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Inventaire des pertes (feuilleton)
Anecdotes & autres poèmes
[E-mail] Article publié le 7 avril 2024. oOo N 1988-02 Anecdotes & autres poèmes Type : 50 à 100 feuilles A4 recto tapuscrites ; Dates : ca septembre 1987-octobre 1988 ; Matières : poèmes ; Textes : Anecdotes : dix mille particules de perceptions et un flop orchestral
Sous ce titre vague, générique, inspiré de la couverture qui me reste d’un recueil qui n’a peut-être jamais existé : Anecdotes : dix mille particules de perceptions et un flop orchestral, se dessine une double absence : celle du livre, ou peut-être seulement du feuillet, qui a peut-être accompagné cette page de titre ; celle des poèmes, de la brassée des poèmes qui se sont accumulés à grande vitesse avant de se voir détruits, à un moment où mon existence poétique m’asphyxiait littéralement, peut-être. Je n’avais plus que faire de la poésie, comprenez : j’écrivais Le sens des réalités. Une page du roman l’indique assez précisément.
J’attends les parades. Les mascarades. J’attends le meurtrier dans la foule. C’est un jour de fête, aujourd’hui est jour de fête et c’est un jour parfait pour un meurtre comme celui qui sera effectué devant nos yeux coupables de vision, cette lubrique vision psychotique. Mes yeux verront et ils te verront. Pas tout de suite : j’ai des gens à avoir, des gens qui sont des gens importants, de la haute société. Ils veulent connaître mon histoire, je la leur dois : il ne me reste qu’à l’inventer à nouveau. Ils m’attendent et me jugeront s’il le faut. Je ne tenterai pas de m’y soustraire : j’agrée. De versatiles volatiles se pourfendent le crâne. Mort d’une cervelle de piaf. Je sors tout de même. Je marche souvent, dans la rue, lorsque je suis seul. Je marche souvent. J’écris des poèmes aussi et l’on me dit qu’ils sont meilleurs que mes textes narratifs. Alors j’ai arrêté d’écrire des poèmes. Je les ai tous brûlés. Ca m’évitera une gloire trop embarrassante. Bon, on me demande aussi d’où je tire toute cette imagination. Et comment pourrais-je supporter ces questions de racaille, une fois célèbre ? Le bus s’arrête station La Folie. Je monte, avec la certitude d’être vu. Je hais être vu. Cela m’indispose. Innommable pourriture oculaire… J’écraserai tes yeux.
Je ne crois pas avoir brûlé les poèmes mais plutôt déchiquetés avant de les jeter à la poubelle à une époque où n’existait pas le tri sélectif. Ces lignes sont-elles même postérieures à la destruction effectif du corpus en question ? Rien ne permet de l’affirmer. En revanche, le soliloque indique assez clairement l’embarras où je me trouvais avec la poésie à ce moment. De cette production qui devait compter une cinquantaine ou une centaine de poèmes (comment savoir ?), il reste des textes épars, tapuscrits ou manuscrits. Les manuscrits sont généralement fragmentaires. Les tapuscrits sont plutôt des poèmes complets.
Ce poème paraît tardif, peut-être est-il contemporain du Sens des réalités. L’injonction romanesque des derniers vers ressemble fortement à la rencontre énigmatique qui clôt la nouvelle « Jeux d’œil » (rédigée juste après que j’aie eu terminé Le sens des réalités) et la source d’inspiration est manifestement la même : la chanson « Extraterrestrial Intelligence » de Blue Öyster Cult..
Le poème « Opulence » est plus difficile à situer dans le temps, il n’offre pas de points de repère de ce type. Il est sans doute assez représentatif des poèmes détruits (mais ce n’est qu’une hypothèse).
Il n’est pas plus évident de dater le poème suivant qui a fait l’objet, par la suite, de plusieurs variations.
Relire un tel poème est pour moi une expérience troublante car il témoigne à la fois d’une discontinuité – je le vois presque comme le poème d’un autre – et en même temps de continuités très fortes dans l’énonciation, qui n’est pas sans parenté avec certains poèmes du Récit ruisselant, survenu quelques années plus tard.
Quant aux fragments manuscrits, ils offrent peu de prise à la reconstitution d’un corpus poétique anéanti. Ce sont des vers isolés où se laissent aisément lire influences et obsessions personnelles. Ils permettent néanmoins de confirmer la permanence de certains thèmes et le rôle central de l’univers urbain dans ma production juvénile.
Je n’ai malheureusement pas gardé la trace d’une interview où Jim Morrison expliquait que la totalité de ses poèmes de jeunesse étaient perdus (égarés ou détruits) et qu’il en avait éprouvé une forme de libération. Cette pensée m’avait ramené à mes propres « pertes », pour partielles qu’elles étaient. Il y avait bien une volonté de libération dans les destructions opérées, qu’il s’agisse de ce corpus indéterminé de poèmes que je m’étais refusé à corriger, à reprendre, à relire même quand j’étais encore au lycée ou de l’épisode du 1er mai 1996, qui a fait l’objet d’une note de journal consignée en annexe. Par la suite, pourtant, j’en suis sans cesse revenu au reliquat de ce temps, comme si j’y avais recherché un sens premier, une séquence originaire ou même une intention initiale à laquelle il me fallait absolument me raccrocher car elle m’apparaissait peut-être comme le seul témoin de l’intégrité de cette écriture. Les poèmes en liasse n’étant plus, je me suis rabattu sur Pyramides urbaines et cinémas antiques d’où sont dérivés plusieurs poèmes, eux-mêmes souvent repris par la suite, jusqu’à ce que je me rende compte (?) qu’il n’y avait aucune amélioration à attendre, à proprement parler, de ces reprises. Elles engendraient des variantes, qui n’effaçaient aucunement la rédaction initiale mais s’y ajoutaient. Ainsi de cette séquence de Pyramides urbaines d’où découlent de si nombreux poèmes qu’ils pourraient former la matière d’un recueil complet (et pas une plaquette) à eux seuls :
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