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Autres essais de Patrick CINTAS
Écrivez pour empêcher les autres d’écrire

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 Article publié le 27 mars 2004.

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La plupart des écrivains sont superficiels. Ils ne savent pas plonger. Ils n’ont pas appris à caresser les surfaces. Ils n’ont rien appris par eux-mêmes. Ils écrivent seulement parce qu’ils en ont envie. Ce sont de vils consommateurs. Ils n’ont pas le désir. Manque de profondeur, d’obscurité. Même lorsqu’ils touchent à la surface des choses. Ils plagient, ou refont, prennent la posture, comme des piafs de concours. Écrivez-leur, ils ne répondent pas. Ou bien ils s’exercent à l’humour et tombent dans le piège de la médisance. Ils sont bons pour le commérage et les exercices de style. Qu’il doit être agréable de crever de la tuberculose sans avoir pu achever le Mont-Analogue* ! Les autres ne crèvent pas avant d’avoir pris la retraite ou d’avoir contracté le sida dans un club de vacances. Ils crèvent sur la route aussi comme tout le monde. On ne les aime pas. On les feuillette. Eux aussi feuillettent les autres. La jalousie grignote l’envie, doucement. Il n’y a pas de fièvre, juste un peu froid à cause des courants d’air que le texte de l’autre, moins facile, souffle dans votre direction. Vous êtes incapables de vous en plaindre. À la fin du mois, vous touchez un salaire qui n’a rien à voir avec la littérature. Il faudrait vous haïr. Vous écrire des lettres d’insultes. Vous casser la gueule dans la rue. Mais tous les fonctionnaires n’écrivent pas. Ni les fils et les filles de famille. Les commerçants et artisans écrivent rarement. Quelquefois un paysan écrit des textes gauchistes pendant que son homologue agriculteur s’escrime à droite contre la gauche et les autres droites. Rien ne sort de cette effervescence. Rien qu’une petite voix satisfaite d’avoir appris quelque chose de différent de ce que les autres "autres" savent ou ne savent pas. Ils sont presque gentils. Sauf quand ils reniflent le véritable écrivain. Ils ne répondent pas à l’écrit nageur d’autres eaux. Ils se rongent. Jouent des coudes. Avec des politesses de sous-officiers. Ils sentent la crasse des coussins. Peut-on les soupçonner d’autres crasses ? C’est qu’ils ont pris le monde en charge. Dans le monde, ils ont mis leur bonheur de pacotille et le destin du tiers-monde. Ils ont exclu la profondeur, l’obscurité, la douleur, l’impossibilité d’être autrement. Ils se vengent. Gare à leurs enfants.

J’ai ramassé dans la rue un de ces êtres sans lendemain (un enfant). Il tuait le temps gaspillé par son père ou sa mère, je ne sais plus. À la réflexion, son père et sa mère ne faisaient qu’un. Ils étaient dans une maison, dans un département, ils habitaient une rue, ils connaissaient le nom des chats. As-tu réfléchi ? posai-je comme question. Il avait réfléchi. Mon père écrit que des conneries, me dit-il, et ma mère les lit ! Il avait lu le début et la fin des conneries de son père. Il ne connaissait pas les développements de l’imagination et du pouvoir de son père sur l’écriture. Il était superficiel lui aussi. Il le savait lui aussi. La seule chose qui le différenciait, c’était cette manière incroyable de se jeter dans la rue quand ça allait mal au niveau familial. Si vous avez d’autres questions, me dit-il, allez les poser à mon père. Mais comment poser des questions aussi embarrassantes à un écrivain qu’on n’a pas lu ? Comment frapper à la porte de cette association ? Il y a des moments où on devrait tuer l’autre. Il sentait bien, ce morveux, que j’avais envie de le tuer. Il me montrait ses dents soignées, un peu sales, sales de deux jours peut-être, pas plus. Pourquoi lui avais-je avoué que j’étais écrivain moi-même ? Par quel chemin en étais-je arrivé à cette confession ? C’est le problème avec la littérature, le fil. Pas de transparence ici, comme en musique ou en art. Il savait aussi maintenant que je pratiquais les arts et la musique. Son père se limitait à la littérature mais il n’avait pas commencé par-là ; il avait d’abord été critique. Il y avait toujours un peu de critique dans ce qu’il écrivait. Ça plaisait bien, cette manière de s’adresser au cerveau sans le solliciter. Il avait abandonné les problèmes liés à la fable. Il raillait les possibilités du chant. Il lisait le journal et en écrivait un, plus intime, plus lisible aussi peut-être. Comme sa femme le lisait régulièrement, il ne devait pas y mettre tout ce qui lui passait par la tête. Il était dur, ce morveux. S’il avait eu une idée de ma propre épopée littéraire, il ne se serait pas empêché de baver dessus. Je le livrai aux flics et je filai par la tangente.

Chez moi, il n’y a personne que moi et ce qui m’appartient. Il faudra un jour que je me pose la question de savoir ce que j’ai vraiment donné et si c’était justifié par la propriété. Le matin, "j’enfile mes bottines"**. J’écris des lettres patientes à des écrivains secondaires qui se vexent. Dehors, on me demande de quoi je vis. On vérifie mes billets de banque. Je dois me méfier de la marchande de légumes qui a l’art de me présenter les fruits du côté qui l’arrange. Le boucher me fait la gueule parce que je ne mange pas ses animaux. Le fleuriste me soupçonne d’empoisonner l’air de mes parfums hérités du XIXe siècle, un siècle à révolution sociale, celui que je préfère en effet, estimant qu’il y a peu de choses à tirer des guerres de religions du XXe. Ce qui fait de moi un bon habitant de ce siècle-ci. Pauvres cons, les cons qui se sont enracinés dans le siècle précédent. Ils jouent avec les objets quotidiens au lieu de les utiliser. Les écrivains comme les autres. Ce n’est pas qu’ils donnent l’exemple, ils font comme les autres et en plus ils écrivent. Le contrat d’édition s’est-il amélioré sous leur influence ? Non, n’est-ce pas ? Ils appartiennent à ce foutu XXe siècle qui doit commencer avec le massacre des poètes et des syndicalistes pendant la première guerre mondiale et qui devrait se terminer avec l’écrasement de l’Islam, de ce qu’il en reste depuis qu’il n’en reste plus grand chose. Au café, je n’ai pas de conversation. Je regarde la rue. Je me revois la traversant chaque jour pour aller au café. J’ai envie de parler. La dernière fois que j’ai parlé, on m’a dit que j’allais trop loin. Je suis revenu sur ces pas. Il n’y a pas d’écrivain sans cette négociation. Il s’agit du bonheur. On joue facilement avec les autres sur ce terrain. On les invite. On met de la facilité dans les rouages. Ça fonctionne souvent. Chronique du bien ! Il faut arriver à ceci : être compétent pour renoncer à l’autre et l’obliger à n’être plus lui-même. Il faut un état pour ça ! Et l’envie de le servir. Être capable de décider d’être juge dans le but de faire dire à un personnage futur : Je ne suis pas dangereux pour la société, moi ! Et bien sûr s’identifier avec ce personnage. Exiger de l’autre qu’il s’identifie lui aussi. Sous quelle peine ? Merde ! Quel est la peine du lecteur à ce moment-là ? Est-ce que les serviteurs n’écrivent que pour les serviteurs ? Il faut rajouter du texte à La Mort de Virgile***.

À qui ai-je écrit cette fois ?

Patrick CINTAS
Directeur de la "revue d’art et de littérature, musique"



* Daumal
** Picabia (391)
*** Broch
 


Pour d’autres opinions, voir BORTEK

 

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