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Chanson d’Ochoa 1 - [in "Cancionero español"]
Chant seize - Biologie des sauts dans le temps

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 Article publié le 22 avril 2004.

oOo

Chant seize

Biologie des sauts dans le temps

À la fin de l’été, les Buganvillas étaient désertés et le jardinier
Vidait la piscine et taillait les mandariniers. Elle assistait
À la mise en place de sa propre solitude. Le jardinier s’assurait

Qu’elle possédait encore la clé de la grille d’entrée et que la serrure
Fonctionnait toujours. Il revenait chaque semaine pour l’arrosage
Et les petits travaux planifiés à quoi s’ajoutaient de menus gestes

Qu’elle lui demandait d’accomplir. Il aimait la compagnie de cette
Vieille dame solitaire qui avait été belle et qu’on croyait cultivée
Dans le terreau d’ancêtres parfaitement identifiés, traces arables

Qu’elle entretenait avec une minutie d’historienne. Ses livres,
Qu’il voyait de près quand il montait chez elle pour régler les radiateurs,
Entretenaient le personnage dans le bocal de la fin de la vie.

Il montait chez elle seulement puisque tous les habitants étaient partis.
La chaudière s’éteignait quelquefois et elle se plaignait à l’agence
Chargée de la gestion de la résidence. Il graissait les gonds de la grille

Sous les yeux inquiets de la vieille femme. Elle parlait somme toute
Assez peu, se contentant même souvent de l’interroger sur sa famille,
Quand elle savait pertinemment qu’il n’avait pas de famille à lui,

Étant par ailleurs prisonnier de collatéraux qui se disputaient les biens
Anciens. Elle détestait sa manière de soigner les rosiers. Ils en parlaient
Si un pied crevait. Il arrachait le cadavre de ce qui avait été une fleur

Exquise et elle lui adressait toutes sortes de reproches injustes.
Il la surprenait si elle s’était abandonnée à la contemplation.
Les mandarines étaient amères et belles. Le patio, avec ses circularités

De terrasses, se remplissait de soleil ou de pluie. Elle prenait
Possession des lieux à la fin de l’été. Comme elle en avait la seule
Clé désormais, il sonnait à la grille une fois par semaine et attendait

Qu’elle eût fini de s’arranger devant un miroir qu’elle brisait
Si l’angoisse l’avait réveillée avant le carillon électrique.
Il est si tôt, disait-elle en lui donnant la clé. - Vous devriez

Sortir un peu, conseillait-il sans y penser. Il ouvrait la grille,
Remontait dans sa camionnette, se garait sous un mandarinier tiède
Ou mouillé, et elle était déjà en train d’examiner l’état des plates-bandes.

Comment peut-on vivre sans au moins un peu de cet avenir à changer ?
Elle ne se plaignait pas. Elle renvoyait la réalité des jours au seul
Spectateur de son existence. L’été, elle avait toutefois partagé

De menus plaisirs avec des revenants aux croissances d’enfants.
Elle aimait les femmes au travail du couple reproduit avec des fidélités
De tradition. Les enfants perturbaient son propre labeur mais elle

S’en nourrissait. Les hommes, eux, lui appartenaient et ils agissaient
Comme des souvenirs revus et corrigés par les mots mêmes qui lui venaient
À l’esprit au moment de les approcher. La fin de l’été annonçait

Une autre attente. Elle se soumettait aux signes de l’automne avec
Un peu d’humilité et beaucoup de jalousie. Elle n’avait jamais agi
Autrement. Le jardinier reprenait son importance de visiteur exact

Aux rendez-vous qu’elle croyait lui fixer. Ne possédant aucun animal,
Ce qui l’eût contrainte à un minimum de conversation, elle n’exerçait
Pas sa voix, même devant le miroir où sa nudité prenait des allures

De double trop exact pour être illusoire. Avant qu’il ne s’absentât
Pour une semaine entière, elle remettait au factotum la liste de ses besoins
Naturels et l’argent nécessaire à l’accomplissement du rite auquel

Elle échappait. Sommes-nous déjà à la fin de l’hiver ? Six mois
Ont donc passé ? Ce temps ne ressemble pas au printemps. Les premiers
Touristes visitaient les appartements et les boniches s’activaient.

