On voit qu’il est pris de boisson... il ne tient plus aux apparences communes.
Elles l’ennuient au fond. Depuis une heure qu’il essaye de raconter au petit cousin des événements historiques d’un autre siècle. Événements qui en eux-même n’ont aucune espèce d’importance.
Aztèques, sultans, mayas, éthiopiens ou peules. Toutes ces couleurs locales ne comptent plus en vérité.
En son crâne il fomente les plans d’immenses royaumes... projections où il pourrait enfin mettre à l’abri sa progéniture pour des années, se promet-il... c’est bien ennuyeux, de rester malgré tout prisonnier de son personnage.
Ainsi les louvoiements du caractère de Louise... ses brusques revirements d’humeur. Les crises soudaines qu’elle se permet... ces écarts sont pour lui autant de coups de boutoir dans ce bel édifice à prévoir... celui, imposant et robuste, qu’il essaye sacré nom depuis trente bonnes années de faire tenir malgré tous les changements de logis, d’endroits nouveaux, de projets chimériques ou de coutumes.
La famille, le foyer, tout ce socle imputrescible de leur vie commune.
Les fréquentations sans suite.
Car il s’agit de l’édifice de sa Famille. Rien de fait de plus important que cela.
Édifice de fait tout spirituel. Symbolique. Il le sent bien... édifice qui doit moins aux apparences immédiates du lieu qu’à une certaine façon de sentir, à la fois sûre et précieuse mais prévoyante et vérifiable à la fois.
Il ne faudrait pas le quitter jamais... ce bel édifice spirituel, si pur et précieux et sans défaut.
Ne comprennent-elles pas cela ? Au lieu de s’enticher du premier passant, Louise devrait se réserver pour le fils d’un souverain...
L’édifice de sa joie la plus ferme. Avec ses portes et ses fenêtres. Ses couloirs. Sa cave, ses dédales.
Ses blancs rideaux, ses placards, bibelots, vases, draps de serge. Et tous les bons dîners à se taper sur le ventre. À se trouver merveilleux. Jusqu’aux aurores sous les plafonds superbes.
Il voudrait voir tout ce confort une bonne fois se pétrifier. Drapé antique... Ne plus subir l’impondérable du temps.
Prévenir tout changement pour pouvoir le contrecarrer dès sa base.
Enfin pouvoir chaque fois repartir, au moment même où tout paraît condamné pour longtemps.
Que l’édifice somptueux des âges. Là où la famille doit rester au chaud... préservée bien comme il faut des atteintes des ans et du sort... sans cesse bien à l’abri de toutes formes de périls.
À prendre le thé, tout en devisant.
Cela afin d’assurer à leurs consciences le repos des âmes saintes.
Le palais merveilleux. Ses passages secrets. Ses fondations. Monde de rêve d’où toute convention commune peut être enfin abolie... pour pouvoir sentir rayonner la primauté de leurs coutumes... Porter la couronne de leur bel esprit de famille (cela peut évoquer ce qu’un mémorialiste désignera comme l’esprit d’un milieu bien spécial et défini...)
Ses souterrains riches de secrets.
Les zones pleines de mystères tangibles. Les abîmes que nous frôlons dans les conversations...
Les crimes de la famille aussi. L’effroi des premières pages. Les choses moins reluisantes.
Seulement, au bout d’un certain temps, affecter des airs de patriarche omniscient finit par le lasser lui-même... il se voit... lui le jeune homme fringuant de jadis (il n’a pas l’impression d’avoir de fait tant bougé que cela), lui qui vint tout d’abord en cette ville, fier, vif et possédant son propre monde dans ses seuls gestes... il se voit enfin composer à présent un personnage bien ennuyeux de vieille barbe proférant ses fadaises au coin du feu pour ses petits enfants.
Il s’encroûte, c’est certain.
Bientôt il tombera, vieille branche sciée reçue par le talus.
Bavant les préceptes de sagesse... aussi profite-t-il de l’occasion de ce réveillon pour faire vaciller ce si bel édifice à coups multipliés de petits verres de liqueur...
Pour lui alors sa fille est au moins une vestale. Elle est intouchable.
Nous le répétons si cela n’est dit, il tient à la préserver de l’épouvante et des assauts malsains du monde... envoyer au loin ces erreurs qui n’auront pas lieu non jamais.
La vision de son futur gendre est une blessure diffuse en lui.
