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Le calepin d'un fragmentiste - 37 - Qui l'eût dit
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 Article publié le 10 décembre 2023.

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Je retourne les filles et les idées comme des crêpes, c’est dire si j’en avale des goujons, des gaffes, des couleuvres grosses comme le bras, des chars à bancs ferrés, des gerbières d’invectiveurs, si j’en ravale des bons mots, des vers macaroniques, des vers de circonstance, des tirades d’insanités…

Je dégourdis la trouveresse Clotilde de Surville, c’est dire que je connais le refrain de sa ballade.

Je m’amourache d‘une faiseuse d’anges, c’est dire que je me prends pour Melozzo da Forli.

Je déguignonne des catherinettes, c’est dire si je vénère les toiles d’aragne et la mandragore.

Je dévergonde une marchande d’oignons, c’est dire que je m’y connais en ciboules.

Je déniaise une meneuse d’oies, c’est dire que j’entrave le jars.

Je débourre une buraliste, c’est dire que je m’y connais en passages à tabac.

Je m’assotte d’une tête-en-l’air, est-ce à dire que je suis sujet à des lunes, que je me perds dans les nuages, que je lézarde au soleil, que je compte les étoiles ?

En attendant d’exercer pleinement mon métier, pour faire bouillir la marmite et me remplir la panse, je bricole chez l’un et chez l’autre, c’est dire que je quitte aisément la guitare pour la truelle, le vilebrequin pour la faucille, la lime pour le pupitre, la marmite pour le marteau, la plume pour le niveau à bulle…

Je m’emportais, je sortais de mes gonds, je débordais comme une soupe au lait sur le feu, c’est dire que je n’ai pas toujours été un cautère, un emplâtre sur une jambe de bois, la cinquième roue d’une citrouille, un basochien dans un jeu de béquilles, une loque loquace, une grosse et lourde pièce de chair à la double ration de gniole et de tabac de caporal…

J’en pince pour une gratteuse, une pinceuse de mandoline et pour le cul de Fanny, c’est dire si je branle dans le manche de la paluche gauche.

Je dégrossis une gardeuse de cabres, c’est dire combien je suis heureux de m’y connaître en cabrioles, en galipettes et en pastorales.

Me voici toujours mourant à quelque chose, tendre et sensible aux fredons et aux frelons, misant jusqu’à ma dernière souquenille, c’est dire que mimant l’arrogance, la douleur, la joie, l’agonie, je joue de vilains tours à ce coquin de sort et que, plaidant contre ma cédule, je contrarie mes féaux et mes interrogants.

J’emballe et déballe des baladines, est-ce à dire que je palpite et balance et que ma musique à bretelles met le bal en train ?

Je déflore des fleuristes, c’est dire que j’ai la pogne et la langue verte.

Je m’embéguine d’une rosière, c’est dire si je réveille les pots de marjolaine, de misère, si je guitare pour les géraniums, pour une pauvre mésange.

J’enfarine une boulangère et une meunière, c’est dire si je suis au four et au moulin.

Je dégauchis des arpètes, c’est dire si j’en saigne et en bave pour en apprendre encore et encore de jour en jour.

Je débauche une manucure, c’est dire si je supporte des broquilles sous les ongles et une poupée à chaque doigt.

En faisant le tour du cadran dans la rue de mon enfance, j’ai rencontré un rescapé de la drôle de guerre, le rémouleur, la matelassière, le placardeur d’affiches avec son seau, sa brosse, ses rallonges et son échelle, le ramoneur, son hérisson sur l’épaule, c’est dire si j’ai de la poudre d’escampette, des bluettes, de la bourre, de la colle et de la suie dans les idées.

J’embarque pour Anticythère, est-ce à dire que je renonce aux diseuses à voix, aux goulues, aux pattes-en-l’air des bouibouis, aux tétonnières, aux pétasses callipyges des squares, aux néréides anadyomènes, aux nymphes des fontaines de Jouvence, aux chagrins gris des clairs de lune, aux toupies court-vêtues et échancrées, au Diable et à ses pompes ?

Je m’en souviendrai de mes premières douilles, de mes premières cartouches, de mes premières gargousses, de mes premiers plombs, de mes premières pierres, c’est dire que je n’ai jamais canardé que des oiseaux d’argile, que des boîtes de conserve, que des bouteilles, que des cartons de fête foraine.

J’en fréquente une qui, en même temps, se cachotte derrière son éventail et écarquille les gambettes, une qui s’agenouille, une enfilade de Salvés et d’antiennes dans son baladeur, une autre qui n’aspire qu’au tête-bêche, c’est dire si je me méfie des cracheurs au bassinet, des maquereaux torchés au vin blanc, des barbeaux à bobards, des tireurs à la culasse, des fouteurs à la petite fin de mois…

Un quignon oint et aillé, un hareng, des oignons… De quoi me fourrer quelque chose dans le lampion ; une gourde de rouge lampant pour m’humecter le lampas, un Bic et un carnet Moleskine dans ma musette, c’est dire si j’ai de quoi rouler mille vies et mille morts.

Je dorlote la bibliothécaire, c’est dire que je ne me rassasie pas de savoir ce que les rossignols savent, ni de compter les clous de la porte de l’enfer.

