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![]() oOo Je chante les amours et les advantures de plusieurs bourgeois de Paris, de l’un et de l’autre sexe ; et ce qui est de plus merveilleux, c’est que je les chante, et si je ne sçay pas la musique. Mais puisqu’un roman n’est rien qu’une poésie en prose... Le roman bourgeois - Antoine Furetière.
William Faulkner n’était pas loin de penser que le romancier n’est autre qu’un poète raté. Cette idée relate toute la profondeur de la situation dans laquelle le roman moderne s’est plongé parce que le romancier moderne, écrit Malraux, choisit toujours d’écrire à propos de ce qui le domine et non pas au sujet de ce qu’il maîtrise parfaitement[1]. Le poète moderne n’agit pas autrement. De Maurice Carême ou de Paul Fort à, mettons, William Carlos Williams ou Yves di Manno, la poésie contemporaine fricote avec ses limites et les dépasse quelquefois au point de susciter des critiques négatives, voire l’indifférence y compris de ceux qui pratiquent la poésie en essayant d’être poètes ou en prétendant l’être pour couper court aux jugements[2]. Les temps modernes, avec leurs démocratisations et nivellements en tous genres, forcent encore la confusion générale en autorisant la publication de tout ce qui s’écrit, pourvu qu’on le veuille, — parallèlement, si nécessaire, aux circuits de diffusion habituels, — ce qui provoque toujours des réactions de la part des cénacles autoproclamés[3] ou intronisés par l’État lui-même au fil de ses institutions ou de ses représentations citoyennes. On en est venu à un point où il n’est plus nécessaire ni utile de savoir écrire pour être poète. C’est pratique. Il suffit d’écrire une ou deux phrases assez vagues et de les découper en « vers » pour que naisse un poème qu’il ne reste plus qu’à joindre aux autres pour former non pas un texte, comme c’est l’usage en littérature, mais un… livre. C’est ainsi que le travail éditorial prend le risque de devenir un véritable bordel. Pourquoi pas après tout, si c’est le prix à payer pour pouvoir vivre ensemble sans s’entretuer ? Je trouve que ce n’est vraiment pas cher payé. Une chanson vaut bien le détour. C’est très bien comme ça, allez !
Mais… … la poésie n’en continue pas moins de hanter l’esprit. Elle est si ancienne qu’il est impossible de se souvenir de ce qu’elle a été quand l’idée en est venue. À qui ? Ce simple état d’esprit reconditionne la poésie. Et à ce moment-là, il est impératif de savoir écrire. Et de bien se mettre dans la tête que rien n’est écrit d’avance. À mon avis, il faut énormément de talent pour s’avancer sur ces terres forcément nouvelles par ce qu’elles promettent. Mais l’écriture et les promesses, aussi bonne et tenues soient elles, ne suffisent pas à créer une œuvre digne d’attention de la part de ceux qui s’échinent, sur le plan critique comme sur celui de l’invention, à ajouter de la poésie à la poésie. Il faut aussi que l’esprit s’en mêle. Et dans un mouvement au fond très sartrien, c’est avec la lecture que tout commence ou, plus exactement dit, recommence. Ainsi, un pont est tendu entre le texte publié (chez Brémond) en 1994 par Brigitte Gyr, et les premières avancées d’une œuvre que Françoise Hán projette dans la réalité dès aujourd’hui (2011). La lecture de ces deux textes confine à l’œuvre poétique. J’en conclus que le poète est un romancier réussi. Et surtout, qu’il est rare, et précieux, d’assister en spectateur à l’entrée du texte dans un livre à venir. Grand œuvre de poète(s) et beau travail d’éditeur. Pour le contenu, autre merveille de l’esprit, vous aurez le plaisir de lire ces deux livres en vous souvenant sans cesse que ce n’est pas fini, que Françoise Hán est encore à l’œuvre et que tout reste à faire — promesse à la fois de vertige et de joie qui semble constituer le nœud même de son œuvre. « Écrire, dit le double. Écrire est possible. C’est une petite phrase. Elle contient notre avenir. » Écrire. Possible. Phrase. Avenir. En quatre mots comme on grimpe les marches !
Chez Jacques Brémond *
![]() Françoise Hán - Le double remonté du puits précédé de Lettre à Brigitte Gyr – Brémond.
![]() & Brigitte Gyr - Lettre à mon double au fond du puits - Brémond
* Le Clos de la Cournilhe 30210 Rémoulins sur Gardon.
[1] Préface de Sanctuaire… « L’essentiel n’est pas que l’artiste soit dominé, mais que depuis cinquante ans il choisisse ce qui le domine, qu’il ordonne en fonction de cela les moyens de son art. » [2] Mon projet de revue, « Limites », ne prétend pas autre chose que d’explorer les extrêmes, tant du côté de la chanson, qui fait grincer les dents des intellos — des pédants plus précisément — que de celui du langage qui met à mal les esprits insuffisants ou insuffisamment préparés… [3] Les gardes champêtres de la poésie… Suivez mon regard ! |
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