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L'écrit du cœur
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 Article publié le 27 décembre 2020.

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Calme donc ta plume, ami.

Rage déguisée, orages oraculaires ? Que nenni !

Cet arc tendu par ta foi vacillante-débordante ne décoche aucune flèche digne de toucher le cœur égéen d’Aphrodite.

C’est ta mémoire toute entière - l’entièreté de tes souvenirs enfouis sous une épaisse couche de mots sédimenteurs - qui, dans ce laps de temps dévolu à ton écriture, n’est qu’un gigantesque lapsus calami.

Mensonge et sédition vont bon train dans les parages de ta plume fertile.

Calamiteux stylet tourne au style et le je des mots au cauchemar.

Sois réaliste pour ta peine si tel est ton désir ou bien alors plonge dans les eaux noires de ce que tu persistes à nommer ton imagination, je n’y vois rien à redire.

Libre à toi, sur une voie médiane, de partir-parler de toi, de ton gros moi vagissant-envahissant.

Explore, délie, analyse, raffine, peu m’importe.

*

L’enfant devenu, à la force du poignet, le fort en thème qu’on déteste et qu’on craint - que l’on ne craint pas de détester et que l’on ne déteste pas craindre : sorte de freak avant l’heure - fut d’abord plongé par ses parents dans les affres du non-sens scolaire à ses quatre dans une école qui fut tout sauf maternelle. A la rudesse des maîtresses, à la méchanceté coléreuse de la directrice s’ajouta la multitude infantile de gamins dont Baudelaire dit un jour qu’ils étaient des petits diables en herbe.

Hypersensible, émotif au dernier degré, paralysé par la parole adulte, tel il était jusqu’à ses onze ans, sauf lorsqu’il était en belle et bonne compagnie, celle de sa mère et de sa grand-mère maternelle qui toutes deux avaient traversé les épreuves terribles de ce que, pudiquement, on appelait, dans son enfance, la guerre.

Les traumatismes furent nombreux et vécus par tant et tant d’autres familles que, jamais de toute sa vie, il n’a pu croire un seul instant être le dépositaire d’une expérience sans équivalent, d’où son extrême modestie. On grandit dans les récits de guerre en se forgeant des convictions solides, une méfiance indéfectible envers les puissants de tout acabit.

Ainsi donc, le cœur battant, il n’osait prendre la parole pour répondre ou protester, sauf à de rares moments où, n’y tenant plus, il fallait que cela fût dit. Il explosait alors, laissant tout le monde coi.

L’école primaire fut un long calvaire, traversée de railleries et de petites humiliations, de constants doutes quant au sens de sa présence au sein de cette institution qui disait l’accueillir mais ne faisait à ses yeux que l’inclure pour lui faire sentir qu’il était de trop.

Deux ans de suivi par un psychiatre efficace et affable, et quelques pilules anxiolytiques plus tard, il fut pour ainsi dire débarrassé de sa timidité maladive. Il pouvait enfin donner libre cours à son envie d’apprendre. Ce fut fait et il devint ce que d’aucuns appellent un phénix.

Belle image, trouvait-il. Né sur les cendres de son handicap émotionnel, il pouvait enfin déployer ses ailes, sans pour autant avoir l’impression de donner toute sa mesure, ayant bien vite ressenti les programmes comme un carcan. Il lui fallait aller plus vite et plus loin, ce qui fut fait.

Une solide grammaire allemande et L’art romantique de Baudelaire en main, il s’adonna à ses passions conjointes de la langue allemande et de la littérature. Et tout s’en suivit. C’est en étudiant l’allemand qu’il comprit enfin l’intérêt de l’enseignement de la grammaire française et il ne fallut pas plus de quelques mois pour qu’il ne fît plus que quelques rares fautes dans ses dictées, ayant absorbé en quelques mois un vocabulaire riche et varié. Les tournures grammaticales les plus complexes faisaient alors ses délices. Sa passion pour les langages était née.

A cela s’ajoute le fait qu’il devint pugnace. Un coup de poing en pleine figure d’un petit harceleur, et on le laissa tranquille. Il repense encore avec jubilation au jour où, en cours de sciences naturelles, il planta son compas dans le dos de la main d’un petit emmerdeur ; il voit encore son visage blême et ses yeux qui disaient : Il a osé me faire ça.

Maintenant, on pouvait le détester pour des raisons tout aussi mauvaises qu’auparavant mais au moins plus objectives. Il n’était plus ce gamin qui n’aimait pas les bandes de copains et les attroupements bêlants, mais ce gars agressif et hautain qui n’hésitait pas à cogner, en plus de faire montre de sa supériorité intellectuelle dans le domaine des savoirs scolaires, supériorité qu’il se payait le luxe de dédaigner, trouvant que, décidément, on ne mettait pas la barre assez haut.

Il n’a pas choisi d’être à l’école du mépris. C’est l’attitude haineuse de quelques minables qui l’a contraint à se rebeller et à renvoyer dans les cordes les petits harceleurs de merde qu’il lui a été donné de rencontrer sur le chemin de l’école et de la vie en société.

*

Et le cœur dans tout cela ?

Eh bien, je vous l’assure : il palpite régulièrement. Il lui est même arrivé de faire des bonds, en pure perte, mais qu’importe !

J’ignorais que la Schwärmerei avait encore des adeptes de nos jours. Je ne serai jamais le Saint François des lettres françaises, encore moins - quelle horreur ! - sa mère Térésa.

