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![]() oOo quand j’en ai fini avec les fenêtres je recommence avec mon lit
dis tu veux pas me trouver une rime en être et une autre en i ? à part pipi et mettre…
nous ne serons jamais poètes dans ces conditions
« Tu veux pas savoir ? »
Non.
quand je sais plus où me mettre je m’en vais faire pipi
je t’ai dit pas mettre ni pipi !
mais pourquoi. pourquoi. pourquoi.
les seules lettres sont d’elsie. était ?
sont.
juliette. justine. quelle importance.
« Lucienne, dit Paterson. Tu ne vas pas me faire croire que tu ignorais qu’elle s’appelait Lucienne ! Pas d’emploi. Pas de revenu officiel. Rien sur son passé. Elle est née ici. Qu’est-ce qu’elle te voulait, mec ? »
qui suis-je. si elle me voulait quelque chose. si elle attendait de moi quelque chose.
Paterson descendit en tenue de tennisman. D’après lui, Gilette avait les plus jolies gambettes qu’il avait jamais vues. Il n’en avait jamais vu d’aussi près d’ailleurs. Le chasseur me sourit encore. Que sait-il d’elle ?
elle n’écrivait pas mais elle me parlait d’elle comme si elle avait toujours écrit.
cela ne sonne-t-il pas comme un poème ? cela ne prend-il pas un sens comme un poème ? cela n’inspire-t-il pas un autre poème ?
En pleine nuit, je crie. Paterson entre aussitôt. Il allume. Je suis assis dans mon lit. « Il ne manquerait plus qu’on t’assassine toi aussi, » dit-il en riant un peu, mais pas trop. J’ai vraiment l’air d’avoir vécu ce que je viens de rêver. Mais quand l’ai-je vécu ? Paterson ne pose pas la question. Le lendemain, au petit-déjeuner, Gilette dit en baillant qu’elle n’a rien entendu. « Elle s’en fout, » conclut Paterson.
« Moi aussi je m’en fous. »
j’ai vraiment l’air d’avoir souffert.
quand j’en ai fini avec les fenêtres je recommence avec mon lit
et quand j’en ai fini avec mon lit « ça rime, tu vois » « c’est pas une rime ça » je me remets à la fenêtre « tu te fous de ma gueule oui »
l’existence serait mortellement banale si nous n’avions rien à acheter pour changer ce qui n’a plus d’importance
Gilette achète le même chapeau que Lucienne. Je ne dis rien. Paterson ne saura pas ça. Il s’achète une pipe de pacotille. « C’est pas pour fumer, dit-il, mais ça fera joli sur le bahut. Bobonne aimera ça. Et toi, Pierrot, qu’est-ce que tu t’achètes ? »
je n’ai jamais pris la poésie au sérieux je dois te confier que je n’ai jamais pris la poésie au sérieux je ne te dirai pas que je n’ai jamais pris la poésie au sérieux que serais-je si j’avais pris la poésie au sérieux que serais-tu toi-même si je prenais la poésie au sérieux que serions-nous devenus si j’avais pris la poésie au sérieux la mort n’a rien à voir avec la poésie la poésie n’a jamais tué personne mais qui ne la tue pas parce qu’il la prend au sérieux
« oui. oui. je crois qu’on s’est bien amusé elle et moi. oui. oui. l’amour aussi. l’amour surtout. mais quelle idée d’écrire de la poésie. je n’étais pas venu pour ça. pour l’aimer, oui. pour constater que je pouvais encore aimer. mais de là à en écrire le poème, non, je n’y croyais pas. pas autant qu’elle. elle lisait tout au chasseur qui prétendait la comprendre. il n’avait pas dit qu’il l’a comprenait mieux que moi. mais c’était ce qu’elle disait et il rougissait. il ne rougit plus maintenant. oui. oui. celui-là. »
« Je sais pas ce qu’on est venu faire ici, » grogne Gilette. Paterson allume sa pipe, celle qu’il fume toujours. Reluquer de belles jambes ne l’empêche pas de fumer. |
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