Les donnes les plus improbables,
Elles sont bien alléchantes
Elles nous sauveraient de l’ennui
Mais qui en dispose ?
A vrai dire personne
Les cartes sont en nombre fini
C’est ainsi
A l’image du monde,
Les cartes ?
Laissons les états généreux en décider seuls
Nous ne sommes pas plus au monde
Que le monde n’est à nous
Nous sommes dans l’entre-deux,
Farouches bêtes
Les donnes ne préexistent pas
Au jet de hasard qui les composent
Seules les données sont déterminantes
Et l’élan et l’allant qui les dérangent, les assemblent,
Les triturent, les tourmentent,
Les tout ce que vous voudrez-vaudrez
Au fil du temps
Qui joue au dé avec le monde
Jet-jeu de dés dédié au monde
Qui souvent se dédit
Refuse d’entrer dans la danse des dés
Bien qu’il en ait
Il faut que les dés retombent
Qu’une nouvelle donne joue avec le donné
On appelle ça l’histoire universelle
Excusez du peu
Jouent ensemble la disposition initiale des dés,
La matière qui les compose, et la forme cubique qui les informe
Et les petits trémas creusés en eux
Et peints en noir
Et la force musculaire qui les lance
Puis encore le tapis ou bien la table où ils roulent,
Finissent leur course et ricanent dans l’assemblée
Qui retient son souffle
Encore un coup pour rien
Le monde est bien décevant
N’a-t-il donc que ça à nous offrir ?
Forces en présence qui s’activent se contrariant
Force motrice et force de résistance
Matériaux et puissance
Les forces se chevauchent dans un champ de forces si fécond
Si stérile
C’est du pareil au même
Agite les dés dans le gobelet de cuir
Le bruit qu’ils rendent est si doux
Secoue-les
Et tu verras
Tu verras qu’il n’y a rien à voir
Que le pur hasard
Dans toute son impureté de donnée
Jetée là pour rien
On appelle ça une nouvelle donne
C’est peu dire
Tu ne changeras pas la donne
Ni les données du monde qui s’avance
Le hasard ne donne rien
Ne prend rien
Reprend de plus belle
A chaque mise
Prend racine dans le creuset des mondes
L’enjeu est à la mesure du risque encouru
Qui est de tout perdre
Le hasard déçoit
Mais la chance parfois sourit
C’est tout un
La force sans emploi que tu es rencontre une aisance
Une opportunité
Voilà ta chance
Encore faut-il la saisir
C’est selon
Jouer le jeu
Lancer les dés
Etre lancé-jeté par eux dans le jeu de la vie
Ainsi indéfiniment rejouer le moment initial
Où tu fus engendré par deux êtres de hasard
Sans que tu y sois pour rien,
Fils du hasard bavard
Ca tourne en rond, le hasard
Ca n’engendre que le hasard
Fils de son fils
Temps incestueux
Cercle vicieux dans l’air vicié
Sur la plus haute branche te hisser
La secouer
Que tombent les glands qui te donneront de beaux chênes vigoureux
Qu’espérer de plus en effet ?
Avec eux naviguerplus tard, beaucoup plus tard,
Au hasard, vers des terres lointaines
Le moment venu,
Dans les yeux des enfants de tes enfants,
Ces fruits de hasard
Au temps mêler la terre
Agiter l’air
Voir l’eau couler à n’en plus vouloir
Etancher une soif toujours plurielle
Et manifester l’angle d’attaque le plus favorable
En faire une griserie sans nom qui affûte tes sens
Ainsi vaquer dans le plus pur hasard
Mais loin, si loin de tout calcul grandiose ou mesquin
Faire du hasard l’humble servante de la raison
Et puis tout retourner
Tout retourner comme ces pierres moussues posées là
On ne sait que trop pourquoi
Tout dévaster
Ne rien laisser subsister
Oublier jusqu’aux noms de tes amis les plus chers
Et jusqu’au parfum de ton amour
Inverser les champs de forces
D’un pré faire un champ,
D’un champ de lin fleuri un pré
Tout mélanger, agiter, secouer
Animer les polarités aiguës
Les faire se rejoindre à l’extrême
Comme deux aiguilles s’interpénètrent sans fin
Sans qu’on ne sache jamais laquelle est dans l’autre
Ce que tu ressens à l’instant
Quand l’aigu du paysage passe dans la douceur de ton regard filtrant
Quand les plis de ton front font des vagues
Diluent ton visage qui surnage quelques instants dans le flou des images dissolues
Quand ton regard fonde le paysage qui s’invite au plus profond de toi
Dilution des courbes naissantes dans l’aigu des pointes
Coup de fouet
Vibration des lignes droites
Vibrante absence
La côte est si tourmentée, elle se découpe en toi,
Te déchire
C’est sans douleur aucune
Ce que tu ressens à l’instant
Toi, le paysage
Ne faites plus que deux êtres qui s’aiment en un seul lieu
Deux noms perdus dans les brumes heureuses
Qui cachent le clapotis des vagues toutes proches
Qui ricochent dans tes oreilles
Qui, qui, qui à l’infini dans l’espace vide de dieux
Un petit matin d’août au bord de la mer
Là-bas, tout là-bas dans le Grand Nord
Sur cette terre
Toi marchant entre les pierres et les varechs,
Sautant de cide là de roche en rocher
Elles et eux en ces lieux te donnant à voir ce qu’il en est d’elle
Dans l’infime de ses détails
D’existence achevée-inachevée
Promise aux tempêtes
Vouée aux courants marins
Ivre de naufrages
Jonchée d’ordures
Presque belles
Intime-infime
Sans infirmité aucune, ta terre d’élection
Sans autres yeux que les tiens
Pour la porter au-delà de ta propre vie
Vouée au hasard
Des vents déments, des vœux murmurés,
Des enquêtes fourbues
Terre
Pareille à toi,
Terre qui va et vient dans la fixité de sa mise
L’entrelacs de ses courbes et de ses angles
La mollesse des jours
La vacuité des nuits
L’allant des saisons
Le camaïeu de ses gris intenses
L’odeur si prenante de ses marées
La découpe de ses côtes déchiquetées
A la longue si douces au regard
Habitué à ne jamais regarder au-delà
Comme ce fjord entrant profondément dans les terres
Ramènele marin vers les terres
Jean-Michel Guyot
3 décembre 2014