J’enjôle ma geôlière, est-ce à dire qu’à l’appétit d’un rouge liard, d’une pistole de gueux, d’une bouchée de pain d’épice, d’une gorgée de clairette de Die, d’un trait de blanquette de Limoux, d’une lampée de rhum ou d’un cigare, je donne mes aminches ?

Allez-vous-en, gens de la noce, on n’a plus besoin de vous, c’est dire que l’abrifou, le riz, la jarretière, les voiles, le bouquet, les violons sont payés.

Je me piète contre la troupe qui passe, c’est dire si je fais des mailloches de mes poings et des battes de mes cubitus.

J’entortille des confiseuses, c’est dire si je leur tiens la dragée haute et leur refile mes devises de papillotes.

J’abuse des théâtreuses, c’est dire si je mets de mon côté, poulaillers hilarants, cantonades sans gestes et sans voix, chevaliers du lustre, strapontins turbulents, derniers rangs disloqués.

J’affriole les petits rats, les pâtiras de l’Opéra avec des chaussons aux pommes, c’est dire si je m’y connais en tutu, en tutu-pampan, en pampan-tutu et en turlututu.

Je suis dans ma bergère à compter les moutons, dans ma ganache à mâcher à vide, dans mon crapaud à coasser, c’est dire si je prends mon temps pour fagoter des contes et des fables.

J’allèche les lécheuses de vitrines, c’est dire si je fais merveille du plat de la langue.

J’attrape aux tournants des chemins de croix les chipies de la paroisse, de la chapelle, de la sacristie, de l’autel, c’est dire si je me calme les nerfs sur leur esquine, sur leur coccyx, sur leur râble avec mon pébroque.

J’embobeline des bobies, c’est dire si je me contente des restes.

Je m’invente des rendez-vous avec la reine Gillette, la reine Mab, la femme de Putiphar, la papesse Jeanne et des cucendrons, c’est dire si l’air de rien, je ralentis le pas, si je me retarde pour ne pas arriver trop tôt et croquer le marmot sous l’orme, poireauter sur le rade, piler du poivre, faire de la potasse… Si j’ai tardé, c’est la faute des mouches, des taons, des libellules, des chenilles, des papillons, des cigales, des tanks…

Je m’éprends d’une revendeuse de pissenlits, de betteraves, d’asperges, d’endives, c’est dire si je pisse rouge et fétide, si je crache amer.

J’aborde les gisquettes et les occasionnelles, c’est dire si je joue à jeu sûr.

J’envoûte une châtelaine, c’est dire que je dois de tous côtés, à Dieu, à Diable, au monde, au tiers et au quart.

Je dessale des ramendeuses de filets, des ravaudeuses de misaines, des marchandes de salaisons de terre et de mer, des harengères en caque de la halle, des pleureuses saumâtres, c’est dire si j’attendais les chevaux de salmare, les béliers forcenés, les moutons de Panurge dans les genoux de ma mère.

J’accoste sans pétards, ni amorces, ni artifices, la première trouvée c’est dire si j’ai le don de la parole et l’argent facile.

Je largue les diseuses de bonne aventure, les tireuses de cartes, les devineresses à la voix oraculeuse, les voyantes en virée dans leur boule de cristal, en reconnaissance le long des lignes de mes mains, la sénestre, celle du passé, la dextre, celle de l’avenir, en patrouille dans du marc de café et les pipeuses de dés c’est dire que je soupe rarement à la fortune du pot, que j’esquive les coups du sort tout en laissant des machins, des trucs, des choses au hasard.

J’épie mes voisines, c’est dire si je vois midi et minuit à leur porte.

Je ne suis pas de ceux qui parlent à travers leur bonnet phrygien, leur bannière dans la fouille, c’est dire si je peine sur des parchemins raboteux propices à l’escapade, si je connais le fracas de ce monde trempé de sueur, de larmes et de sang.

Il pleut contre toute raison, c’est dire s’il tombe des prêtres, des capelans, des ecclésiastiques la tête en haut, la tête en bas, des nonnes retroussées, des bedeaux bedonnants…

Je ne fais guère d’ordures au logis, le plafond ne me tombera pas dessus, je supporte mes voisins, c’est dire que je suis presque toujours en vadrouille à travers champs, par monts et par vaux été comme hiver, par quatre chemins de croix à la fois à la foi, à la foi de Bohême, à la foi de saint Thomas, à la foi de ma bougnate de Montparnasse, par ceux qui mènent les cloches à Rome, par ceux qui mènent à Damas, par ceux tantôt pierreux, tantôt de velours, tantôt ferrés des vaches, par ceux des écoliers, par ceux des semaines de quatre jeudis qui se perdent sous les buissons.

Je rencogne des Mariannes, je chiffonne des Madelons, je dégargaille des Marseillaises, j’embouche à me découdre les joues les trompettes de la République, c’est dire si j’apprécie les après-guerre. 

Je remplace le mannequin Peace et le génie de la Bastille au pied levé, une bonne neuvaine si nécessaire, le temps de faire leur toilette, de leur asticoter les côtes, de les astiquer de pied en cap, C’est dire si je passe inaperçu.

 

Robert VITTON, 2023

 

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