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C'est pour parler
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 Article publié le 2 mai 2021.

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Parler, parler, toujours parler,

Que les regrets sont volubiles.

C’est de la prose à déballer,

Des vers, ma féale à bouler,

Des vers, mon stylogriffe à bile !

 

Cela se chante sur les toits,

 Cela se murmure à l’esgourde,

Chacun s’explique en son patois.

Je ne vois nulle autre que toi

Pour m’être flambe, couche et gourde.

 

Ma toux me tourmente à mourir,

C’est le moment de lâcher prise.

Guérir, guérir, toujours guérir,

Quand je ne peux plus me souffrir,

Je chante mon temps des cerises.

 

L’argent ouvre tous les verrous,

Débrouille toutes les serrures,

Serre et desserre les écrous,

Bouche les vues, les ouïes, les trous,

Coud les plaies et les déchirures.

 

 

J’aurai dans les labours bourbeux,

Aux longues cornes des charrues,

Mis ma plume devant les bœufs,

Tripatouillé mes vers verbeux

Et chanté ma prose bourrue.

 

Je cloche devant les boiteux,

Devant les bègues je bégaie,

Je trinque avec les marmiteux,

Je malmène les maupiteux…

J’ai comme eux la malvoisie gaie.

 

Je trame comme un galérien,

Comme un forçat de mélodrame ;

Je trime comme un grammairien.

Le temps comme il vient, l’air de rien,

M’aura râpé jusqu’à la trame.

 

Je galvaude les galvaudeux,

Meurs de rire et pleure misère,

Et j’estourbis en moins de deux,

Les sans-gêne, les gobeurs d’oeufs

Et les égreneurs de rosaires.

 

 

 

 

Je prends le monde comme il va,

Puisqu’il n’est jamais à ma mode.

De ses friches, de ses gravats,

De ses tragiques canevas,

Il faut que je m’en accommode.

 

Le clocheteur des trépassés,

Le meneur des convois funèbres,

Les attelages harassés,

Les cadavres dans les fossés

Et des flambeaux dans les ténèbres.

 

Vous n’étiez pas encore né,

Et moi, pauvre de moi, l’étais-je

Quand tous les clochers ont sonné

Le retour des camps des damnés,

Au passage de longs cortèges ?

 

Je suis ferme sur mes arçons,

Je frappe et d’estoc et de taille.

Mon âne a son caparaçon.

J’escarmouche dans ma chanson,

Je perds ma plume à la bataille.

 

 

 

Ne fus-je qu’un fou de tacots,

Qu’un gabier, qu’un hale-boulines,

Qu’un cueilleur de coquelicots ?

Je me lève au coquerico,

Mais me couche avec les gélines.

 

Jadis entre vergue et rabans,

Je n’ai ni cabas, ni cabane,

Ni coqueluchon, ni caban.

L’hiver et l’été sur un banc,

Je dors dans une vieille banne.

 

Je vois des anges violets,

Des goélands, des goélettes,

La mer remonte ses filets

Et rouscaille entre les galets ;

J’ai ses moutons sous ma houlette.

 

Dans mes phrases les calicots,

Les cors, les trompettes parlantes,

Ne s’insurgent pas sans échos.

Je ne réponds qu’à mes écots,

Roulez, machines ambulantes !

 

 

 

 

Je n’ai plus rien à oublier.

Je passe une raie sur mes vies,

Une vie de chien sans collier,

Une vie de fol à lier…

Et cette vie veuve d’envies.

 

La Poésie me prend au mot,

Tout parle, tout parle pour elle,

Des monts fleuris aux monts hiémaux,

Des abatis aux champs d’émaux

Et je frotte la chanterelle.

 

En plein tintouin, en plein tourment,

Ma vieille escorte musicienne

Fait converser ses instruments

Vert-de-grisés aux monuments

Aux morts, dans des hymnes anciennes.

 

Quand je gratte mon dulcimer,

C’est mon cœur, mon cœur qui s’épanche

Mêlant mots doux et mots amers

Et je me revois sur la mer,

Des fées sur ma barque se penchent.

 

 

 

 

 

Que machinez-vous, vous, là-bas,

Vous qui rôdez dans les parages

Sur vos grandes gailles de bât ?

Vous faites de sacrés sabbats…

N’approchez pas de mes outrages !

 

Avant de m’aller ricanant,

Pioche et pelle au bord de la fosse,

Je vois passer les revenants,

Des citadins et des manants,

Tous me souhaitent bleus, plaies et bosses.

 

Que chacun fasse son fracas !

Voici la fin de nos souffrances,

De nos soucis, de nos tracas…

Pour l’heure, ce n’est pas le cas,

Ô mes loufoques espérances !

 

Ce vin fait revenir les morts,

On les attend à la buvette

Où nous nous abreuvons le mors,

Noyant chagrins, regrets, remords,

Tout en dansant les jolivettes.

