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Les couleurs de mon enfance
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 Article publié le 9 avril 2023.

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Le rouge et le bleu furent mes deux premières couleurs, les couleurs marquantes dans l’enfance d’un enfant solitaire, volontiers solitaire mais qui ne se sentait jamais seul car il avait pour lui seul un grand jardin potager, un vaste verger et un immense grenier qu’il pouvait explorer à sa guise en toute sécurité.

Les hauts murs de pierre taillée gris-bleu, le grand portique vert sapin et jusqu’au perron donnaient à sa maison des allures de solennité et de tranquillité dans un quartier urbain excentré. Il faut dire que le quartier Saint-Claude à Besançon à la fin des années cinquante, c’était encore la ville à la campagne, avec des fermes et des vaches laitières alentour, de grandes villas cossues, de modestes maisons toutes pourvues de jardins vivriers, avant que ne poussent comme des champignons des immeubles-cages à lapins, de petites résidences et des barres d’immeubles pour y entasser les masses laborieuses. 

La rouge, disais-je… ah mais pas n’importe quel rouge ! le rouge des braises rougeoyantes dans le petit poêle en faïence bleu-gris de ma chambre, des braises comme des yeux qui respiraient, pulsaient en cadence, dévoreurs de lumière. Le feu haletait, gémissait parfois, toujours respirait. On se chauffait au charbon en ce temps-là…

Il y eut aussi la goutte de sang écarlate qui sortit de mon pouce droit, après que je me fus salement écorché avec une grosse épine de rosier restée plantée dans mon pouce et qu’il me fallut extraire moi-même sans peine. Le rouge vif de se sang rivalisait sans peine avec la pourpre des roses en fleurs ! Aucun dégoût à la vue de ce sang, aucune exaltation non plus, juste une grosse goutte d’un sang rouge vif, épais et luisant, la toute première !

Les tulipes rouges flamboyaient le long de l’allée principale qui menait au jardin. A la belle saison, je déterrais les carottes sauvages, si nombreuses, qui s’étaient repiqués un peu partout au fil du temps, et j’étais fasciné par le mouron d’un bleu intense proche de celui du myosotis, la fleur préférée de ma grand-mère ; je l’observais assis sur les graviers blancs de l’allée, tentant d’en percer le vénéneux secret, car on m’avait averti qu’il ne fallait jamais donner cette plante à manger aux lapins !

Le bleu du ciel, aussi, dans le grand verger fut un compagnon idéal, comme si, penché sur mon épaule, il veillait à ce que tout se passât bien, pendant que je retournais la terre. Les objets ferreux plus ou moins rouillés y étaient nombreux qui excitaient ma curiosité d’enfant. La guerre était passée par-là, la maison ayant été occupée par des Allemands en déroute délogés par les troupes américaines, ce que je sus très tôt grâce à mon père qui aimait me raconter.

Lors de mes expéditions de petit terrassier, je n’ai déniché aucun trésor mais j’ai découvert le bonheur de chercher qui ne m’a plus jamais lâché. Quelques années plus tard, un camarade de classe et un de ces copains dénichèrent un petit coffre de bois rempli de pièces d’or, d’argent et de cuivre datant me dit-il, du règne de Henry IV qui fit avec son armée des incursions meurtrières en Franche-Comté. Le bon Roi Henry, mon cul !

Un bleu métallique me fascina quelques instants : une énorme mouche bleue s’était bizarrement enfilée dans un trou aménagé dans l’établi de mon père qu’il avait installé à l’air libre pour y bricoler. J’en fus saisi de dégoût. J’aurais voulu tuer cette mouche. Mon premier souvenir où l’envie de tuer me prit !

La chaleur du foyer, le poêle dans ma chambre, les hauts murs de pierre de taille gris-bleu, les tulipes rouge-vif, le bleu du ciel, le mouron, une mouche bleue, voilà un inventaire à la Prévert de plus dans lequel se dit toute l’épaisseur du monde éprouvée par un enfant au milieu du siècle dernier…

 

Jean-Michel Guyot

7 février 2023

 

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