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Composer avec le réel foisonnant
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 Article publié le 13 septembre 2020.

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De toutes les fonctions vitales, la plus importante parce que la plus élémentaire, n’est-elle pas la respiration qui assure cet échange constant entre un organisme qui a besoin d’oxygène pour maintenir en vie les cellules de son organisme et le fond de l’air ?

Une idée ou deux chaque jour suffisent à mon bonheur. Une idée en amène une autres, des enchaînements logiques plus ou moins longs, plus ou moins complexes tissent des liens ténus ou solides avec ce qui semble être bien réel.

Ce qui semble bien être le réel.

Ellipses et raccourcis, voilà les meilleures passerelles que je connaisse pour passer d’un sujet à l’autre sans perdre le fil rouge d’une réflexion tous azimuts.

Toutes les directions ne sont pas bonnes à prendre, seulement voilà : il faut d’abord les emprunter pour ensuite seulement s’apercevoir qu’elles conduisent dans une impasse.

D’essai en essai, j’ajuste mon tir sur la cible mouvante.

Lisant avec gourmandise tel ou tel auteur cher à mon esprit, je m’aperçois toujours avec bonheur que chaque auteur possède une façon bien à lui de moduler sa mélodie. Certains préfèreront des motifs courts et très percutants, d’autres inclineront vers des mélodies plus longues, plus étalées dans le temps.

Je crois bien nourrir une préférence pour les mélodies amples qui laisse au temps le temps de se dégager. Une fois l’envol pris, la mélodie continue à s’élever dans les airs, planent maintenant en surfant sur les courants ascendants de ses développements.

Cette mélodie continue requiert des rythmes actifs et variés, comparables à des coups d’ailes puissants ou à peine esquissés, afin que la mélodie ne se repose jamais tout à fait sur elle-même mais donne l’impression constamment renouvelée de dialoguer dans les airs avec les airs qui lui chantent.

Je n’en aime pas moins les staccatos, les rythmes brisés, les syncopes et les motifs courts et si incisifs produits par d’autres que moi. J’aime respirer un autre air que le mien.

L’art de l’improvisation n’est pas codifié, il se transmet donc difficilement, et, paradoxalement il demande d’avoir beaucoup travaillé en amont, avant de pouvoir se lancer à corps perdu dans l’inconnu qui vient.

Improvisation : composition instantanée impossible à réviser.

Les repentirs du compositeur, les ratures, les tâtonnements peuvent se lire sur les partitions travaillées : improvisation rectifiée.

Le plus imposant, c’est ce qui s’impose comme une évidence à partir d’un hasard programmé ou d’une suite de notes prises au hasard.

Le motif qui vient à l’esprit du compositeur ne doit peut-être rien au hasard : il peut lui avoir été inspiré par une émotion, une lecture, une conversation, un bruit entendu, une bribe de mélodie captée puis transcrite, un chant d’oiseau, un frôlement, une porte qui claque, etc… Quel que soit le motif de ce motif qui lui vient à l’esprit, il faut reconnaître qu’il se présente à l’esprit du compositeur comme un pur donné, un matériau brut à travailler. Il provient du réel foisonnant, se dépose dans l’esprit de ce grand auditeur qu’est tout grand musicien et alors, alors seulement le travail musical peut commencer.

Par hasard programmé, j’entends donc une série de notes ou de sons que le compositeur tend à organiser spontanément en réponse à une présence du réel en lui. Le réel n’est pas fortuit, il se présente comme une nécessité avec laquelle nous sommes libres de composer au gré de nos envies et de nos humeurs, de nos intentions et des émotions qu’il induit en nous.

Une suite de notes prises au hasard, en feuilletant un livre par exemple ou bien en se servant des lettres qui composent un nom de famille, par exemple BACH ou ABEGG, livre au compositeur un thème qui n’aura pas été choisi en fonction de l’impression heureuse de beauté qu’il procure. Toute la beauté jaillira du travail induit par le matériau : une dialectique s’opère entre ce que le matériau de base inspire au compositeur et les aptitudes de ce même compositeur qui met tout son talent architectural au service d’une recherche de la beauté sonore.

C’est ainsi qu’un thème peu accrocheur, d’apparence médiocre, qui séduit peu l’oreille, peut devenir le point de départ d’une pièce bouleversante. Point de départ qui n’existera pleinement qu’une fois l’œuvre achevée, c’est-à-dire conduite jusqu’au terme du voyage musical qu’elle est toute entière de la première à la dernière note et qui aura su révéler toute la richesse du thème initial à travers ses métamorphoses, ses mutations et permutations, ses élans renouvelés, ses coqs à l’âne, ses rebonds.

Richesse insoupçonnée que seul le travail de composition peut révéler.

Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or, écrivait Baudelaire s’adressant à son Paris natal dans une esquisse restée inachevée.

Un thème n’est en rien un filon ! sauf, peut-être, dirais-je, mauvaise langue que je suis, pour les musiques commerciales dont les auteurs-compositeurs savent tirer profit. Pauvre filon d’ailleurs vite épuisé par un travail médiocre.

Toute beauté, certes, a maille à partir avec la beauté, le tout étant alors de discerner si cette beauté fut conquise de haute lutte ou arrachée par des moyens dérisoires. D’une apparente platitude, on peut faire un chef d’œuvre éclatant, rayonnant de séduction sonore.

Lorsqu’un compositeur opte pour un thème parmi ceux qui s’offrent à son esprit, il ne prend pas nécessairement celui qui flatte le plus l’oreille, le travail musical consistant alors non pas à chercher puis mettre en valeur le plus joli, le plus mignon des thèmes mais bien à travailler-développer-varier celui qui est le plus prometteur en termes de dynamique sonore. Timbres, rythmes, harmonies dans l’ordre que l’on voudra.

A qui écrit, s’offre bien sûr la double expérience de l’improvisation dans ses deux variantes possibles dégagées plus haut, mais aussi un travail de composition sur la matière des mots qui s’offrent à la pensée. Les repentirs sont nombreux, les ratures visibles, le travail constant. Que l’on choisisse une contrainte formelle héritée de la tradition - quoi de plus contraignant qu’un sonnet ! - européenne ou extra-européenne ou librement choisie, que l’on laisse courir sa pensée en écrivant au fil de la plume, toujours il y a travail.

Travail réflexif, l’avant déterminant non pas la suite proprement dite mais donnant à anticiper une suite possible parmi une quantité impressionnantes de suites possibles, celles-ci dépendant de l’imagination de l’auteur, de son degré de concentration au moment d’écrire.

 

Jean-Michel Guyot

6 septembre 2020

 

 

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