Les arguments de Paterson, ceux qui avaient convaincus la hiérarchie au point de nous accorder toute la semaine pour aller au bout de notre enquête, contenaient-ils déjà toute la vérité, le mobile du crime restant à établir…
Gilette se boucha le nez en voyant la pipe sur la table. Paterson s’empressa de la fourrer dans sa poche. Les deux femmes (dont la mienne) acceptèrent nos chaises. « Nous sommes au complet, » dit Elsie et Gilette rougit.
Paterson remplit son verre, nous oubliant.
Mes arguments… ?
Il en avait… de suffisamment solides pour convaincre la hié…
Elsie ne comprit pas mon regard. Gilette feignait de ne pas comprendre. Paterson but puis sortit sa langue. Elle apaisa la brûlure des lèvres, en spécialiste.
Reconnaissons… mais Elsie est venu pour s’amuser…
…avec qui ?
.pas plus tard qu’hier, nous avons composé un air pour toi. Je veux dire : en pensant à toi. Nina et moi. Elle au piano, te maudissant. Et moi près de la fenêtre, pour qu’on nous entende. Et on nous a entendues. Un garde nous a interpelées sans ouvrir le portail. Il trouvait que j’avais une belle voix. Et je l’ai toujours. Il ne se plaignait pas, mais les voisins… toujours les voisins ! sans ces voisins, Nina et moi… en fermant la fenêtre, suggéra-t-il. Mais alors je ne chanterai plus pour lui. Beau gosse immature. La queue levée en même temps. J’ai fermé la fenêtre et il a fait signe de la tête et
des mains que tout allait bien, selon ce qu’il en pensait. Mais avec les voisins, allez savoir ! Nina riait en tirant la langue. Quelle envie j’ai eu de la sucer ! Tu sais pour Nina et moi. Il nous reste encore ce goût… Il n’y a pas d’aventure sans ses preuves. Je ne te cache rien, comme tu vois. Le garde est revenu deux fois pour nous dire (avec des signes) que les plaintes avaient cessé de l’empêcher de penser à nous. La queue en l’air. À la limite. point d’orgue.
« Nous n’avons pas augmenté ! Nous avons même baissé nos tarifs. Cela veut toujours dire quelque chose. »
« Avez-vous pensé à me ramener cette confiture qui m’avait oh qui m’avait m’avait m’avait »
aux arbres la raison d’être
et à nous le bonheur
ô ma petite amie d’un jour
à l’orée de la première heure
passée à compter les jours
sans paraître trop ennuyeux
as-tu pensé aux confitures
non tu ne penses jamais à rien
si je ne pense pas à ta place
mets du bonheur où ça te chante
et laisse aux arbres leur existence
ô ma petite chose des heures passées
comme nous avons changé
et comme les arbres sont inutiles
comme leurs fruits sont privés
du bonheur que nous avons connu
as-tu pensé que j’aimais
mieux les confitures
que ta chair
ô
toi
à nous l’eau qui passe
et à eux les voyages
nous qui ne bougeons pas
nous avons tout le temps
pensé non mais trouvé
dans l’armoire aux confitures
on s’ennuie à mourir
et les araignées ne vivent plus
que pour mourir
ô petite traînée de mon étoile
sois bonne comme ce que je suis
et ne perds pas ton temps
à donner du plaisir
à ce qui n’existe plus
nous avions les arbres et le bonheur
et ils passaient pour voyager
et se nourrir de leurs voyages
nous n’attendions rien
ni de la nuit ni de sa possibilité
au large de nos angoisses
nageait nos voiles toutes dehors
« Et je t’aimais, idiot ! »
Moi, je me demandais à quelle heure Gilette céderait à Paterson la propriété de son bien le plus cher : son cul.
Il buvait avec la langue.
« Une semaine ! s’écria Gilette. Mai je n’avais pas prévu. Demain, c’est lundi. Nous irons faire quelques achats. Entre femmes. » Et elle confia ces désirs à l’oreille d’Elsie, laquelle était exercée, Gilette, exercée depuis longtemps, depuis toujours peut-être. Nina m’en parlait pas plus tard qu’…
Nous… commença Paterson, mais il se corrigea et dit : « Je ne serai pas là demain… Oui, oui (me regardant), j’ai besoin d’être seul… » « Une femme peut-être… » Toujours l’oreille d’Elsie. Capricieuse, mais précise.
Je ne peux pas terminer ce repas sans une chanson de mon cru :
C’est en voyant qu’ell’ voyait plus
Que papa a battu maman
Ah choisi était bien l’moment
Pour lui caresser le cucul
Moi j’avais des yeux pour pleurer
Mais papa y donnait l’exemple
De ce qui convient d’ faire au temple
Que l’ bon Dieu pour nous a créé
Entre maman qui voyait plus
Et moi qui pleurais pour de bon
Ya eu comm’ qui dirait au fond
Un’ connaissance de l’inconnu
Après qu’ papa ait bien sué
Maman a r’mis sa p’tit’ culotte
Moi aussi j’avais bien pleuré
Et papa n’était plus mon pote
Le cul d’un’ mère c’est pas fait pour
Donner des leçons aux enfants
Quand on est père il faut toujours
Pas oublier les bons moments
Si maman voit plus rien du tout
C’est parce qu’il n’ya plus rien à voir
J’ai rien trouvé au fond du trou
Mais papa pouvait pas savoir
Alors je pardonne à papa
À maman je donne mes yeux
Et pour pas fâcher le bon Dieu
Je m’en vais où qu’il est plus là !
Et toute la compagnie reprit en chœur :
Quand ça barde à la maison
Ya pas d’ voisins assez cons
Pour retenir le bâton
Et payer les pots cassés
Comme aux jeux de la télé
Qu’ont les yeux d’ maman crevé
« Je comprends ton père, au fond, » fit Paterson.