Je ne laisserai pas les mots
De mon époque ensevelir
Les mots véritables émaux
Du bon temps du roi Guillemot
Ils ont de beaux jours sur ma lyre

J’ai des mots de paix et d’amour
Des mots changeants qui se bassinent
Des mots simples comme un bonjour
Ecrits sur la peau des tambours
Des mots pourris à la racine

J’ai des mots comme des soldats
Pris dans des printemps veufs d’arondes
Des mots lourds des mots réséda
Des mots qui portent mon barda
Et qui sont de toutes mes rondes

J’ai des mots comme des putains
Sur le long trottoir des causettes
Des mots sans fard des mots sans tain
Des mots qui perdent leur latin
Des mots qui prennent des pincettes

J’ai des mots qui tiennent d’Issy-
les-Moulineaux jusqu’à Pontoise
Des mots qui ne sont pas moisis
Parfois je les entends d’ici
Qui s’apostrophent qui se toisent

J’ai des mots comme des teuf-teuf
J’ai des mots comme des bolides
J’ai des mots de quatre-vingt-neuf
Je couds les vieux avec les neufs
Les boiteux avec les valides

J’ai des mots comme des pavés
Qui ne verront ni vers ni prose
Des mots perdus des mots rêvés
Morts sans amen morts sans ave
Dans l’eau-de-vie dans l’eau de rose

J’ai des mots comme des gandins
En cherche de mille amusettes
Des mots qui hantent les jardins
J’ai des mots comme des pantins
Avec la croix et la rosette

J’ai des mots qui se font un jeu
De tourmenter les jeunes filles
Des mots sans âme sans aveu
Des mots de rien des mots de peu
Des mots qui mouillent leurs guenilles

J’ai des mots qui perdent leur temps
Des mots de la boutique verte
Des mots muets des mots chantants
Des mots des mots jamais contents
Des mots qui courent à leur perte

J’ai des mots comme des bagnards
Enchaînés à ma vieille plume
Des mots guignols des mots guignards
Que dire ô Molière ô Régnard
Des mots qui donnent du volume

Je ne laisserai pas les mots
Les mots de nos plus grands orfèvres
Ternir les mots de chez Plumeau
Dignes de l’almanach Vermot
Ni ceux qui m’écorchent les lèvres.

1997