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Chanson d’Ochoa 2 - [in "Cancionero español"]
Ce qui reste de doña Cecilia...

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 Article publié le 13 juillet 2006.

oOo

Ce qui reste de doña Cecilia, après tant d’années
De deuil et de solitude, ce n’est plus doña Cecilia,
Ce n’est même plus la mère de Raïssa

Dont on dit qu’elle a le feu au cul.- La maison
N’a plus de maître et doña Cecilia n’y règne pas.
Moitié ombre, moitié lumière, un patio désespère

Les oiseaux descendus des eucalyptus. Un jet d’eau
S’est tu depuis longtemps. Sa vasque en forme
De main ouverte recueille la rosée et la poussière.

Habité de lichens moins vivaces, un banc de pierre
Ne reçoit plus l’offrande de ses fesses. On y lit encore
La soif de Cayetano à la pointe du couteau.

Une vieille somnole ou se rend utile, lente ou rapide,
Précise ou imprévisible, on ne sait jamais avec elle,
Dit doña Cecilia qui est sa fille depuis si longtemps

Que Raïssa n’a plus d’âge. Elle n’a que son cul,
Dit encore doña Cecilia qui mord sa langue comme
Si Cayetano lui appartenait encore. Les fleurs

Resplendissent. On aime l’eau claire des rigoles chez
Les Exeberri Gálvez, on aime que l’eau coule
Et se rencontre aux points précis d’une construction

Conçue pour l’extase et l’attente d’autres extases.
Doña Cecilia a conservé le couteau de Cayetano,
Mais ce n’est pas celui qui a tué Panxoa. La justice

A conservé ce trophée d’un autre temps. Seul
Don Felix Gávez Bonachera peut encore le toucher.
Doña Cecilia posséderait cette clé si don Felix

Aimait les femmes, mais il n’aime que l’homme
Et ne s’en cache pas. Le couteau a une histoire,
Dit-il en le désignant, et doña Cecilia sait tout

De cette histoire. Le monde n’est pas l’objet
De la Connaissance comme le prétend don Alfonso.
Le monde de doña Cecilia est une histoire

Et le monde auquel elle appartient un roman,
Mi-fable mi-chronique, comme dit don Felix
Qui écrit ce qui aurait pu arriver s’il n’était

Rien arrivé. - Tu ne coucheras pas avec cet homme !
Ironisait la vieille. Tu ne coucheras plus avec
Les hommes. Il manquera un homme à ton existence

Et la mort ne me renseignera pas. La vieille parlait
Aux habitants imaginaires de la maison. Elle entendait
Les voix d’une existence qui aurait eu lieu si Panxoa

Avait vécu pour concevoir un fils et non pas cette garce
De Raïssa ! Le sang de Panxoa ne coule pas dans ses veines
Et tu le sais ! - Toi, tu ne sauras rien du sang de Cayetano !

Raïssa fuit les dialogues, les descriptions, les récits
Que les murs retiennent comme l’humidité
Et les condensations de l’air qui s’accroît d’insectes

Toujours plus beaux. Elle n’observe pas, se contente
De regarder, ne regarde rien en particulier, voit des rites
D’amour et des apparitions inévitables et vaines.

Ochoa, qu’elle écrit Oxoa dans les lettres d’amour
Qu’il ne lit pas parce qu’il ne sait pas lire, cet Ochoa,
Se méfie du couteau de Cayetano comme d’une maladie

Honteuse. Il arrive la nuit si la nuit est noire, sinon
Il ne vient pas et doña Cecilia maudit la lune
En se disant que ce n’est pas le même Ochoa qu’elle aime

Comme on aime ce qu’on ne possède pas facilement
Comme les fruits des arbres ou la tranquillité de l’ombre
L’été. La graphie de l’X lui inspire des crucifixions

Qui n’ont rien à voir avec les hallucinations de doña Pilar.
L’homme qu’elle condamne à la souffrance
N’a jamais été un enfant, d’ailleurs elle ne sait pas

Ce qu’un enfant serait devenu si elle l’avait aimé.
En attendant, elle évite sa propre nudité. Les miroirs
Ne la rencontrent jamais. Son ombre doit se coucher

À ses pieds sinon elle recherche la pleine lumière
Et ne trouve que le patio. Ces maisons étreignent
Bien des passions. Et quand on n’aime personne

À ce point, on y raconte la passion des autres,
Jusqu’au crime qui les élève à la hauteur du mythe
Devant lequel la justice s’incline. Si la porte

Est ouverte, le rideau arrête les mouches. La rue demeure
Rectiligne malgré les habitudes. On ne s’y perd pas
Comme dans les villes construites d’après le modèle

Occidental. Doña Cecilia connaît la ville et ses plaisirs.
On dit que le train de 7h 47 contient le meilleur de ses passions
Et de ses rites. - De qui parles-tu ? demande la vieille

Qui brise les brindilles de son feu en abondance. Parler
Avec les femmes ne peut pas finir par constituer le poème
Dont rêve un peu trop l’esprit inconstant de doña Cecilia.

