Je ne me soucie guère de beaucoup produire. Les choses viennent comme elles viennent.

Certains textes se présentent à moi comme on déroule un tapis, je vais de surprise en surprise sans m’étonner le moins du monde que tout se déroule aussi vite, aussi bien, et parfois le travail sur le texte est laborieux, la pensée peine à jouir, peine à se trouver, se perd dans des dédales alambiqués, comme si les mots qui me traversent se cherchaient un capitaine digne de confiance ; il me faut alors ralentir encore plus le flux épais de phrases inchoatives qui ne trouvent pas immédiatement délivrance au risque de caler purement et simplement.

Le long fleuve tranquille de l’écriture, on le remonte à la voile en prenant le temps d’admirer ses rives. Quand le texte bute sur une difficulté, c’est-à-dire sur lui-même, c’est comme si l’on se voyait contraint de faire halte un temps sur une ile fluviale qu’il faut prendre le temps d’explorer par le menu.

On quittera l’ile déçu parfois, mais peu importe, pour peu que la halte nous ait permis de voir un peu plus clair dans les intentions du texte qui ne se dessinent pleinement qu’au fur et à mesure de notre navigation à contre-courant des évidences, des pensées toutes faites et même des faits.

Haltes nombreuses parfois, temps d’arrêt donc, comme s’il fallait non seulement explorer un nœud de sens qui entrave l’avancée de la navigation mais aussi se rendre à l’évidence que certaines iles prometteuses n’avaient rien de spécial à offrir.

Temps faible ou temps fort d’une navigation, peu importe, la halte fixe l’attention sur des détails en donnant envie de quitter au plus vite un lieu stérile ou bien un havre de paix qui ne constitue qu’une étape imprévue parmi d’autres au cours de notre périple durant lequel quelques affluents ont été bien visibles, d’autres non. 

Ainsi tout se déroule comme si la navigation était le point central et mobile qui se déplace sur les eaux pures ou impures de l’écriture en train de se faire, laquelle tire en avant vers l’amont que seul l’aval ainsi créé avalise pleinement.

Méandres et bras morts, anciens lits asséchés et rives qui ne cessent de se reconfigurer ainsi que le fertile delta à l’embouchure du fleuve pourront faire après coup l’objet de mille études qui tenteront de retracer les circonstances d’une navigation fluviale plus ou moins heureuse.

Quant aux sources, elles sont inaccessibles, car inexistantes durant tout le périple : elles n’ont d’existence supposée que lorsque le fleuve majestueux dévale et s’étale pour aller se perdre dans cette mer vaste et profonde qu’est la littérature. L’étude des sources relève du patient et souvent admirable travail universitaire qui ne se soucie, hélas, que des œuvres consacrées.

Jean-Michel Guyot

5 avril 2022