 

De mes années de lycée, je retiens peu de choses ; aucun bon souvenir ne me ramène à cette époque ; pressé de grandir, impatient, colérique, taciturne, j’avais l’impression de piétiner au lieu de progresser ; impression hélas confirmée à l’université

 

Il m’aura manqué une parole sûre et forte de grand frère amical durant ces années d’apprentissage ; j’ai tissé ma toile beaucoup plus tard sur la foi d’acquis tout personnels

 

J’ai survolé quelques grandes œuvres, en ai négligé beaucoup d’autres ; jubilation à la lecture du premier manifeste surréaliste : entré de plein pied dans la poésie baudelairienne, je n’avais guère de goût pour le roman ; au fil du temps, les récits de Bataille et de Blanchot m’ont réconcilié avec une prose qu’il m’est impossible de qualifier correctement, tant elle m’aura marqué

 

Jubilation à la lecture d’Humain, trop humain

 

Toujours cette même pente qui guette les grands auteurs : une cohorte de spécialistes s’arroge un droit de propriété critique sur leurs œuvres, voilà qui est exaspérant ! Je n’ai guère d’estime pour la gente universitaire nécessaire mais non suffisante, quant aux critiques… ils ne sont utiles qu’aux médiocres

 

L’amitié en écriture, forte de toutes les différences soulevées, jamais relevées comme on relève une tombe, c’est bien autre chose

 

La poésie est mon unique bâton de vieillesse ; bâton de jouvence aussi bien qui parlera aux nouvelles générations pour peu qu’elles sachent faire silence et écouter, brailler et se révolter quand il le faut, et surtout, surtout écrire, ce qui n’est pas gagné

 

Toujours sur un fond de musiques qui déchirent le ciel, évacue tout sentimentalisme, bousculent et le monde et l’humaine présence en tous lieux, secouent la torpeur généralisée 

 

Nous portons au pouvoir des nains de jardin ; leur sempiternel sourire est exaspérant ; ils ne consentent à prendre une mine pincée que lorsque des événements graves secouent leur cocotier

 

N’emprunte au grand jamais les allées bêlantes de l’espérance ; rythmes poisseux ; les grandes têtes molles se gondolent au gré des vents contraires, épousent les formes et les rythmes en vogue de peur de se briser net sur les rochers suspendus au-dessus d’eux

 

La méchanceté à gueule de clocher ; y tournoie un meurtre de corbeaux fort bienvenu, élégant ballet d’ailes noires comme l’anarchie que rehausse d’horribles croassements, langage codé ; Hugin et Munin veillent dans l’hypogée

 

Faulx et serpes, gaules et fléaux, objets de risée ou de musée ; une vision muséale de la plus brûlante actualité serait-elle le remède à la niaiserie ambiante ?

 

La poésie n’est pas un viatique, une panacée encore moins

 

J’ai bondi sur mes rives, jeté les amarres par-dessus bord, brûlé les voiles, dit adieu à la facilité de galérien des mots, rames vacantes ; ne me reste que mes paluches rugueuses pour empoigner le ciel

 

Une juste récompense ? cela ne se peut ; à tout prix combattre le vol de bourdon de l’oubli et s’appuyer sur le vol circulaire du milan ou de la buse

 

Les terres, les terres intactes, que sont-elles devenues ?

 

Je vis fasciné par ces agrégats d’intelligences agiles qui s’occupent de tant et tant de sujets ; on dirait Argos aux cent yeux assistés de mille bras ; pas de vision panoramique possible ! Hegel est mort et personne pour rallumer son flambeau

 

Eparpillements atones, crachats divers et variés ; le mot espérance a roulé dans la poussière, ne reste dans la bouche bée des bavards intarissables que le goût amer de la défaite ; un parfum de réglisse flotte dans l’air

 

Réserves de bois morts quelquefois, pour des brûlots improbables ; au cœur de l’hiver, la sécheresse de cœur a du bon ; sarments de vigne crépitent dans l’âtre

 

Je me figure un cœur sec au cœur du bois mort ; l’humecter d’abondance reviendrait à le faire éclater ; cesserais-je jamais de voir en tout cœur qui bat trop fort un coin de bûcheron fiché dans une chair tantôt souffrante, tantôt pantelante et qui bêle, bêle à vous laminer les tympans ?