En même temps, elle envoyait son courrier et attendait les réponses
Mélancoliques. Sommes-nous déjà à la fin de l’été ? Est-ce l’automne,
Ce retour de la pluie ? Elle traversait les carreaux et se cognait

À la céramique des murs. Cette rose, commençait-elle à expliquer
Au commensal, est née, poursuivait-elle en pensant ne pas aller au bout
De la description, et elle provoquait le sourire des femmes soutenant

Cette recherche de compagnie. Oui, les roses, les mandarines des pelouses,
Les escaliers ébréchés comme des verres, la piscine jaillissant d’enfants,
Les restes des repas aux oiseaux brouillons, la chair des femmes chaudes,

Le passage de la beauté, le vocabulaire des radios et des prospectus
S’amoncelant sous les piliers métalliques de la grille qu’on laissait
Ouverte par lassitude, cette croissance dérivée de l’immobilité,

Et cette rose qu’elle désignait pour initier la conversation, la rose
Aux petits soins de son attention aux phénomènes naturels, une rose
Extraite de sa durée, imaginable maintenant qu’elle savait que c’était

Une rose et non pas ce que les autres pouvaient en savoir. Sa petite
Bouche s’arrondissait sous l’effet des voyelles. Elle n’interdisait pas
La destruction, n’étant pas propriétaire des biens qui fleurissaient

Les séjours temporaires, mais sa connaissance de la rose avait atteint
Une telle sérénité qu’elle se croyait capable de communication écrite
Avec ces passagers du soleil et elle les dérangeait au lieu de les étonner

Un peu. Rentrée dans sa coquille, elle continuait de se remplir de jus
Et de saveurs secrètes. Elle était obscure et délicate. Elle sentait bon
Et conservait l’essentiel de son ancienne beauté, le texte infiniment

Interminable de son attention aux objets du désir. Sous le masque,
Elle prenait des airs de tragédienne ou de soubrette, selon ce que l’instinct
Dictait aux intermédiaires de l’écriture et du cerveau, et son balcon

S’emplissait de fleurs ou d’un désordre de meubles fatigués à encaustiquer.
Des enfants questionnaient un petit chien dont elle niait la maternité.
Les oiseaux, plus distants mais affamés, raflaient les bonnes places.

Elle n’eut pas vent des évènements qui agitèrent les gens ce dimanche.
On n’en parlait pas à la télévision. Elle entendit les cloches, les pneus
Des voitures sur la chaussée mouillée, les ressacs et les cris des mouettes

Qui rentraient avec la pêche restreinte des dimanches. Elle passa la journée
À faire et défaire un ouvrage si abstrait qu’elle en égara finalement
Le titre. Elle picorait en agaçant les oiseaux. Par-dessus la toiture

Circulaire de la résidence, le ciel baladait des animaux éphémères
Qui s’accrochaient au faîtage comme des tangentes. Elle visita les parterres
Pour en mesurer l’humidité et secoua les paillassons des seuils

Sans pénétrer dans les cages d’escalier où s’épanouissaient des plantes
Vertes. Le téléphone sonna plusieurs fois mais elle ne répondit pas.
Elle ne trouva pas la patience de relire "L’homme invisible". Le temps

S’imposait d’autant que cinq jours la séparaient de la prochaine visite
Du jardinier. Là-haut, un doigt plutôt qu’un souffle semblait animer
Les nuages. Elle but un peu de vin sans intention d’aller plus loin

Que l’exploration des sens concernés par cette pratique du plaisir.
Elle n’attendait rien du sommeil toujours un peu menaçant la lumière.
Quand l’homme apparut au bord de la piscine, elle vérifia que la clé

Était dans la poche de son petit tablier à fleurs. Les cloches venaient
De sonner. Elle sortit sur son balcon et héla l’intrus : - Par où êtes-vous
Entré ? L’homme désigna la grille. Elle était entrouverte. Nuit précaire !

Les crises de somnambulisme l’affectaient depuis l’enfance. Petit défaut
De l’esprit à quoi il fallait ajouter l’agoraphobie et une certaine
Obsession du divin malgré des apparences de doute. - C’est interdit,

Dit-elle. Vous n’avez pas vu le panneau ? Elle traça le rectangle entre
Elle et l’individu qui tentait déjà de se faire passer pour ce qu’il
N’était sans doute pas. Le panneau ? L’interdiction ? Et elle lui faisait

Signe de reculer, de retourner à l’extérieur, de ne plus revenir. Ochoa
Avait trouvé une entrée accueillante mais les fleurs sont décevantes.
Les dallages trop exacts finissent par désorienter les voyageurs du jour.

La vieille femme qui le harcelait à travers le soleil des génoises
N’ameuta personne. Les balcons demeurèrent désespérément déserts.
Le ciel était en effet impossible à décrire. Et la voix le charmait.

