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Un rayon de lune
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 Article publié le 16 avril 2017.

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Papa et maman n’ont pas décroché la lune. Ils n’ont pas su expliquer à l’enfant de quatre ou cinq ans les phases de l’astre brillant. Ils ont travaillé dur, ils ont trimé toute leur vie.

Le soleil était une évidence, tout comme les saisons et leur mordant. L’école a apporté quelques clartés, sans plus. On y somnole beaucoup encore de nos jours.

Lire et écrire ont ouvert un monde, vite refermé. L’encre ne criait pas quand l’enfant y plongeait sa plume pointue. La plume crissait sur le papier, c’était tout. Les maîtresses lui reprochaient d’appuyer trop fort dessus.

Plus tard, bien plus tard, l’écriture est venue. Ni excitante ni calmante, mais évidente comme le soleil, les saisons, l’absence d’amour, le sexe et l’ennui.

Une traversée du désert scolaire puis universitaire, les premières années de travail éreintantes et un mariage raté avaient ouvert la voie sur un inconnu alléchant.

L’écriture n’a pas surgi de nulle part. Sans savoir scolaire pas de poète en herbe. Une fois les herbes bien hautes, il a fallu apprendre à désherber, tondre et tailler dans le vaste jardin ensauvagé.

Enfant, l’écrivain en herbe, le sauvageon rêveur plantait des livres, les arrosait abondamment. Rien ne poussait. Même les feuillets découpés en petits flocons et disséminés au hasard sur la friche ne donnait rien.

La terre n’était pas stérile pas plus que les livres n’étaient morts. L’astre solaire continuait de briller bon an mal an, comme si de rien était. Il en avait vu d’autres. Août 42 à Auschwitz fut particulièrement ensoleillé.

La quarantaine passée, il fallait encore écrire contre, tout contre la mort annoncée.

Présente en chacun, chacune, elle avait le sourire des gens heureux qui ont la conscience tranquille après qu’ils ont fait leur devoir. La soldatesque toujours aussi nombreuse se faisait plus discrète.

On vit deux fois dans les mots. On y meurt aussi.

Enfant déjà, mot et mort se convulsaient, copulaient, donnaient des monstres à voir. On conjurait le mauvais sort à coup de citations latines. La grammaire était d’un grand secours.

Une série d’événements fortuits en apparence eurent raison de toute illusion. Il y eut entre autres choses cet amour impossible qu’un océan séparait. Puis plus rien, même pas les mots les plus simples pour en finir, tatouer une épitaphe digne de ce nom sur le corps absent.

L’écriture devint alors un cénotaphe ambulant, une sorte de bathyscaphe. Dans les abysses, la vue est mauvaise. Remonter à la surface houleuse prend du temps.

Je me suis réveillé en plein bois, allongé sur un parterre de jonquilles sauvages. On devait être en avril ou en mai. L’air était léger, les rayons du soleil dansaient à travers le feuillage des arbres verdoyants. Voilà, me dis-je, une carte postale qu’on n’a jamais osé faire, un bien beau cliché. J’ai vu alors une ombre planer sur la forêt, elle se dirigeait vers l’Est.

Non loin, j’entendais distinctement le gazouillis d’une source. Des bruits de pas pressants m’ont donné envie de dormir. Au lieu de cela, je me suis levé comme un seul homme et me suis mis en quête d’une clairière ensoleillée.

Je l’ai trouvée bien vite. Dans ses hautes herbes, je me suis alors allongée sur le dos et j’ai fermé les yeux. A nouveau des pas se firent entendre, de plus en plus rapprochés.

Une fille de la forêt se tenait devant moi.

Elle était pieds nus, pour toute vêture une robe de lin, un serre-tête bleu-ciel retenait une longue chevelure noire. Des yeux pétillants de malice, des courbes généreuses, et tout à coup un large sourire découvrit une rangée de dents d’une blancheur insoutenable.

Le visage flottait dans l’air, non pas exactement détaché du corps, c’eût été horrifiant, mais comme penché sur moi tout en se tenant à bonne distance de ce qui devait être encore moi.

J’étais à moi-même l’enfant et le berceau, la fleur et le soleil devant cette créature avenante.

Ce qui advint ensuite n’est que littérature. Sachez néanmoins que depuis ce temps, je comprends le chant des oiseaux, j’entends les arbres me parler.

La fille de la forêt est passée en moi à travers un rayon de lune, la nuit venue.

Et tous les jours qu’Odin fait, je veille à ses côtés sur les vieilles lunes, les embrouilles et les mille mystères de l’existence passée, présente et à venir.

Une nouvelle écriture est apparue en rêve, s’est inscrite dans ma chair, m’a transporté dans un en-deçà humain dont je soupçonnais déjà l’existence, lorsque j’étais enfant.

La fille de la forêt répond au doux nom de Samja.

Elle est mon amour au-delà des mots pour le dire. Ensemble, les solstices n’ont plus de secrets pour nous, et nous restons cois devant les énigmes de l’existence.

Bien des runes après notre rencontre, le soleil brille comme jamais. Il a l’évidence d’un amour qui se veut universel.

Je marche de longues heures en sa compagnie lointaine, puis j’écris ces lignes, et d’autres encore.

 

Jean-Michel Guyot

13 avril 2017

 

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