 

J’ai eu, comme sans doute tout le monde, mes heures ; je ne les ai jamais comptées, ne les ai jamais mis au compte d’autres que moi

 

J’ignore ce que peut être une réelle simplicité ; j’y vois toujours un marchepied offert à l’opulente niaiserie ; a contrario, la complexité n’est pas une garantie de sérieux

 

Le sérieux auquel je pense n’est pas l’ennemi du rire, mais son hôte dans l’inconfort d’une maison de fortune

 

L’inculture est un mal contagieux ; elle contamine en profondeur les meilleurs sols ; resté inculte, comme en jachère, l’esprit s’affaisse, rentre dans les chairs, basse morsure

 

Indifférent aux compliments ; qui es-tu, toi, pour oser me complimenter ? d’où tires-tu ce savoir supérieur qui t’autorise à tes yeux à jauger ma pensée ?

 

Une remarque amicale, c’est autre chose, une critique pointue aussi ; les griefs sont nombreux, qu’importe !

 

La vision - toute vision - est tarée, inconvenante et stérile, si elle ne s’accompagne d’un murmure de plus en plus puissant prêt à tout instant à virer en musique tonitruante

 

La grande faiblesse du surréalisme : l’absence de goût pour la musique, patent chez André Breton, logocentrisme et fétichisme de l’image pour seule boussole

 

N’en déplaise à ceux et celles qui révèrent « la haute culture », j’ai trouvé mes musiques, celles qui manquaient au cœur de la poésie aimée ; aimée pour ce qu’elle ne parvient jamais à dire mais suggère si bien, au-delà, très au-delà de la course aux émotions faciles qui gangrènent la plupart des chansons populaires

 

Musique et poésie ensemble, comme l’eau et le feu ou l’huile dans l’eau ? Non ! Plus depuis la fin des années 60 

 

Mon peu de goût pour les chansons ; tout petit déjà, j’étais indifférent aux comptines entendues en classe maternelle ; dégoût pour « la variété » et ses tocards ; poésie saigne à l’aune d’une saine démesure 

 

Coexistent en moi les lieder de Schubert et de Schumann, plus près de nous ceux de Wolfgang Riehm mettant en musique Paul Celan et Annette von Droste-Hülshoff, les cantates enlevées de Hans Eisler, et tant et tant de courants musicaux que d’aucuns ne parviendront jamais à concilier ; une liste à la Prévert serait bien trop longue et fastidieuse

 

L’éclectisme n’est en rien la preuve d’un manque de goût et de caractère mais répond bien au contraire à cette exigence de probité intellectuelle qui impose de reconnaître la richesse extraordinaire de la production musicale du siècle passé et du nouveau siècle qui s’ouvre devant nous

 

Comment certains intellectuels en vue peuvent-ils être aussi lourds et sourds à cette rumeur qui bat la démesure ? Je méprise ces donneurs de leçons culturelles

 

Métronome des temps nouveaux, décidément introuvable, et c’est heureux

 

Tout ce qui est importe pourvu que la vue ne s’en empare pas trop vite, pourvu que le cœur délaissé, cette vieille lune stérile, ne jette pas son dévolu sur ce qui passe l’entendement, croyant sincèrement en faire son miel, alors que ce qui passe l’entendement, mis en sourdine, ainsi devenu évanescent, trompète bouchée à l’orée de Round Midnight, esquive les mots trop lourds de sens

 

Les bois et la mer se rejoignent dans ce que j’imagine être le pays de mon enfance ; une orée qui s’avance puis recule, belle effarouchée, une mer démontée aux vagues hautes comme des chênes et des frênes centenaires !