Une blessure étrangère, appliquée à sa peau tranquille.
Une intrusion dans sa vie si prospère avant cette arrivée.
Il voudrait n’être qu’avec sa fille... que tous les autres convives déguerpissent enfin.
Qu’ils repartent. Effacent leur pesanteur imbuvable. Remballent leurs anecdotes rebattues... bien loin. Qu’ils aient, à défaut d’esprit saillant, la politesse de se dissoudre dans l’atmosphère... et surtout de n’y plus revenir.
Importuns drôles ! (Guère si jolis à voir, à présent qu’ils s’avinent... ils commencent à faire moche dans le cadre, là, qu’il sont, à vider les bouteilles, tout en s’observant du coin de l’œil...).
Et que de leur chaste étreinte naisse alors un astre hors de portée de tout commerce charnel.
Il veut se baigner avec sa fille dans le bain de pureté le plus insoutenable de passion qui soit...
Ils partiraient, ensemble. Il ne serait pas question de saleté, non, jamais entre eux. Leur attraction tiendrait d’un au-delà sur ces chapitres.
Enfin, il se représente ainsi la beauté de cet élan d’amour paternel, secondé par son ivresse.
La chaleur à son sang le fait baigner dans l’eau de tous les délires. Tous inavouables.
Avec mille respect. Mille tendresses appliquées. Il veut dévorer sa fille avec douceur. Entre les gestes simples consistant à faire passer un plat de marrons glacés à la voisine. Ou entamer une nouvelle anecdote. Il voudrait planter là tout le monde. Et, comme un obscur vagabond, enlever sa propre fille... pour s’en aller. Voguer très loin. Au delà des mers et des confins de tous royaumes. Dans une terre à nouveau inconnue. Si jamais ça existe encore avec ces foutus satellites... et là, une fois seul avec cette compagne, se laisser aller à son penchant mystique, composer avec elle une nouvelle lignée, une espèce parfaite, des fils, des filles divinement robustes et doués de l’orgueil de l’Olympe. Ils nageraient très loin dans une mer verdie par la lumière.
Cette vision l’emporte avec autant d’autorité qu’une musique. Alors ils se passe bien de mots.
Il reboit un verre. Quelle belle soirée, tout de même, le cousin si lourd au téléphone devient léger soudain à son écoute !
Oui, il lui souhaite, à lui aussi, une bonne fête, pauvre abruti noyé dans les conventions. Il ne connaît pas les contrées où il s’élève déjà... il reste en deçà. Dépourvu. Grotesque.
Sa fille pour lui est couronnée de pavots. Plus rien à secouer des erreurs passées.
Il l’aperçoit à travers les brumes. Aucun type adroit à présent ne pourrait s’emparer d’elle.
Face à elle la flamme sombre d’angoisse. Celle que lui même ressent quand elle s’absente.
Lorsqu’elle fraye le soir parmi les menaces sordides du dehors... toutes ces fêtes infâmes du quartier.
Les nullités de petites copines qui la détournent de sa vocation précieuse qu’il est le seul à convoiter, lui semble-t-il...
Il ne faut pas qu’elle s’y rende...
Il ne faut pas qu’elle se gâche ainsi.
Cette flamme s’estompe et s’efface... Impuissante qu’elle est face à la sérénité du dîner. Pour encore trouver matière à nourrir le brasier de son secret supplice. Son désir d’interrompre la fête.
Seulement Louise est recueillie dans un silence au creux des conversations présentes. Elle laisse sa joie se colorer d’une eau plus sombre. L’eau des souvenirs ou des remords. Sa songerie est tour le ciel blanchi de nuit sous les branches noires.
Sa pensée se recueille. Elle est close sur elle même. A l’image de ces plantes aussitôt refermées sur leur secret à peine les frôle-t-on de la main.
Nombreuses sont ces âmes de jeunes filles empruntes d’une joie mêlée de délicatesses ou de frissons...
Il n’en faut approcher qu’armé d’une certaine délicatesse. Et tout en ayant connu nombre d’échecs avant cela.
Toujours il lui fallut faire mine, dans le repos de sa passion pour Fernand, de se ranger aux avis si sages de son père si aimant (un dieu de l’Olympe à ses yeux soumis).
Certes, il faut l’avouer -puisqu’elle y repense par flots d’images intempestifs, comme on se remémore une ancienne souillure- elle s’est fait un temps saccader le croupion par son ancien ami. Le précèdent prétendant... Et même avec une belle ardeur encore ! Et sans bouder son plaisir... il n’aurait plus manqué que cela...
