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![]() oOo Le silex veille. D’âpre mémoire ouverte aux mots de demain. J’entends crisser sous mes pas le chemin de pierres tendres. Une allée de roses rouges déborde du chemin, pareille en tous points aux mots d’ici et de maintenant qui, en son absence, bordent la route incréée qu’appelle de ses vœux l’inconnu bruissant. * Ah la chanson fixe le son, c’est sûr. Je lui préfère les éclats du silex. Une dextérité ingénieuse est à l’œuvre. L’air vibre, s’enflamme, l’éclat rejoint d’autres éclats. L’outil, peu à peu, prend forme. C’est l’air que je retiens, l’allure générale, la cause matérielle qui se plie à la cause formelle. N’était l’imprécision résiduelle du geste, malgré la dextérité héritée d’une longue pratique, le silex ainsi travaillé serait peu de chose. Les éclats comptent autant que l’objet extrait de la chose par soustraction. Chose parmi les choses, éclat de réel saisi par la main ingénieuse. Un air de liberté se dégage de cette prouesse millénaire. Ce qui se soustrait au projet en cours, sa part sacrifiée, m’intéresse au plus haut point. Comme une chanson sans paroles dont seul l’air fait sens. Pur joyau qui brille dans la solitude de sa réalité ou instrument de propagande, la musique-silex qui flirte avec les silences de sa mise. Les paroles sont toujours sales. Cuisine interne, petits secrets de papier froissé, marge de manœuvre limitée, circonscrite à une série d’intentions circonstanciées. Le grand air est un éclat multiple qui bannit les paroles au profit d’une parole qui passe les mots, entièrement vouée qu’elle est aux escarbilles ardentes qui s’agitent dans les parages éphémères de leur danse. Ainsi de l’éphémère nous dure par-delà les trop faciles paroles. Ne valent dans cette valse oublieuse que les mots éclatés arrachés au son du sens. Le son qui fait sens s’aventure dans les phonèmes. Eclats de brume, runes brûlantes. Le feu calme que tu allumes dans mes yeux. L’éclat juvénile de ta beauté. Ton sein a la rondeur exquise et la chaleur sure du silex gorgé de soleil qui roula dans les eaux des siècles durant avant d’échouer sur la grève. A portée de main maintenant, bientôt soustrait aux caprices des eaux courantes. Enfant, je tenais le silence du silex dans mes mains, le tournais et le retournais pour y regarderlonguement les vivantes veinules.Aucun œil hagard n’y flottait. Le silex n’est pas une épave. Je le frappais durement, le portais aussitôt après à mes narines pour en respirer profondément l’âpre haleine ignée. Pierre un brin courroucée qui brûlait de ne pas assez brûler. Le silex pulsait dans ma main.Ses innombrables veinules rouges ou bleutées prenaient vie. A la pierre de feu, ma main communiquait la chaleur de mon sang. Vibrante énergie commune, d’une force éclatante. Je tenais dans le creux de ma main l’énigme facettée. Pierre si vivante, la seule, d’autant plus vibrante qu’on la brisepour son bonheur en de multiples éclats, tout comme on brise à plaisir la dure gangue de la langue commune, lançant ainsi en l’air des mots et des mots dans l’espoir fou de les voir s’enflammer. Fleurs de silex, les mots ainsi glanés dans cette moisson d’étincelles, préludes ou non à un feu plus doux encore. * Dans les sureaux en fleurs s’attarde un parfum de silex enivré. C’est que des chemins rôdent dans ma mémoire inachevée. Qu’une cheminée passe par là, et voilà que le bleu du ciel tonne dans les gris qui s’ébrouent au soleil couchant. Remuante mémoire, pareil au tisonnier qui rallume les tisons sous la cendre des jours. Cendre bien aimée, poussière de silences sans quoi un feu juvénile jamais ne danserait aux limites du silence qui achève sa course dans ta parole vivifiante. Le givre chante. Paroles de destin, air de liberté qui transporte. Le vent du Nord apporte sa moisson de nouvelles pétillantes. Bientôt, le fruit qui sommeille dans le pommier fleurira en beautés sereines. Les vitres illuminées sourient. L’aube est si belle ce matin. Un bref instant, tu redeviens cette mésange charbonnière qui te visite, chaque printemps vient nicher dans l’unique arbre de ton jardin. Le cœur battant, tu ouvres ta porte à l’ami qui te revient. Il est pour ton bonheur ce silex qui ne prend vie qu’entre tes mains.
30 mai 2015 |
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