 

 

 

Qui trop embrasse mal étreint.

Je mène une vie dérangée

Sans jamais y être contraint ;

Je regarde passer les trains

Et goûte à la vache enragée.

 

Vous me faites perdre mon temps.

Quand je décide d’être agreste,

Bien que je sois souvent partant,

Aux nues, l’âme et le coeur contents,

Je n’ai pas du loisir de reste.

 

Ma muse est entrée dans son neuf,

Elle est au bout de sa grossesse,

Elle est prête à pondre son œuf,

À se refaire un corps tout neuf.

Il est temps que son tourment cesse.

 

Une cocarde au bousingot,

Une fleur à la boutonnière,

Je m’en retourne à mon flingot,

À ma courge, à mon larigot,

À ma musette, à ma bannière…

 

 

 

 

Chargé de bois sur l’horizon,

Je me casse comme un Cassandre.

Malgré les belles oraisons,

Les morts n’ont pas toujours raison.

J’en aurai remué des cendres.

 

Je me souviens de vos tétons…

J’aurai tout fait pour vous déplaire,

Jusqu’à jouer le faux jeton,

L’endiablé qui monte le ton,

L’entêté rouge de colère…

 

Il suffit, laissons ça, c’est bon !

Je ne joue plus les pères grimes,

Les apôtres, ni les barbons.

Dans des histoires à rebonds,

Je croise le fer et des rimes.

 

Je ne regrette plus l’été,

Je ne suis plus en pleine sève,

J’ai tout de même encore été

Emmi des reines de beauté,

Plusieurs fois, le roi de la fève.

 

 

 

 

Dessus et entre les tréteaux,

J’ai des rôles à queue de pie,

À camisole et à manteaux,

À la Crispin, à la Pétaud,

Couleur de muraille, en charpie.

 

Hourra ! Hourra ! Va ! Va ! Vas-y !

Rares sont ceux qui m’encouragent,

Quelques cruches en cramoisi.

Le cœur y est, c’est du choisi,

Du costaud, de la belle ouvrage.

 

On jacte à tort et à travers,

On gobelotte, on se goberge,

On sommeille les yeux ouverts,

On passe comme on peut l’hiver,

On n’est pas sorti de l’auberge.

 

Je rêve de tout laisser choir,

De ne plus retenir personne,

Ceux qui me prêtent leur mouchoir,

Ceux qui me tiennent le crachoir,

Ni vous mes garces, mes garçonnes.

 

 

 

 

J’en connais qui parlent phébus

Joignant le geste à la parole,

Versificateurs de bibus,

Passeurs de poudre d’oribus,

Et dérouleurs de banderoles.

 

Je redoute le poids des ans,

Les meutes qui me veulent taire,

Les rondes de chants écrasants

Et les patrouilles ne visant

Qu’à me mettre plus bas que terre.

 

Tu peux encore me tâter.

Le pèze ne me pèse guère,

 Je le dépense sans compter,

Je ne m’en laisse pas conter,

Crédit peut mourir à la guerre.

 

Je parle pour parler, les gars,

 Au papier, aux murs, aux murailles.

J’ai toujours fait de grands dégâts

De mots, de nouilles, de nougats…

La plume, l’amour et la graille !

 

 

 

 

J’attendrais d’en être aux regrets

Pour me retirer en moi-même,

Pour découvrir tous mes secrets

Derrière mon tas de cotrets ;

Saurai-je pour autant qui m’aime ?

 

Je compte et paie les violons,

Mais ce sont les autres qui dansent,

Je reste dans les sanglots longs,

Pognes potes, panards de plomb,

À qui le dire en confidence ?

 

Elle vous parle ferme et haut,

Ma sentinelle sans consigne.

Mais que vous vend la météo-

romancienne à tous crins ? Hé ! Ho !

Témoignez quand je vous fais signe !

 

Chacun y va de son couplet,

Je remballe mes dédicaces,

Mon couteau à cabriolet,

Ma boussole et mon flageolet.

Je ne réponds plus de la casse.

 

 

 

 

Nous savons notre pain manger

Et notre jus de sarments boire,

Avec quelques os à ronger,

Et puis des joies à partager

Entre le fromage et la poire.

 

Je me coltine un couffin d’os.

On me prête des goûts morbides

Et un exécrable credo.

Je n’ai plus qu’un drap sur le dos,

Et mes quêtes vont dans mon bide.

 

Cependant bonhomme n’a pas

Sa besace, n’a pas ses quilles,

N’a pas toujours ses trois repas,

N’a pas sa cagne sur ses pas,

Ni dans ses vieux jeux de béquilles.

 

Je suis comme un simple ressort,

Toujours plus long à la détente,

Je n’ai plus à prendre l’essor.

 Mécontent de mon triste sort,

Plus rien ici-bas ne me tente.

 

 

 

 

Quand le bâtiment va sans va-

 gues, va comme sur des roulettes

- Brave ! Bravi ! Bravo ! Brava ! -,

Les cours résonnent de vivats

Et se jonchent de violettes.

 

Le long des murs, des bruits rugueux,

Ma muse a des rats dans sa nasse.

Elle fait le bonheur des gueux,

Des cabots et des chats fougueux,

Des crayonneurs du mont Parnasse.

 

Les mains endurcies de calus,

Je gratte une pauvre six cordes,

Mes esgourdes font leur salut.

Appelés, appelants, élus,

Sourdingues crient miséricorde.

 

Vous me voyez traîne-malheur,

 Pique-assiette, tondeur de nappes,

Ecrivassier, écornifleur,

Pince-sans-rire, rigoleur

Qui vide et chante les hanaps.

 

 

 

 

Je ne suis pas qu’un goualeur,

J’ai des témoins auriculaires,

Je rossignole les douleurs,

Je roucoule trempé de pleurs

Et j’en envoie faire lanlaire.

 

La Mort a troublé mon repos

Tout un été dans le mal être,

En boule au fond de mon tripot,

Avec les nerfs à fleur de peau,

Sans pouvoir écrire une lettre.

 

Les neuf nymphes de l’Hélicon

Ne sont chastes que des oreilles,

Je gambe rus et rubicons,

Je m’ingénie sous leur balcon,

Les garces n’ont pas leurs pareilles.

 

Il nous manque un Albert Dubout

Avec ses chats, avec ses foules.

Dans mon repaire de hibou,

Je couds mes frasques bout à bout,

Et la marée monte et refoule.

 

 

 

 

Si vous raffolez de centons,

De florilèges, d’analectes,

De ripopées, de rogatons,

De proverbes et de dictons,

Sachez qu’au diable, j’en collecte.

 

Ces vers sont d’un bon ouvrier,

Ceux- là d’une quelconque arpète,

Ceux-là peinent, se font prier,

Ménagent leurs pieds usuriers,

Ceux-là, pour mon plaisir, tempêtent.

 

À tant sucer de mauvais laits,

Nous avons gâté nos salives,

Notre langue et notre palais.

Pourquoi devenons-nous si laids ?

À durer, rien ne s’enjolive.

 

Vous voulez des vers ? En voilà !

Des vers, des vers macaroniques,

Des vers, des vers à falbalas,

Des vers, des vers sans tralala,

Des vers faits à la mécanique,

 

 

 

 

Des vers latins de maîtres queux,

Des verselets versicolores,

Des vers vicieux, des vers visqueux,

Des héroïques belliqueux,

Des vers mielleux de mirliflores,

 

Des vers qui trouvent leurs chemins,

Des vers dorés de Pythagore,

À la façon de Neufgermain,

De Germain Nouveau, de Samain,

Des vers si verts qu’ils revigorent,

 

Des vers, des vers qui n’y sont pas,

Des vers versés dans la musique,

Des vers scandés sous mes cent pas,

Qui disent leur mea-culpa

Dans un accordéon phtisique,

 

Des vers blancs et des bouts-rimés,

De la besogne à la manière

De Richepin, de Mallarmé,

D’un zutiste, d’un mal aimé,

Et de la prose rancunière.

 

 

 

 

C’est marre de ces vers bouffis,

De ces vers valétudinaires,

De ces vers confus et confits,

Ces juvenilia que je fis

Sur les brisées d’Apollinaire.

 

Mon livre est plein de reposoirs

- Havres, oasis, observatoires…

Mes lecteurs peuvent s’y asseoir

 Pour prendre la fraîcheur du soir

Et raconter leur propre histoire.

 

Tous en sont à me reprocher

Et mes parleries provençales,

Et mes chicanes de clocher,

Et ma manie de tout toucher,

Et l’ardeur de mes commensales.

 

Maintenant que je ne vois plus

 Nettement à qui j’ai affaire,

Que je n’ai plus de temps voulu,

Je tiens aux chevaux vermoulus

Et aux cigales que je ferre.

 

 

 

Je veux bien être raccourci,

Mis au mur, à la rame, aux flammes,

Et même mis au pain rassis.

Je veux être tondu ras si

Mes vers ne vous vont plus à l’âme.

 

Notre-Dame de Bon Secours,

Je vous remercie de votre aide !

J’étais à remonter le cours

De la Seine, le souffle court,

Les bras gourds, une jambe raide.

 

 

Robert VITTON, 2021

 

Notes

 

Météoromancienne : qui pratique la prétendue divination par les météores, en particulier par le tonnerre et les éclairs.

Notre-Dame de Bon Secours, patronne des mariniers.

 

 

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