Jupes retroussées sur le guéridon. Sans arrêt et dans toutes les postures. Le grand coup des passions fiévreuses. Jusqu’à crever en elle toute réserve. Faire jaillir la tigresse de sa peau douce.
Puisqu’un appétit insatiable la dominait. À chaque instant.
À sonner de la glotte et faire vibrer ses seins ses hanches dans toutes les postures les plus survoltées. Elle se sentait beaucoup plus épanouie ensuite. L’air plus tellement renfrogné. Plus obligée de singer la jeune fille sage. Plus la peine de réciter son sermon d’emprunt.
À faire pâmer ses restes de pudeurs sous l’assaut brutal tant désiré. Les tentures noires en vibraient à l’unisson de son désir pâmé. Lorsque sa fleur fondait toute seule autour du membre raide du vagabond.
Si son papa l’avait vue alors, la sainte parfaite, à goulûment s’adonner au brasier sans égal... il aurait achevé là ses velléités de mysticisme chaste ou de dévotion médiévale concernant fifille.
Elle se faisait mettre alors avec une belle rudesse. Et sans faire plus de façons. Jusqu’à froisser voir déchirer ses beaux draps fleuris !... mais, cependant, toutefois, enfin, cela ne pouvait durer, voyons !
Une fois qu’on s’est offerte au plaisir, on rebaisse sa jupe, refais son petit chignon, on reprend dans les troquets son air blême et respectable. On se repoudre. On affecte parfois même les pénitences. Tous les élans de sainteté. Histoire de donner le change. Afin de s’offrir le temps de laisser à nouveau encore durant cette comédie monter toute sa sève en soi. En soi toujours, puisque nous sommes, nous les petites saintes, de franches dépravées dont le corps se consume qu’on l’éteigne sous une nasse de muscles ou d’ombres solides.
Tous ses proches d’ailleurs s’y laissaient prendre, la trouvant bien trop sage pour son âge.
Le désir. Le tourment délicieux. Une fois le temps de la réserve épuisé en soi.
Une recette bien éprouvée. Du désir au dégoût. De l’ardeur à l’écœurement... c’est si connu, cela...
à ce sujet relisez donc encore Bossuet.
Toutefois il fallait bien se réveiller, une fois passée cette époque.
Refaire, lorsqu’on lui sonna l’heure des explications réalistes, son cœur plus raisonnable.
Voir son cœur pétrifié sous le départ d’un sermon.
Reprendre un train de vie plus sérieux enfin. Se livrer au transport balisé des conseils de famille. Jamais longs à vous remettre sur le droit chemin, pourvu qu’on s’y laisse conduire.
L’heure des examens approchait. Ainsi que le devoir de se trouver compagnon plus solide et plus établi... afin de tracer vers l’avenir une voie plus certaine.
Sans cela... on aurait continué de voguer en plein fleuve des suicides... l’amour aux lèvres et la chiasse au cul.
Clore la comédie. Refermer le rideau des jupes sur ses jambes épilées. Reprendre où cet épisode avait pu l’interrompre toute la frise de ses ambitions délaissées. Comme un tricot abandonné doit être repris et achevé en vue de terminer l’écharpe multicolore de tonton.
Une fois qu’on s’est bien fait mettre. Les yeux révulsés. Tout en singeant. Pâmée. Vers le grand plafond les crachats d’’une âme rendue furieuse de dévotion.
Reprendre de jolis airs de prude après s’être adonné au plaisir avec toute le vigueur des reins concevable.
À en serrer les mâchoires à les faire vriller. Qu’elles exsudent enfin à point la salive des vérités.
Plus de bave sentimentale. Plus simplement la promiscuité animale de deux êtres se cherchant dans la nuit des rapports.
C’est là toute une méthode. Celle des dévotions et des pénitences. Cependant il fallut renvoyer un soir aux confins de la mort toute suite à cette impossible idylle...
L’achever au sous-bois d’une balle dans la nuque, le Cupidon trop confiant. Faire pour cela un travail bien propre. Puis l’enterrer au plus vite.
Puis reprendre illico une réserve toute spirituelle. En considérant ce ramassis d’erreurs anciennes avec la gravité des bons usages. Reprendre le chemin de ses conventions, l’air des sérénités nouvelles au front.