Ecrire n’est pas un acte de charité, c’est un acte d’affirmation de soi dans un monde où tout le monde joue des coudes et donne des coups, se bouscule avidement au portillon de la reconnaissance et de la gloire. Mais la vie est cruelle ; elle se charge de nous rappeler qu’elle n’est qu’une auberge espagnole.

N’en déplaise aux belles âmes qui voudraient être aimées pour ce qu’elles s’imaginent être, cet être unique, ce petit chérubin à sa maman, mais nom de bleu, les mères ne savent rien de nous ! Leur regard aimant nous est indispensable pour grandir dans l’amour et le coton mais il ne nous prépare en rien à supporter les quolibets et les railleries, la méchanceté généralisée dont tout le monde s’abreuve pour pouvoir s’affirmer aux dépens des autres.

Pour ma part, j’ai toujours eu en horreur les chefaillons et autres tyranneaux aux petits pieds.

J’ai vu rentrer à la maison mes parents ouvriers humiliés et en colère, pleins de rage et d’amertume ; je sais de quoi je parle. Alors décidément non : on ne me marche pas sur les pieds. Ma vie durant, j’aurai croisé des incapables et des insuffisants fiers de leur position hiérarchique, sans jamais nourrir la moindre admiration pour cette engeance de malheur. Même à l’université, j’ai vu les failles des uns et des autres, à quelques exceptions près.

Mon admiration ne va qu’à quelques créateurs, des musiciens et des poètes essentiellement, dont je ne juge jamais la vie et ses aléas mais dont j’apprécie follement les œuvres. Je les ai tutoyés par l’esprit en leur accordant toute mon attention, sans songer une seule seconde à les approcher pour me frotter à eux. Je ne serai jamais un courtisan fielleux et mielleux. Les approcher serait d’ailleurs bien difficile maintenant que tous sont morts depuis un bon bout de temps.

Le sens de tout cela ?

Eh bien, je laisse un Stéphane Pucheu le dire à ma place et à sa façon : [Car ] les véritables écrivains sont de grands travailleurs, pétris de leurs obsessions qui aident, par un joli paradoxe, les lecteurs à vivre.

Il y faut du cœur, c’est-à-dire du courage, et ne pas faire du cœur ce siège moelleux et flasque propice aux épanchements d’une sensiblerie quasi piétiste qui n’est pas de mise par les temps qui courent, assaillent notre esprit et corrodent jusqu’à nos rêves.

Si ambition il y a - un véritable ambitus que je souhaite voir s’étendre jusqu’aux confins des possibles par-delà toutes les consonances et les dissonances possibles et imaginables - si ambition il y a, dis-je, c’est bien de vivre debout en donnant aux autres ce même goût de vivre debout dans et par et pour la beauté convulsive qui anime quelques grandes œuvres qui toutes, si l’on y songe, appartiennent au passé, étant donné le peu de cas qu’on fit d’elle au moment de leur émergence.

J’ai tout de même eu la chance d’être le contemporain de quelques œuvres bouleversantes, tout en déplorant vivement l’inculture de nombre de mes contemporains plus attirés par les sirènes de la variétoche que par les musiques déchirantes. Je n’ai ni l’âme d’un infatigable pédagogue ni celle d’un prosélyte zélé. Je prends le parti d’abandonner les imbéciles à leur sort. 

Qui serait assez fou, assez perspicace, assez pénétrant pour oser prétendre édicter des vérités toutes faites en partant d’un postulat aussi croquignolesque que celui-ci : le cœur considéré comme l’essence de la vie ?

L’essence de la vie, si je savais ce que c’est, je crois bien que je n’écrirais plus une seule ligne. Qui plus est, je n’écris pas pour la découvrir et me faire le promoteur d’une religion à deux balles. La vie me suffit, la vie sans adjectif ni attribut coloré ou diaphane où transparaîtrait je ne sais trop quelle vérité transcendante.

La parole oraculaire ou prophétique portée par une doxa chrétienne ou autre, très peu pour moi. L’animisme, c’est bien autre chose ; là, esprit et corps et cœur et tripes ne font qu’une seule et même impulsion vitale, communication par excellence avec les éléments, les arbres et les plantes, tous les êtres vivants porteurs d’une mémoire, celle du vivant, du vivant qui porte témoignage et garde mémoire.

On n’écrit pas pour faire le malin ou pour briller en société mais d’abord parce que c’est ce qui s’impose à nous de plus raisonnable à faire étant donné les circonstances toujours défavorables et parce que passer à côté de la chance qu’est un talent que de bonnes personnes ont bien voulu prendre le temps de nous révéler serait une faute envers cette chance insigne qu’est le simple fait d’exister et de pouvoir communiquer et une marque d’ingratitude envers ceux et celles qui nous ont donné le courage de croire en nous-mêmes.

Si croyance il y a, alors c’est une croyance sans crédo, une confiance en soi, aucunement inspiré par je ne sais trop quelle puissance supérieure ; cette confiance en soi, c’est bien la seule chose qu’il m’importe de reconnaître, d’encourager et de chérir chez d’autres que moi.

Combien de fois dans ma vie j’aurai ainsi encouragé de belles personnes à croire en leur talent, telle cette jeune Marocaine de quinze ans qui osa, sous mon impulsion, se présenter au concours organisé par le musée d’art contemporain de Villeneuve d’Ascq et qui, oh bonheur, remporta le premier prix, décrocha une bourse d’étude et put ainsi s’adonner à la passion de son art !

 

Jean-Michel Guyot

29 novembre 2020

 

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