 

Le mot forêt est trop grand pour moi ; il revient de droit aux forestiers ; les bois suffisent à mon bonheur ; bosquets, bouquets de verdure disséminée, havre de fraîcheur pour les passereaux, les martres et les belettes

 

Quelques impressions furtives, à ne jamais jeter sur une toile ; laisser au vent et au soleil le linge blanc ; salut aux lavandières disparues ! Leur sueur et leurs maux de reins, leurs mains rougies par l’eau froide et dure, qui en aura chanté, entre misère et beauté du monde, la générosité ?

 

L’œil jaune fixe du hibou, vigie de tous les instants dans la sylve en proie aux murmures

 

Murmures emmurés grandissent à mesure que les blés mûrissent ; au petit matin, sous un ciel clément, blés dodelinent, souples encore, presque félins ; une gerboise boulotte un épi, sourire

 

A quoi bon une base sans sommet ? pas de sommet sans une base solide ; le « peuple » est à la base de tout sommet, et ne me parlez pas d’élites avant d’être parvenus vous-mêmes au sommet, haletants et prêts à dévorer la terre entière, justiciers de pacotille !

 

Danger extrême lorsque le « peuple » entreprend d’araser les montagnes responsables à ses yeux innombrables de ses malheurs passés et présents ! Avenir de carton-pâte inscrit dans le marbre de la Loi

 

Dans l’ordre politique des choses, les hommes et quelques femmes élues vont et viennent, s’installent dans le confort douillet de pouvoirs exorbitants au nom du peuple-électeur ; mais qui ne sait qu’une représentation fidèle n’est pas souhaitable, qu’elle est même impossible ?

 

Un peuple capable de se gouverner soi-même ? Impossible ! Le « peuple » n’est qu’une fiction, il n’y a que des populations dressées les unes contre les autres que le fouet de quelques dresseurs s’empresse de rameuter

 

Le prix à payer pour les meilleures places au soleil est élevé : insultes et injures, coups et blessures et parfois même assassinats jalonnent la vie publique ; haine à tous les étages de la fusée Marianne !

 

Base et sommet ; le monde politique, la vie sociale et ses hiérarchies atroces, l’univers délirant de la finance et celui plus sage et circonspect mais carnassier de l’entreprise - familiale hier, managériale de nos jours - sont solidaires d’un ordre incohérent qui engendre injustice sur injustice jusqu’à la prochaine déflagration qui rebattra les cartes restées entre les mains des survivants prêts à se disputer les places laissées vacantes encore chaudes du cul de leurs anciens occupants

 

Les révolutions ne sont que de tristes farces sanglantes et autophages, les conservateurs, un ramassis de limaces obèses ; ah s’il suffisait de jeter une pincée de sel sur tous ces salopards, tout serait plus simple ! 

 

Triste France ! Un cancer te ronge et tu ne t’en aperçois même pas ! Tu pourriras sur pied sans moi, je te laisse à tes vieilles lunes, tes pastilles Vichy et ton affaissement moral, tes rêves de grandeur perdue, tes lâchetés et tes compromissions avec les têtes brûlées des tyrannies mondialisées

 

Malgré tes pastilles à la blancheur immaculée, tu pues de la gueule ; une seule pestilence n’offusquerait pas mes narines, c’est celle de ton cadavre putréfié jeté aux chiens

 

L’encre de Chine a plus de valeur que la Chine tout entière : servitude volontaire de ces Chinois et de ses Russes qui n’auront jamais connu que des tyrannies successives et qui ont le toupet d’en faire un modèle de bonne « gouvernance » ! Abjection programmée !

 

Le monde mécanisé est arrivé à son apogée ; une pointe de flèche en silex taillé ne laissait pas présager un tel désastre ; la vie est si belle, faut dire, depuis qu’on envoie des satellites explorer « notre système solaire » ; un gros mégalophage envisage même de coloniser la planète Mars pour y exporter nos « soucis de riches » !

 

N’éteins pas la lumière, amie ; elle s’éteindra d’elle-même bien assez tôt

 

 

Jean-Michel Guyot

 19 juin 2022

 

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -