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Le socle grec
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 Article publié le 6 mars 2016.

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" Orandum est et sit mens sana in corpore sano "

" Nous demanderons dans nos prières la santé de l’esprit et celle du corps "

 

La Grèce est un ensemble de cités composites. De la période classique - VIIIe siècle avant J-C - à la période hellénistique - IIIe siècle avant J-C - , les bouleversements sont nombreux, en même temps qu’une certaine et inoxydable continuité, celle d’une exigence de culture qui se confond avec une exigence de vie. Oui, avant tout, les Grecs pensent à vivre.

Sur ce territoire au départ relativement modeste, bordé par la Méditerranée et la mer Egée, Athènes et Sparte sont déjà les cités phares, avec en leur sein une aristocratie de guerriers mue par un profond dépassement de soi, illustrée notamment par les héros du poète Homère.

La cité spartiate est connue pour ses mœurs austères, pour une organisation stricte entre les différents ordres, dominés par l’armée. Fait unique dans l’histoire antique, les hommes sont mobilisables de vingt à soixante ans. L’éducation militaire est primordiale, sans exclure les arts et les cultures étrangères. Aux Jeux Olympiques, les Spartiates trustent les médailles, et les filles montrent toute l’étendue de leurs talents dans les épreuves d’athlétisme amateur, confirmant la suprématie d’une cité tournée vers le dévouement et la performance. A partir du VIe siècle, en revanche, l’aristocratie écrase les revendications populaires et instaure une éducation d’Etat : entre sept et vingt ans, l’homme est militairement dressé, tandis que la femme est soumise à l’eugénisme. Sparte est alors une cité entièrement guerrière, toujours sur le qui-vive, autant pour des raisons de cohésion intérieure que d’antagonismes avec d’autres cités.

Athènes, elle, est une cité ouverte où les valeurs aristocratiques sont dominantes, illustrées par la pratique du cheval. L’athlétisme et la gymnastique sont prisés par les enfants de milieux populaires, des enfants dont le nombre ne cesse d’augmenter. Face à cette importante démographie, la cité invente l’école : le pédotribe enseigne les sports, le cithariste la musique et la poésie, le maître l’instruction élémentaire ou l’éducation littéraire. La vocation de cet enseignement est de créer « un homme bel et bon » qui soit un pur reflet de l’idéal grec. A cette époque archaïque, le service militaire athénien s’appelle l’éphébie : pendant deux ans, de dix-huit à vingt ans, les jeunes athéniens suivent une préparation sportive intensive destinée à la pratique du bon soldat.

Lors de la période classique, au Ve siècle essentiellement, Athènes est le haut lieu de l’invention de la démocratie et des différentes magistratures politiques. Et pour former la personnalité des hommes d’Etat – leur permettre notamment de triompher dans l’arène politique - , les premiers sophistes déploient tout l’éventail de leurs compétences par le biais d’une puissante dialectique et rhétorique, incluant une certaine culture générale.

Voici venu le temps de la professionnalisation, qui concerne avant tout le sport et la politique. Dans le même temps, l’éducation grecque connaît un tournant avec le primat de l’intellect sur les autres domaines. C’est dans ce contexte que surviennent les Guerres médiques, la tentative d’invasion perse, au cours de laquelle les Grecs font bloc et repoussent les « Barbares » , ceux qui n’ont ni la même langue ni la même culture. Ces conflits témoignent de l’unité du monde grec qui, en dépit de forte différences politico-intellectuelles entres les cités, parvient à s’unir sur la base de leur identité commune : le territoire, la religion, la langue, la culture, la monnaie. Au sortir de ces conflits, Athènes ressort renforcée, imposant sa domination sur les autres cités et devenant une véritable thalassocratie.

Les deux figures intellectuelles de cette époque sont incarnées par Platon et Isocrate. Le premier, au sein de son académie, élabore un système d’éducation fondé sur la science rationnelle, une véritable école de l’effort et de l’approfondissement qui devient une pépinière de conseillers d’Etat : jeux, musique et gymnastique, manœuvres tactiques, approche des auteurs classiques, mathématiques élémentaires, études littéraires et musicales, mathématiques, dialectique, pratique de la dialectique … le programme est progressif, étoffé et exigeant, conçu pour la figure de l’homme libre, de l’homme global, du philosophe.

C’est Isocrate qui forme une majorité de Grecs, c’est-à-dire les professeurs, les techniciens, le personnel politique, les hommes cultivés et mondains, à partir d’un programme basé sur l’histoire, les auteurs classiques, les mathématiques, la philosophie et surtout la rhétorique, au sein d’une école payante. Il est conjointement professeur d’éloquence, logographe, écrivain, rédacteur à façon de discours judiciaires, publiciste et politique. Soulignons le talent intuitif de Platon : il anticipe la naissance de l’éducation publique, affaire de maîtres choisis par la cité et contrôlés par des magistrats spéciaux, sans oublier la mixité.

A la fin du Ve siècle, la Guerre du Péloponnèse embrase une grande partie du territoire grec, opposant Athènes, cité impérialiste, à Sparte, cité guerrière. Ce long conflit sonne le glas de la domination athénienne et diminue très fortement la puissance des deux cités. C’est quasiment toute la Grèce qui ressort affaiblie de cette guerre civile, conduisant les consciences éclairées de ce temps - dont Isocrate - à mettre plus que jamais la culture au centre de l’éducation grecque, pour que ce nouvel humanisme devienne le ciment de tous les Grecs.

C’est véritablement à l’époque hellénistique - la Grèce se pliant au joug macédonien – que l’éducation devient fortement structurée, tant au niveau de ses institutions que de sa démocratisation, avec également l’existence de centres d’études supérieures hors normes. Ces derniers essaiment essentiellement à Athènes, Alexandrie et en Asie mineure, sous la forme d’établissements scientifiques, séminaires de hautes études dirigés par des savants. Dans ces hauts lieux du savoir, tout est possible : les esprits étudient, les esprits cherchent, les esprits spéculent, et ce dans tous les domaines, y compris la médecine. Pendant ce temps, le financement de l’instruction publique est à la charge des particuliers, les écoles étant ainsi majoritairement privées, les autres s’appuyant sur le mécénat et l’évergétisme. 

Tous les niveaux d’étude sont développés, à commencer par l’école primaire où les enfants, guidés par le maître, apprennent à lire, à écrire et à compter, l’apprentissage de la langue étant particulièrement découpé ( lettres, syllabes, mots isolés, phrases, textes continus ) et l’arithmétique ou comput reposant sur les nombres entiers et les proportions. Puis, au niveau supérieur ou secondaire, c’est la littérature qui est étudiée, socle de la civilisation hellénistique dite classique, fondée sur les grands chefs d’œuvre d’historiens, d’orateurs, de peintres, de sculpteurs, de poètes, de philosophes, de médecins, avec les figures totémiques telles que Démosthène, Ménandre, Euripide et Homère. A ce stade, les jeunes Grecs sont entre les mains du grammairien qui leur enseigne la critique du texte, la lecture, l’explication et le jugement, sans oublier la rédaction. Quant aux études scientifiques, si elles sont de plus en plus minorées par la littérature, elles n’en sont pas moins structurées, avec la géométrie et les " Eléments " d’Euclide, l’approche technique de la musique (structure des intervalles et structure de la rythmique) et l’astronomie.

L’enseignement supérieur, lui, concerne une élite très réduite qui apprend la pratique de la médecine avec les professionnels, et surtout la quintessence de la rhétorique et de la philosophie. Les futurs rhéteurs deviennent conseiller du Prince ou diplomate, donnant du crédit à la communication, la propagande et la négociation. En philosophie, les Grecs aspirent à intégrer un cursus hautement exigeant qui leur permettra de se convertir à un idéal de vie en rupture avec la culture commune. Les philosophes-enseignants sont soit des officiels (les successeurs de Platon, d’Aristote ...), soit des isolés ( Epictète ) , soit des errants ( cyniques et stoïciens ) .

Ainsi, de nombreuses générations de jeunes Grecs vivent dans un bouillonnement intellectuel et artistique, la recherche et la création aboutissant à l’élaboration de données et de sensations constitutives du patrimoine. Dans tous les domaines émergent de fortes subjectivités, qu’il s’agisse des mathématiques ( Thalès, Pythagore, Euclide ) , des sciences ( Archimède ) , de l’histoire ( Hérodote, Thucydide, Xénophon ) , de la médecine ( Hippocrate ) , de la philosophie ( Parménide, Héraclite, Socrate, Platon, Aristote, Diogène, Pyrrhon, Zénon, Epicure ) , de l’architecture ( Myron, Phidias ) , de la sculpture ( Praxitèle ) ou encore de la littérature ( Esope, Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane ) . De surcroît, au contact des philosophes, l’éducation des jeune gens devient totale à travers la pédérastie : pour les Grecs, l’amour des garçons est fondamental et les différencie avant tout des " Barbares ", un amour qui signifie d’abord l’affirmation d’une sensibilité misogyne visant à atteindre une virilité totale, un amour qui devient méthode de pédagogie entre l’aîné et l’éduqué, s’exerçant au club, au banquet, au gymnase.

Pour résumer ces siècles d’inventions et de mutations, évoquons la figure de Socrate, la pensée mobile par excellence qui chemine dans les rues d’Athènes et entre régulièrement en interaction avec ses concitoyens, la volonté de spéculer librement au sein de la cité - détruisant à chaque fois le plus modeste foyer de certitude - , la stature d’un homme qui ne craignait ni le froid ni l’effort surhumain, un homme tout entier tourné vers l’oralité et qui décide de partir définitivement - dans le plus grand détachement semble-t-il - , après avoir sans doute achevé une bien étrange mission …

 

 « Gnôthi seauton »

 « Connais-toi toi-même »

Le départ de Socrate, symbole de l’ataraxie ressentie après la satisfaction du devoir accompli, ne peut qu’être lié aux codes et aux valeurs romaines, notamment à la notion de vertu. Le dépassement de soi, si cher aux Grecs, se retrouve dans le pragmatisme des futurs maîtres du monde, des fondateurs de Rome, la Ville universelle.

Si la quasi totalité de la littérature et de la philosophie hellénistiques ( Sophocle et Chrysippe entre autres ) a disparu, les fragments demeurant seront restitués grâce à la traduction des écrivains latins tels que Aulu-Gelle, Sénèque ou encore Lucrèce. La pensée latine s’explique donc par son arrière-plan grec, la pensée hellénistique dissoute rejaillit grâce à la traduction latine, associant étroitement le grec et le latin. Quant aux modèles respectifs d’éducation, ils sont à la fois continus … et distincts.

 

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