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Le parolier
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 Article publié le 1er avril 2014.

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Des soleils, des lunes, des étoiles…. J’en parle. Des pluies noires, des vents à tout rompre, des grêlasses, des neiges d’antan… J’en parle. Des déluges, des dégels… Des forêts, des prairies, des landes, des solfatares… J’en parle ! Des filles et des villes qui parlementent, des rues parlières, des parleries à n’en plus finir, des parloirs… Les gueux ont les crocs, j’en parle. Charles, j’en parle. De Satie, de Fargues, de Doisneau, d’Isis, de Debussy, de Courbet… J’en parle à ma geôlière, à ma bignole, à mon kiosquier, aux murs potiniers… Est-ce le jour ? Est-ce la nuit ? Je m’encaque dans l’autobus jusqu’à l’arrêt où tout le monde descend. De mes compains dans la panne, de mes copains en gaîté, de mes poteaux survoltés, de mes frangins effrangés, de mes frangines à la frangipane… j’en parle. Au diable vert, à dache, à Pouzzoule où les girouettes enrouillées font égosiller des coqs enroués, où les ânes et les âmes se plaignent en leur patois, où l’on révère mille trophées, où les charlatanes du marché sentent les melons à la queue… On ne tripote pas, on choisit de l’œil ! J’y crèche. Zou, venez m’y voir sur la brèche, venez-m’y voir cueillir mes vers, tisser mes proses, élaguer mes prosopopées, lanterner sur les tortilles, lantiponner derrière l’église, pâlir sur les livres, me perdre dans les nues, brouiller du papier, rapiéceter mes tissus de songes et de mensonges, ramasser mes décousus, panser mes plaies et mes plaisirs, payer mes revers et mes travers, tirer à cartouche sur les raseurs de tous poils, faire quatre morceaux d’une figue, entretenir mes ennuyances, mettre tout à la débandade, siester dans mes roses, pousser le temps de l’épaule… Venez voir où je me confine ! Venez m’y voir…
Vous trouverez à qui parler. Mettez-vous à ma place, ne vous y mettez pas, mettez-vous y, ne vous y mettez plus, je noue et je dénoue le fil des jours et des ans, taisez vous à présent, à présent, je parle. Des hauts, des bas, deo, deo gracias, des ho, des ha, des dés, j’abats mes cartes, j’ai carte blanche, je me débats, je parle pour parler, pour déparler, pour reparler, pour rompre les silences, pour couvrir les voix et les fanfares de la voirie… J’ai trois bonnets : un bonnet de laine pour briser les glaces des magasins et des magazines, un bonnet de coton pour vendre les mèches de mes nuits chaulées, un bonnet de fer pour rimailler dans mes coins, dans mes recoins, dans mes retranchements… Je vous parle, c’est dire l’intérêt que je vous porte, c’est dire l’importance que je vous donne, j’ai dans l’idée des chaînes d’usine, des treuils, des palans, des monte-charge, des escaliers mécaniques…. Je vague, je divague, où suis-je ? N’importe où. J’ai dans l’idée des haut-parleurs, une salle d’attente, une gare désaffectée, une voie ferrée, un aiguillage, des wagons plats, des wagons frigorifiques, des wagons de marchandises… J’ai dans l’idée les roues, les rouages, les machineries, les engrenages de la marée. Je casse les limites, je limite la casse ! J’entends les pas, le bâton, les rires d’Homère, je suis place de la Bastille. Des prospectus ? De tout, presque tout, de tout ce qui me passe de la tête, de tout, presque tout, de tout ce qui me passe par la tête, de tout, presque tout, de tout ce qui me repasse par la tête, je m’en remets. De quoi ? Si je savais... Il est minuit à ma porte. A cette heure, qui est là ?
C’est nous ! Nous ? Les sœurs filandières ! Les trois ? Nous. Qui nous ? Les filles de Mnémosyne ! Les neuf ? C’est nous, les Vérités ! Les quatre ? J’allais m’endormir entre les pattes de l’Almageste. Je n’ai même pas une tisane de pas-d’âne, de pied-de-chat, de mauve… Même pas un fond de café atramentaire, une goutte de guignolet, un doigt de pousse-au-crime, quelques larmes de ce jus de la vigne muscate de Malvasia à vous offrir… Même pas une madeleine, un biscuit croquant à vous mettre sous la dent. Revenez un de ces quatre jours, disons dimercre… Revenez une de ces quatre saisons, disons aux prunes, disons aux figues… Revenez à la Saint- Médard ou quarante jours plus tard. Revenez à la Saint-Jean, nous brûlerons nos épouvantails et nos vieilles paillasses. Revenez à la Chandeleur, nous ferons sauter des crêpes. Revenez à la Saint-glinglin ou après jamais… Revenez à la Sainte-Barbe, je serai votre matelot de corvée de quart, de chiottes, de pluches, de plonge entre deux canonnades. Ouvre, ouvre, nous avons avec nous les fées félibriques, avec leur cabas garni. Les fées au teint de brique ! N’insistez-pas, revenez ! J’étais avec l’enfant que j’étais, les coudes et les genoux racommodés, le cul rapiécé… J’étais avec le gars que je fus, que je suis encore, un rebelle pris et repris comme un rat dans les flouflous flous, dans les longs flonflons…
J’étais avec le vieillard que je serai, caboche cabossée et pesante, poing sur les tempes, pieds gourds dans des chaussons de lisières, triste à mourir… Ouvre, pour l’amour du Diable ! J’étais à mon établi, à mon étau, tout mirobolé des prouesses de mes outils… J’étais dans mes tours, j’avais mes trousseaux de rossignols. J’étais aux contours d’Ys… De profundis ! J’étais dans le blé, à cueillir des coquelicots. J’étais à écrire ce que je n’ose pas dire, à vociférer ce que je n’ose pas écrire, à vitupérer contre les verbiageurs… Débarre ton vantail, nom d’un cabot ! Ne nous laisse pas dans la rafale, dans la trombe, dans la nuit noire… Il gèle à pierres fendre. Revenez… Dois-je vous le dire en bas-latin de fouille-au-pot, en jars de meneur d’oies, en jargon de tondeur d’ouailles, en charabia de charretier, en baragouin de planteur d’artichauts ? Comme vous y allez, vous autres, les travailleurs de la pensée, les machineurs d’intrigues, les redresseurs de torts et de clous, les éplucheurs de mots, les tortilleurs de phrases aux soudains crochets, les crachoteurs d’invectives, les entasseurs d’anacoluthes, de catachrèses, de tropes, les affrioleurs de jeunottes, les épouseurs à toutes mains que l’on paie en palmes et en feuilles de laurier, que l’on pique d’une précieuse églantine, que l’on moule en bronze, que l’on taille en marbre… Ta, ta, ta, ta… Ne vous mêlez pas de mes mélodies, de mes mélancolies, de mes mélis-mélos melliflus, de mes miscellanées, de mes fables milésiennes… J’y vais, j’y vais, c’est tout, pour pouvoir dire que j’en suis revenu d’une belle. Nous étions venues dans l’espérance de carder ta couche, de te rapporter des nouvelles des mondes, des maquis, des au-delà, venues dans l’espérance de te régaler de fruits déguisés, de partager nos picorées, de décoiffer des flacons de nectar, d’entamer un bocal d’ambroise, de te ravitailler en rations de tabac de caporal. Et en munitions de gueule, venues dans l’espérance de payer notre écot en ritournelles gaillardes et en louanges, de répandre des pétales sur tes florilèges, de nous retourner à tes poignants récits… C’était un rêve que de te réveiller de tes assoupissements, de t’étreindre, de baiser ton crâne vénéré… Revenez à la charge avec vos revenants dans une de mes éternelles nuit me tirer de mon sommeil de fer. Ces temps-ci, je ne dors que d’une oreille. Pour une verrée de plus ou de moins, je me brouille avec ma muse cachottière et les hiboux de mon chevet.
Connaissez-vous les paroles sur ces airs qui tarabustent les chevilles d’un Stradivarius à la manque, qui écrasent les punaises d’un soufflet râlant, qui empaument les passants en peine, qui gueulent plutôt qu’elles ne chantent dans les saccades d’un ruine-babines ? Toutes ces paroles polies à force de veilles sous l’ampoule nue d’un meublé, brodées sur canevas, toutes ces paroles impromptues, sans ail, sans sel, sans sauge, griffonnées sur les nappes… Les paroles mesurées pèsent-elles plus que les autres ?
Ma muse n’est plus dans sa primeur, mais de là à la congédier, de vos trépieds, de vos tribunes, de vos pinacles, de vos toits, de vos échauguettes … De là à la traiter comme une vieille gazette, comme une gâcheuse de besogne, comme une chiffe molle, comme une maquerelle pourrie… Je sais, elle est de moins en moins sorteuse et ne s’assied plus comme hier sur mon peautre. De mes plus belles pages, faites-en des papillottes, des cornets, des fidibus, des torche-cul… Je ne suis plus à un volume près. De mes os, si cela vous chante, faites-vous en, ganaches enfarinées, des fifres, des flageolets, des flûtes de Pan, de la poudre de perlimpinpin…
 