Tout en ondulant du croupion d’une façon non plus libertine mais sèche. A la façon d’une bécasse mécanique rendue prudente sur du verglas.
Ne plus se laisser attirer par les fossés du parcours. Fuir l’ombre trouble.
Une fois la romance préliminaire obtenue, on peut s’offrir enfin une période de sérieux.
Tous les abords du bois des légendes.
Ignorer les charmes obliques des sentiers inconnus.
Rester bien droite en ses souliers vernis. Ne plus causer que conventions. Projets solides. Saines relations. Projections d’un avenir vérifié. Mais surtout saintes écritures et pénitences.
Cet Avenir : pages familières d’un livre relu sous la couette. Durant tous les boucans du soir parsemant le ciel.
Et quel réveil ne sonna pas sur son frais minois... elle réclamait à toutes forces cet éveil. Deux petites claques paternelles suffirent. Sous la forme d’un raide sermon imprévu. A nous la renvoyer de suite dans ses pénates... un pleur de pénitence humectant sa joue pâle.
Comme on veut voir à nouveau le petit matin sur les rues de la ville faire entrer partout la lumière la plus respectable, celle parfaite à faire reluire sur les pensées les plus sages le grand déluge raisonnable.
Cela coûta un franc seau d’eau sur son visage. Il dut être enfin lancé par sa maman pour son bien.
Pour la sortir de cette voie de déroute où imprudente elle s’était d’elle même aventurée en plein sentier d’atroce, en fréquentant un jeune homme douteux et dont on ne saisissait décidément pas les intentions.
Comme sur des brodequins, à errer, à moitié folle, l’esprit tout entier tourné vers une image rien moins que certaine.
Des foutaises nourries par quinze bonnes années de lectures faciles et romantiques.
On l’avait laissé déconner comme ça des mois, à se foutre du monde, puis il avait fallu sonner la fin de la récréation.
Il faut dire que son humeur volage aurait pu mettre en péril toute la lignée.
Cette cloche. Ce glas de ses erreurs glacées. C’étaient les phrases de sa mère. Pour elle ces phrases eurent l’effet des lueurs d’un phare devant la tirer de la tourmente où elle s’était enfoncée d’elle même du fait de son inconséquence.
Pauvre égarée dans la tempête sans retour. Perdue corps et bien dans cette ingrate mer de la ville. Nasse où tournoient parmi les crachats et le foutre en écume toutes ces fréquentations nocives.
Il y avait de quoi baliser, elle s’en rendit enfin compte... elle aurait pu se retrouver en fâcheuse posture. À force d’offrir sa confiance comme cela au premier venu. On ne peut comme cela s’offrir au premier charme.
Tous ces endroits où il pourrait lui arriver des bricoles... l’épouvante, l’effroi, des agressions... les méchants pourris la gueule à vociférer...
Nous le voyons, elle conçoit tout par images. Sa marotte. Pour elle... c’est l’effet de son cœur innocent. Les raisons ne lui importent pas réellement.
Tout prend très vite à ses yeux l’air d’un blason... Le moindre épisode doit aussitôt à son esprit revêtir l’aspect énergique et prestigieux d’un symbole. A broder sur le canevas de son passé.
Elle veut entourer de fiers rubans le moindre événement de sa vie.
Une pente de son imaginaire...
Elle rêve de faucons. De licornes. De tigres... ou de griffons... sans cesse son instinct se laisse aspirer par les zones ainsi figurées du merveilleux...
Ses motifs de prédilection.
Elle converse ainsi avec son propre imaginaire avec cet air admiratif du matelot pour un frère exhibant ses tatouages. Et il en est de nombreux.
(dans ce récit souvent les personnages s’inventent des interlocuteurs... il meublent ainsi leur solitude, pour s’en rire et s’en distraire)
Elle reste parfois en arrêt face à sa propre audace.
Louise n’en finit pas de contempler les objets autour d’elle. Elle les voit prendre à ses yeux une sorte de dimension aussi vaste que celle des nuages.
Aussi changeante aussi.
Sa rêverie imprévue. Celle des objets rêvés. Ou des choses prélevées à un autre monde. Mais toute cette dérive s’arrête le plus souvent sur les objets les plus directs.
Jamais son esprit ne crée ces objets. Elle part du concret le plus immédiat. Pour meubler l’appartement sans cela vacant de son esprit.
