« La douleur, Engeli,
C’est l’attente de l’heure.
Car me voilà au lit :
Il faut bien que je meure… »
…les couilles au ras de l’eau.
Pieds dans les sables et les galets.
Jolis galets tout ronds
Épars sous la surface
Immobile des eaux
Montante’ en ce temps-là.
Sifflotait.
« J’ai connu mieux naguère :
Avec papa au front
Et maman à l’ouvrage.
Je ne sais plus si j’ai
Souvenir de tout ça
Ou si je me raconte… »
Sifflotait toujours.
Mains aux coquillages.
Fille suivait en minaudant.
Derrière le parapet
Des nonnes en vadrouille
Matinale : « Ça doit vouloir
Dire quelque chose si j’existe
Encore : pas vrai, les amis… ? »
Ne plaisantait pas avec
Les économies à faire
Du côté de la courtoisie.
Changeait sans cesse
De braquet : méconnaissance
Des lieux et de leurs surfaces.
N’a jamais habité nulle part.
Ni même passé des vacances.
Pourtant elle suivait, jetant
Des regards inquiets
En direction du parapet
Où les nonnes passaient.
Brise de terre dans les plis.
Chantait dans son lit
Les jours de pluie :
Le corps flottait ce qui prouve
Qu’il avait coulé avant combien
De temps le journaliste n’en
Savait rien la table voisine
Était occupée par des étrangers
À l’accent venu de loin la fille
Voyait toujours les épouses
En blanc filant à la surface
Du trottoir avec une mouette
Chacune sur l’épaule gauche
/ il ne raisonnait plus maintenant /
Calmez la douleur sans ajouter à l’angoisse.
Des fois il se réveille sciant ainsi le rêve et
Ne retrouvant plus le sommeil malgré notre
Science de l’injection : se croyait à San Quentin
// ne rigolez pas si vous trouvez un manuscrit
Dans ses draps / « j’ai vu ça plus d’une fois :
Le type se sentait si seul qu’il proposa de payer
/ et comme j’avais pas le sou… vous comprenez
… ? / des fois on hérite et d’autres fois pas »
Sifflotait en gémissant.
AUM des moments difficiles à passer.
Le corps flottait dans à peine
Vingt centimètres d’eau le
Journaliste avait rédigé ça
À la va-vite et la brise brise
De terre ou de mer ça n’avait
Plus d’importance maintenant
Pas plus que la marée et la
Position de la Lune dans le viseur.
« Ça rime ! » / journal froissé
Sur la table voisine soudain
Désertée : comme s’il fallait
Se retrouver seul avec elle :
Une des nonnes embrassait
Une gerbe de fleurs blanches.
« Où vont-elles ? Je ne vois pas
D’église ni de couvent… » Fuiiittt !
Des Chinois en pagaille : et des prospectus verts.
Il se pencha pour voir le fond : herbes et galets
/ pas de traces de coquillages : « on se perd ici
— c’est parce que tu n’écris plus…
— je vais bientôt mourir…
— encore un roman ! »
Il faut que ça finisse et pourtant il aime ça :
Le monde qu’il connaît depuis longtemps
/ il est revenu : assis sur le parapet avec
Le vent que la terre nourrit de ses rues.
Ou bien c’était le soir avec les moustiques
Et les odeurs du large : ni jour ni nuit ici.
Existence des brises à la place du bonheur.
Couleurs des palettes abandonnées. Sourire
D’une fille en robe blanche le vent dévoile
Des cheveux courts en boucles vivaces /
« je ne suis pas venu pour ça…
— pour quoi alors… ?
— le journaliste parle d’un noyé…
— ou d’une noyée… il ne sait pas…
— la décomposition des chairs
S’en prend à la ressemblance…
— tu devrais penser à autre chose…
Un nouveau traitement… j’ai entendu
Dire : — promesse de journaliste / »
Aller au bois et y cueillir
Les fientes du rossignol
Avec ou sans toi mon amour.
Boire dans le wasserfall
Les vins des vignes vierges.
Têtards et fretin des rivages
En spectateurs velléitaires.
Fruit fendu dans les herbes
Ne deviendra pas grand, ma
Mie, ne connaîtra pas la vie
Comme tu la connais avec moi.
Au bois avec mon corbillon
Et mes sandales impossibles
À ôter pour faire trempette.
Le rossignol envoie l’orchestre
Dans les coulisses du temps.
Petit lapin pressé par les aiguilles
Au mécanisme faussé par l’art
De se taire au bon moment.
Comme c’est joli ce qui est joli !
Encore un peu de vin et de victoire,
Ma mie : nous sommes arrivés
À bon port : la mer au bout du fleuve.
Et le bois en partance avec son ro
Son rossignol flûteur de fessées.
Sifflotait.
Comme jamais.
S’étonnait
La gardienne
Des lieux.
Un reflet sur la vitre.
« il veut respirer » / journal entre les mains d’étrangers
Couleur de brique trop cuite / dictionnaire à l’appui
« faites ce qu’il vous demande » / la dame a des dents
De pur ivoire éléphantesque : quand ils sont passés
Avec le corps aux yeux grands ouverts elle a pleuré
/ pas pu retenir larmes de crocodile : des vrais : pas
Des larmes de juge aux affaires matrimoniales : des
Larmes importées avec leur cuir : aussi le fleuve vert
D’algues et de dos : « j’ai ouvert la fenêtre comme
Il l’a demandé » / « vous suivez le rythme maintenant ? »
Cache-misère des mythologies : « mais a-t-on inventé
Mieux… ? — pour dire quoi ? » / c’est joli ce qui est joli
/ entrait dans l’eau avec cette idée que la profondeur
Est limitée par l’usage ordinaire : couilles comme poissons
Et les pies se posaient sur l’étrange rondeur des galets
/ des fois l’herbe comme les pattes d’un crustacé sortant
Pour jeter un œil sur ce qui change le voisinage en série.
« j’ai tellement peur quand tu dis ça : » / mais peur n’avait
Pas : relisait au lieu de changer le vin en eau : pas le temps
De nous expliquer / le temps menaçait de changer avant midi.
Qui es-tu, femme crépue ?
Et toi l’homme de toujours,
Que viens-tu chercher ici ?
L’Histoire pourtant te donne
Raison / mais tu ne sais plus
De quelle pureté il est question
Ici : ni de quel sens de la perfection.
Croix glaives plantés dans la terre
Natale ou étrangère, conquise
Ou perdue / pas d’enfant pour
Le dire aussi clairement que ça.
« C’est l’ennui qui me fait siffloter,
Figure-toi » / ou autre chose mais pas
Ce que je sais du temps pour en avoir
Usé plus que de raison : au travail des
Jours comme en rêve / comme c’est joli
Si c’est joli ! Sifflotait même dans les églises.
À Venise par exemple si elle existe encore.
Mais je ne suis plus sûr de rien, ô rossignol
Des bois si jolis que j’en ai le cœur à l’envers !
Enleva celle qui voulait devenir nonne.
Viola son secret sans l’emporter avec lui.
À la table voisine le journal se laisse feuilleter
Par la brise de terre / cendrier dessus avec
Cendre encore vivace / verres vides maintenant
/ « tu les connais ? » voulant dire : « tu la connais ? »
Il allait vite pourtant.
Il ne regardait pas deux fois.
Il aimait la logique
Et ses analyses.
Se fichait de la mémoire
Des autres.
« Ne grimace donc pas
Quand on te parle
De choses aussi importantes
Que ce qu’il faut en penser ! »
Brancard non vide au passage des premiers
Visiteurs du jour / « comme on se ressemble ! »
Trouvait jolis visages des enfants sauf dans
Le miroir de sa poussière d’or / « au moins
Nous savons où nous sommes »
Jolis creux
Des vagues
Au reflet
Des lunettes.
Ça me prend
Des fois
Quand je
Mens / ô
« as-tu pensé aux siècles, au millénaires,
Aux ah ! je ne trouve pas les mots ! »
Meubles des poésies / brises pour mesurer
Le temps / en ville nous bousculons le temps
Pour ne pas perdre pied / ici l’eau prend tout
Son sens / éclabousse par jeu : enfant en joie
Et coquillage étonné : peaux ruisselantes /
Gazouille en attendant / dans le lit attend
Et pépie comme s’il avait un jour d’existence
Derrière lui / et devant : la nuit sans fin / amour
Déçu pour prix du labeur dont la trace est aussi
Vraie que n’importe quel aspect de la nature.
Rien ne s’est usé : pas le temps de l’érosion /
Damasquiné par ses excès il s’apprête à rouiller
D’un côté et de l’autre à cesser de se voir dans
Le miroir de sa fée : « nous avons deux enfants :
Un garçon et une fille — l’idéal » comme la pierre
Et ses deux coups / « merci pour la traduction
— mais je n’invente rien !
— pourtant il m’a semblé…
(elle : tu la connais ?
moi : jamais entendu parler d’elle !
elle : ce n’est pas ce que je ressens…)
— oh ! non, vous vous trompez… »
« Mon Dieu que c’est facile à lire !
Mais je ne sais pas le redire… expliquez
-moi ça… » / voyait le rétrécissement
Ainsi que le ralentissement à l’aspect
Gluant des murs : aussi assourdissement
Des gazouillis avec cuculs à l’appui.
Spectateurs descendant des côteaux
Jouxtant ce paradis gagné sur l’attente :
« il est où l’Enfer promis dès la première
Révolte ? »
« Rigolez pas avec ça !
Ça leur fait un mal fou.
Elles en meurent mais
Vous n’êtes plus là.
Imaginez le roman…
Fini la ponctuation
En usage dans les meilleurs
Théâtres de la cruauté !
Racontez-leur plutôt
Une histoire d’amour
Qui finit par commencer.
Vous gagnerez de l’argent
Et aussi de l’estime et même
De quoi alimenter vos propres
Fantasmes / vous en avez
Non ? Tout le monde en a. »