Ce qui est rêve dans le sommeil — et ce qui ne l’est plus de jour — cet écart est un roman — et pour peu qu’on sacrifie la langue — non pas au service du langage — mais par mesure de précaution — c’est un poème qui renaît — tendu entre aujourd’hui et ce qui reste d’hier — ce qui a encore un sens — même dénaturé — la même attente devant la bouillie du cerveau un jour de grand accident. J’y pensais l’autre jour en regardant un être sanglant s’extraire silencieusement de la carcasse broyée de son auto. L’astuce consistait à se passer de commentaires. Des voix témoignaient déjà. Qui a tort ? Qui a raison ? Qui les connaît ? Qui est en train de penser à autre chose ? J’ai un vélo. Et la clé des champs. Une pince coupante aussi. Je traverse les mêmes contrées. À cette époque, je me sens proche de l’insecte. Le vent me communique des dons. Qu’est-ce qui m’arrive ? Je n’ai pas imaginé la douleur. La chair remodelée par le froissement de la tôle et la torsion de l’armature. J’aurais imaginé le cri si on me l’avait demandé. Où vais-je ? Je suis à vélo ! Mon béret basque est rouge comme ces coquelicots. Le mollet rassure. Je suis à la hauteur de la tâche. Entre deux routes, les prés se ressemblent comme les gouttes d’eau de vos condensations. Ce pays manque d’esprit. De loin en loin, il faut constater que ces endroits sont aussi peu accueillants que possible. Une petite mousse viendrait à point, mais aucune porte ne s’ouvre. Pourtant, j’exhibe le spectacle de mon effort aux fenêtres — posant le nez dans les jardinières — voyant à quel point l’intérieur est à l’intérieur. C’est presque noir. C’est immobile — fugace pourtant. « Ce qu’il vous faut, monsieur, c’est une rustine pour vous la coller là ! » Une pente résout l’hypothèse de la mort. Je me heurte à un monument aux victimes de la guerre. Des fleurs fanent. L’or des ciselures s’écaille. Aucun panneau municipal n’interdit la baignade. Mon vélo devient un pédalo.