- Tu écris ? demande son Ochoa quand elle le voit et qu’il
Ne la regarde plus. Il chanterait si elle l’exigeait. Il perd
Son temps avec elle parce qu’il n’attend plus rien de cet

Amour. Réduit à l’envers des miroirs, il n’existe presque plus.
On n’en devine même pas l’attente dans les mains
Qu’elle met au travail pour les occuper ailleurs.

Le même corps voyage avec Raïssa, mais il atteint
Les lieux de l’attente et promet de ne plus perdre
Le temps.- - Je l’aurais tué de mes propres mains !

Crie-t-elle dans la cheminée. Sa voix retombe dans la cendre.
- Nous n’avons jamais tué personne, dit la vieille
Qui n’en sait rien et s’en mord la langue.

Au matin, doña Pilar était arrivée avec la nouvelle :
Ochoa était dans le lit de madame Constance.
Doña Pilar n’avait pas vu le lit mais des personnes

De sa connaissance avait assisté à l’entrée d’Ochoa
Dans la résidence des Buganvillas. Il était nu, obscène
- Si vous voyez ce que je veux dire - Doña Cecilia voit,

Elle voit la queue de l’homme et la fascination de Constance
Qui n’a plus l’âge de s’abandonner. Elle n’a pas soulevé
Le rideau. Elle ne se montre pas. Elle ne se montre plus

En cas de confidences. Elle n’a plus le visage patient
Des commères, d’ailleurs elle ne fréquente plus le lavoir,
Ce qui explique la lavadora et le linge qu’on ne voit plus

Sur la broussaille. - J’ai tué Ochoa, dit-elle dans le rideau.
Doña Pilar aurait crié sa douleur si elle avait cru
À cet assassinat. Un, doña Cecilia n’a pas trouvé la force,

Cette nuit, de tuer Ochoa. Deux, ce n’était heureusement pas
Le Christ. Soulagement de doña Pilar qui croit que le Christ
Couche dans le lit de madame Constance. Elle a bien vu

Elle-même la belle queue dressée hier matin, souvenez-vous,
Doña Pilar. Mais le Christ peut-il coucher avec sa mère ?
- Il couche avec leurs filles ! grogne doña Cecilia.

Il faut reconnaître que les apparences témoignent en faveur
De doña Cecilia qui connaît les hommes, ce qui n’est pas
Le cas de doña Pilar qui n’a pas hérité de cette connaissance.

Pour le moment, elles s’accordent à penser que deux hommes
Les tourmentent, que l’un est encore en vie, alors qu’il mérite
La mort, et que l’autre, qui ne vaut pas plus cher selon Cecilia,

Trahit le cœur et l’esprit de doña Pilar qui croit en Dieu
Comme la lessive et la poussière sont l’apanage des femmes
De ce monde. - Entrez, donnez-vous la peine, faites-moi cette

Faveur - et doña Pilar pénètre pour la seconde fois dans le patio,
Ne se souvenant pas de la première et doutant qu’elle y prît
Du plaisir. Mais ce n’est pas le plaisir qu’elle est venue chercher.

Cependant, un petit verre ne se refuse pas, ô Anis étoilé
De mon enfance qui ne suce plus les bonbons ! Assises
Sur le banc qui les rassemble le temps d’une conversation,

Elles ne comprennent pas que l’homme qui couche
Dans le lit de madame Constance n’est ni le Christ
Ni le berger. C’est un autre homme qui passe par hasard

Et qui par hasard fait l’amour à une femme qu’il ne connaît pas.
Raïssa le sait parce qu’elle a vu l’homme. Elle lui a même
Parlé. Mais ne parle-t-elle pas aux hommes comme

Si elle les connaissait d’avance ? Ce corps défraiera
La Chronique, pense doña Pilar en disant autre chose
De moins authentiquement véridique. Nous verrons bien,

Dit doña Cecilia, qui est qui. Nous le verrons, dit doña Pilar
Que l’idée d’un Christ aux prises avec le corps de la femme
Ne répugne pas, au contraire. L’aguardiente rutile

Dans son regard. Est-il vraiment temps d’écouter les oiseaux
Des branches ? Le berger finira par le couteau de Cayetano
Qui lavera ainsi l’honneur de sa fille et le Christ s’expliquera

Dans une religion nouvelle. - Vous êtes folle, doña Pilar,
Vous délirez ! - Je suis ce que je suis, pense doña Pilar
Et elle dit : Je suis ce que je ne suis pas et vous le savez !

À deux, elles contiennent le monde : l’homme qui se nourrit
Des filles de la femme, et le Dieu fait homme qui finit
Dans l’amour de la femme. Cayetano tuera le premier,

C’est donné. Et l’homme rectifiera la position de la femme
Pour ne pas changer grand-chose à la religion. Que peut-on
Espérer de l’homme qui est plus proche de Dieu que la femme

Qui n’est que l’explication de la croissance et de la multiplication ?
- Rien ! dit doña Cecilia de sa voix cruciale. Elle mord le cœur
D’une orange coupée en deux. - Nous n’avons pas fini d’en parler,

Dit doña Pilar qui se souvient en même temps de sa première
Visite. - J’agissais comme témoin, dira-t-elle plus tard
Elle ne le dira plus si plus rien n’arrive à sa foi.

 

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