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Carnet de Keanu et autres notes du projectionniste
5- Dénouements - Keanu devant le policier

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 Article publié le 20 février 2022.

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Keanus’éveille dans la nuit. Un meurtre a été commis. On ne voit pas bien le cadavre mais le policier Hector est déjà sur les lieux. Keanu s’étonne.

« Pourquoi s’émouvoir de ce meurtre maintenant, enfin ? »

Tant d’autres l’ont précédé, en effet. Celui-là a quelque chose de naturel. C’est ce que confirme d’ailleurs le policier Hector. Mais il pense à autre chose, à un autre crime, plus abstrait encore, sans auteur ni victime, sans mobile surtout (alors que celui-ci, de toute évidence, est entièrement tissé de mobiles mobiles).

Le policier regarde Keanu, juste vêtue d’une nuisette blanche, presque transparente. Elle tient fermement la crosse rose de son cutter en main. Il la voit presque nue et suspecte mais son attention fragmentée ne parvient pas à se fixer sur la scène de crime. Les seins de Keanu transparaissent, légers et très doux, semble-t-il.

Il reste subjugué par le rose vif de leurs pointes qui sont comme des lucioles dans la nuit et semblent exprimer une solitude sans fond. Celle de Keanu ou celle du policier, ou encore celle - résolue, il est vrai - de la victime isolée de tout ce qui existe et donc inaccessible même à l’autopsie.

Le cutter que tient en main Keanu est doté d’une lame neuve alors que ses jambes ont été longées par une lame plus ancienne, ce qu’elle voudrait nier. Mais le policier Hector, fasciné par la nuisette translucide de la jeune femme et la lueur vive qui émane de sa poitrine si désirable, ne lui en laissera pas l’occasion.

Il est incapable d’interroger ce corps où il voudrait se lover. Il ignore que Keanu a disparu et si on le lui expliquait, il n’en croirait pas un traître mot car la disparition, estime-t-il, est une toute autre affaire. Qu’il y ait « disparition » ici lui semblerait rien moins que trouble. Ce corps n’est que présence, se convainc le policier Hector qui voudrait serrer contre lui la silhouette subtile à l’excès de la jeune actrice disparue et qui imagine peut-être - le fou ! - qu’elle pourrait être animée du même désir.

Il voit les lignes qu’on a dessinées au cutter sur ses jambes si fines. Il voudrait lui parler, retenir la main qui a blessé ce corps, l’amener à ses lèvres pour en mordiller les doigts, comme si par la magie de cette action il avait pu l’empêcher de se détruire. Mais ce désir-là est peut-être plus insane que tous les autres réunis. Peut-on jamais empêcher un être d’aller vers sa fin ?

Certes non, estime de son côté Keanu qui ne répond pas tout à fait à la question du policier plongé dans un désir confus, qui pense au lieu de ça au garçon un peu niais qui avait fini par se trancher les lèvres à cause des sarcasmes d’une camarade de classe.

Les questions sans réponse se mêlent aux dénégations silencieuses des deux êtres figés dans leur commune absence d’élan. Le policier a bien conservé, dans une petite boite, les lèvres comédiennes pourrissantes du projectionniste qui ne jouent plus à rien depuis la mort de Jack Ern-Streizald. Mais qu’en était-il réellement ? Il n’a aucune idée du crime qui peut avoir été commis mais qui ne se résout manifestement pas en une « disparition ».

En face de lui, Keanu se tait. Elle regarde ses pieds, comme s’ils flottaient sur un sol de vapeur. Le policier est-il réel ? Ou est-ce encore une scène scabreuse qu’on lui impose sans l’avoir prévenue que des caméras l’attendraient dès l’éveil pour injecter un peu du sentiment de la réalité dans la conscience des spectateurs qui ne savent pas plus que Keanu ce qui relève du cinéma et ce qui s’apparente à une manipulation mentale aux objectifs rien moins qu’opaques.

 

 

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