Lui rajouter un beau lustre. Le faire reluire sans fin dans la nuit sauvage.
Louise s’entraîne à finir par négliger la vapeur de sa rêverie. Elle la convertit dans les apparences solides de sa table. Devant son grand miroir. Devant son bureau. Tous ces objets concrets, s’ils paraissent simples, trop immédiats, lui ouvrent des abîmes sous ses pas. Lorsque la torpeur de son angoisse lui fait questionner les apparences des choses. Lorsque cette crainte diffuse s’empare d’elle, les carreaux même de la cuisine deviennent flous. Ils interdisent à ses pas de pouvoir se poser avec assurance.
Il lui semble sentir s’ouvrir sous elle un précipice.
Croyant marcher dans son appartement, elle circule de fait sur un abîme ne lui laissant aucun support stable ou fixe.
Elle prend ainsi soin de ce passé. Un passé imaginé dont elle tient à conserver face à elle visible tout l’éclat de phare lui interdisant le prochain naufrage.
Avec la douceur et la piété qu’elle consacrerait à une tapisserie précieuse. Ou à la façon dont elle ferait reluire une idole. En usant d’un torchon ayant essuyé une heure avant sa sueur.
Elle exige d’elle de pouvoir conserver en son fort intérieur la plus avantageuse image de ses actes comme de ses convictions. Comme elle nage en eau trouble. Elle ne peut franchir les obstacles qu’en se montrant très sûre d’elle. Sinon tout s’abolirait de la comédie où elle poursuit son rôle.
Car tout tient de son environnement grâce à une illusion. Cette volonté de ses proches à la voir parfaite, irréprochable.
C’est là la façon qu’elle se trouve pour changer les faits quotidiens les plus ordinaires en charme ou en merveille discrète. Ainsi, si elle sert à boire à son père et à ses invités, le fait-elle non pas à la manière vulgaire des réjouissances, mais plutôt en s’appliquant à suivre le rite illustré par un poème mettant en scène un échanson.
Car sans rite strictement établi sa pensée se met à voleter, perdant le cap sûr de ses ailes. Cette ligne auparavant tracé avec essor vers quelque avenir radieux se met alors à perdre sa trajectoire, pour se perdre en pleine zone de bourrasques.
La vie lui est alors odieuse ou trouble.
Pour sentir cette inquiétude, il lui suffit de peu de chose, parfois même seulement que son père l’observe d’un regard plus noir. Sa journée s’en trouve gâchée.
Nous aurons l’occasion dans ce récit d’explorer de telles dérives commandés par le pouvoir attractif de l’angoisse ou de ses folies.
Au milieu de cet équipage.
L’auguste vaisseau de la famille.
Il fallut donc se réveiller. Pour reprendre son poste. Assurer que le navire de la famille tienne bon son cap malgré toutes les difficultés... Son papa tout seul, l’âge avançant, ne pouvant plus s’en charger avec la rudesse d’autrefois guidant son bras gourd... que tous ainsi se taisent et conservent cette réserve d’un équipage qui, des soutes aux matures, s’applique à participer à la tâche commune de faire avancer le vaisseau vers son cap... par delà les années, les revirements du sort et les injustices...
C’est à dire, en ce qui la concerne, elle dût se tenir bien sage dans sa cabine. Ne plus frayer avec les mâles de l’équipage. Se garder de leur charme enjôleur. Et rester bien à l’abri en première classe. Tandis que les loqueteux se démenaient sang et eau dans l’ombre des soutes afin que le navire franchisse un à un les méridiens du temps...
Ou bien au haut du mât. Ou dans les gréements.
Sans cela ce vaisseau dynastique aurait infailliblement versé dans l’abîme.
Si chacun ne reste à sa place, place assignée depuis toute éternité, alors le péril menace... on n’est pas certains vraiment d’en réchapper un jour.
Dans quel abîme rugissant son désastre sans retour...
Ou se serait fracassé sur les récifs. On se serait mêlé à toutes les misères. L’effroi. La pauvreté.
L’absence des divertissements sans lesquels l’existence est sans saveur ni relief. Son esprit ne conçoit pas de cauchemar plus hideux.
Le deuil de tout ce bonheur si confortable, sous les tentures précieuses.
L’incertitude de l’avenir trompeur, et toute son énergie corrosive. Elle sent qu’elle a failli faire perdre tout cela... pensée poignante...