Quand je reprends le collier dans la campagne italique, sur les grèves provençales, dans mes quartiers parisiens, l’envie de me rouler les pouces, de me laisser croître les ongles et la barbe, l’envie de m’empiffrer le derche au feu et le bide à table, de ronfler comme un crevé à l’ombre des crucifix, d’agoniser sur un lit de camp, de réveiller les pots de marjolaine dans les cours, de lâcher des contrepèteries à tous vents, de balocher de guet-apens en guet-apens, de reverdir dans les farandoles, dans les chenilles, dans les rondes des faucheuses et des vendangeuses ne me manque plus.
Parfois, j’écris au fil de mon calame trempé dans ma plus mauvaise encre, des tartines pour les beurrières et les rats, des papiers gras pour les marchands de frites, des feuilletons pour les rôtisseuses de marrons, des pages effrontées pour les dames de la halle, de la romance pour les radasses et les frères Limonaire, des drames comiques pour les boulevardiers , des entrefilets émoulus pour les journaleux, des placards incendiaires pour les places publiques, des chroniques scandaleuses remontant jusqu’à Louis XI, des articles pour la mort…
Nous sommes venues… Nous sommes venues, sous les auspices de sainte Estelle, t’accrocher l’Etoile à sept rayons de l’Ecole de Mistral et de Roumanille, décernée tous les sept ans par sept jurés.

Robert VITTON, 2013

 

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