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3 - La mort d’Ulysse
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Article publié le 24 juin 2005. oOo MONOS - Il n’a pas insisté. UNA - Vous n’avez pas été aussi aimable... MONOS - ...que lui ? J’étais ravi. UNA - Vous n’avez pas cessé d’insinuer... MONOS - Il a refusé de goûter à mes fruits ! Il n’a même pas parlé du chemin. Nous entretenir pendant une heure de Brindisi et de son économie touristique ! UNA - Il aurait volontiers évoqué avec vous ce livre qui vous empêche d’écrire... MONOS - ...un roman. Vous êtes cruelle quelquefois de me le rappeler. J’écris des polars dans un pur esprit de rhétorique. Nous avons cette nostalgie de la cohérence, de la clarté et de... l’intérêt. Attention. Curiosité. Affinité. Utilité. Dit le dictionnaire. Révélateur, n’est-ce pas, de notre... coutume. UNA - Nous n’avons guère le temps d’en parler. MONOS - Je vous sens... ennemie. Comme si vous n’étiez pas là quand nous construisons les fossés de notre mythologie. Enfants, on pousse des goélettes de papier ou de feuilles d’automne. Se concentrer mentalement. Ce désir de connaître l’autre. L’évidence de la parenté, de l’analogie. La cohérence de la conception. Oh ! Una , tout y est ! Le récit se continue dans toutes nos adductions. Si j’avais réussi à placer un mot dans cette conversation avec l’étranger... UNA - ...vous n’auriez rien dit de ce que vous vouliez dire, évidemment. Mais vous ne vous êtes pas privé de dire ce qu’il ne souhaitait pas entendre ! Virgile... MONOS - Ce n’est jamais ainsi que j’en finis avec la douleur, vous le savez, mon Una. Nous avons même perdu le fil de notre conversation. UNA - Ce n’est pas ce qu’il vous demandait ! MONOS - Il ne demandait pas vraiment quelque chose ! Il... UNA - Vous ne l’écoutiez pas ! Avec vos fossés, vos paraboles, votre... MONOS - Allez ! Una, dites-le ! UNA - Votre lenteur, Monos. Vous êtes... MONOS - Lent ? Vous voulez dire patient. UNA - Patient ? Vous ? Même l’impatience ne vous retient pas. MONOS - Vous n’avez pas dit grand-chose. UNA - Dire ? Moi qui voulais sentir... MONOS - Encore votre peau ! L’art n’utilise pas la peau. L’oeil et l’oreille sont seuls invités au festin. Tout le reste est imitation, spéculation, incertitude, temps perdu sans espoir de le retrouver. L’oeil, mon Una, et son oreille ! UNA - Oh ! L’oreille et son oeil. Quelle réciprocité ! Quelle dialectique ! Quelle intimité ! C’est le lit de la modernité ou le tombeau de l’intelligence. En voilà un être parfait ! S’il faut se réduire à cette apagogie pour comprendre un peu ce qui se passe dans votre tête... MONOS - Eh bien ? UNA - Eh bien on a envie de manger, de boire, de respirer, de... MONOS - De ? UNA - De nager, de courir, de... MONOS - Etc. On voit ça au cinéma. Navrante réussite de l’industrie et de l’investissement. Chacun y choisit son créneau. Il s’agit de s’extasier. L’oeil et l’oreille au service de la peau ! Je ne vous reconnais plus, Una. Ou plutôt oui, je reconnais votre goût immodéré de la fugue, petit voyage pas plus loin que le piano. UNA - Vous en jouez à merveille quand vous daignez perdre un peu de votre sacré temps avec... nous. MONOS - Je joue... pour vous plaire, pour exister avec vous, pour vous montrer le chemin. UNA - Mon petit animal domestique ! MONOS - Vous pouvez vous moquer. Vous lui avez tapé dans l’oeil ! UNA - Vous savez bien que je tape dans l’oeil de tous les hommes. MONOS - Mais vous ne le saviez pas aussi facilement. UNA - Une heure d’absence et... MONOS - Une heure d’angoisse. Mais que peut-on attendre après une scène courte ou écourtée, sinon l’attente de votre retour ? Il est toujours possible que vous ne reveniez pas. UNA - Il voulait me montrer l’endroit où on loue des barques. Nous n’avons jamais ramé plus loin que vos coquillages. MONOS - Mes coquillages ! Vos fugues ! Une heure pour voir des barques ! UNA - Une heure pour prendre le temps. Vous n’avez pas voulu nous accompagner. MONOS - Vous suivre. J’attendais quelqu’un. UNA - Qui donc ? MONOS - Vous. UNA - Moi ? MONOS - Qui d’autre ? UNA - Comment m’attendiez-vous s’il est encore possible... MONOS - Ah ! Cette angoisse qui me tourneboule ! Je ne vous conseille pas l’angoisse. UNA - Vous ne voulez pas savoir... MONOS - Je ne veux rien savoir. Vous ne me demandez rien sur cette attente ? UNA - Situation absurde. MONOS - Non, baroque. Je ne me suicide pas. Je me donne en spectacle. UNA - On vous regardait ? MONOS - Ici, nous sommes aux loges et sur la scène, comme à la foire et au moulin ! UNA - Vous me l’apprenez. Je ne reviendrai plus dans ce jardin sans me sentir regardée alors que j’y reviendrai pour voir. Vous me plongez dans votre attente. MONOS - Dans quelle attente vous plonge-t-il, si ce n’est pas indiscret de vous le demander ? UNA - Il voulait savoir si vous étiez sincère. MONOS - De quoi voulait-il parler dont il ne parla pas devant moi ? UNA - Votre idée d’un Occident prêt mentalement à tout détruire l’a séduit. MONOS - Il ne m’a pourtant pas donné le temps de développer ma thèse. L’Occident détruit la nature et les conservatoires de l’humanité au seul profit de sa jouissance. En voilà une idée capable de séduire l’étranger ! Il se sent solidaire, ce qui le sauve de l’exclusion. Mais vous êtes là, ma bonne Una, pour recueillir les fragments de sa déconfiture. De ma fenêtre, je vois le monde tel que l’Occident le forge. Si vous n’aviez pas eu cette curiosité pour ces barques désuètes... UNA - Je reconnais que j’ai mis fin à la conversation... MONOS - ...au moment où j’en venais à l’essentiel, à des idées autrement profondes que ces pauvres gnosies sur le pouvoir destructeur de l’Occident, représentations exactes en un sens, mais totalement dénuées de... UNA - ...de poésie ? MONOS - Mon amour d’Una ! Vous ne m’avez pas quitté ! Ne parlons plus de cette escapade. UNA - Une escapade ? Les barques... MONOS - Chchchchchchut ! Achevons le jour juste un instant avant qu’il ne s’achève. UNA - Un instant, c’est un tant... MONOS - ...suffisant. Une éternité si nous y pensons exclusivement. UNA - Mais je ne veux pas mourir, mon Monos ! MONOS - Qui vous parle de mourir ? Je vous propose de conclure notre conversation. Demain sera un nouveau jour ! UNA - Et cette nuit ? MONOS - Je n’irai pas à la fenêtre. Pas une seconde !
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