- Je suis désolé si je vous ai dérangée, finit-il par dire tandis qu’il
La consternait encore. Je n’ai pas l’habitude de désenchanter les habitants
De la tranquillité mais c’est hors saison que je visite les lieux

Qui recouvrent mon enfance ! Après un silence d’yeux, Constance invitait
À la poursuite des chimères nées de sa précipitation. L’enfance ? Et cette
Chape sur ce qui a existé pour vous seulement ? - Je n’étais pas seul,

Dit Ochoa en avançant. Pas seul ? Nous étions si seules mes sœurs et moi !
Vous n’avez pas connu les châteaux de mon enfance. De quoi s’agissait-il ?
De cabanes de pêcheurs ? D’un point d’eau et de ses gardiens ? D’une tour

Dont vous entreteniez le feu avec vos mains d’enfants et la connaissance
Héritée d’une lignée de soldats ? Êtes-vous né d’une femme infidèle
Ou d’une vierge surprise au saut du lit ? Nos fondations recouvrent

Tant de possibilités de personnages transparents ! J’en imagine chaque
Jour les circonstances. Chape de piscine et de dalles tracée avec une
Exactitude de visionnaire et non pas de témoin. Nous achetons sur plan.

Ochoa souriait. Ni pêcheurs, ni soldats, ni petite fille vendue à l’homme !
Nous voyagions en famille et la voiture s’arrêtait sur le sable.
La mer creusait des fleuves dans mon imagination et j’en remontais

Le cours avec mes frères. La terre était fendue comme une femme. Nous
Visitions les lieux de la même chair et les anecdotes fusaient. Il y avait
Une tour pour élever nos visons à la hauteur de l’espérance. Hôpital !

Elle descendit. - Vous n’êtes qu’un voyageur du pays voisin ? Un simple
Visiteur de photographies ? La nuit, j’ouvre la grille malgré moi.
Aucun de nous n’est parfait. Mais vous l’êtes, n’est-ce pas ? Parfait

Et improbable. Je n’imaginais pas une pareille enfance. La mienne est
Trop expérimentale. Une voiture, dites-vous, et un petit bateau ivre
Dans les canyons peuplés de servitudes. Vos frères ramant et vous

Contemplant des défilés sommaires. Je n’imaginais pas qu’on revenait
Sur les lieux. Je voyais des lieux envahissants. Comme personnage
Appartenant à tous les temps, j’imaginais la réduction au point

Et le seul cri du désespoir et bien sûr vous ne comprendriez pas cette
Attente. Vous demeureriez réfractaire comme la terre de vos feux.
Ne reculez pas ! Vous n’avez pas la clé et pourtant vous entrez dans ma vie.

Somniloquie du texte ! La nuit s’achève sans disparition du jour et le jour
Traverse d’autres ombres. Un peu de votre enfance me divertira. Entrez
Pour prendre la parole. Vous n’êtes donc pas celui que j’imaginais ?

Si elle sortait, elle empruntait un couloir entre les roseaux, court chemin
D’un point à un autre qui abritait les pénétrations graphiques de la mer
Et s’y baignaient d’oisifs pédérastes nus entre les pins, ô Cézanne.

Elle sortait en catimini et n’allait pas plus loin que son observatoire
De feuilles mortes tombées des eucalyptus. Le sable était toujours chaud
Et ses pieds nus s’y enfonçaient. Elle revenait à court d’inspiration,

Comme si les baigneurs n’avaient pas révélé leur secret de modèles.
Il n’y a pas d’autre secret, commençait-elle. Et les immersions, les sauts,
Les jaillissements, les gerbes alimentaient un silence de l’écriture

Qui prenait la place du temps au lieu d’en construire le théâtre nu.
Ochoa se laissa conduire. Il vit les baigneurs, l’eau renouvelée par un jeu
De canaux qui s’appliquaient à la terre comme un paquet de nerfs

Ou de veines, les corps joués au hasard, l’implication des arbres jouant
Avec la portée de leurs ombres, les lignes de force tracées en dépit
De la perspective, l’immobilité croissante, les fruits répandus.

Elle s’accroupissait pour recueillir ses bézoards. Rien de plus, dit-elle,
Que ces polychrestes. Mais je ne m’aventure plus ailleurs. Voulez-vous
Que nous les interrogions ? Je ne leur ai jamais adressé la parole !

Ochoa assista à la métamorphose des hommes en femmes. Elle jubilait.
Elle l’abandonna dans le chemin. Il ne la chercha pas. Nouveau jour,
À moins qu’il ne s’agisse plus d’avancer mais de fixer des instants.

Il reconnut la plage et les rochers environnants. Une île statufiait
Une ancienne figuration de l’attente, personnage à plusieurs têtes
Qui n’avait pas perdu son pouvoir évocateur. Revenir seul n’est pas

Revenir mais les mots reprenaient leur place et les objets ne fuyaient plus
Comme avant. Ils persistaient maintenant. Avec une arrogance d’enfant
Pris au piège de ses étonnements légitimes. Ici, j’ai travaillé le fer.

Il repoussa d’autres visions. L’eau émettait encore des phosphorescences.
L’odeur d’une algue éparpillée l’envenima. Nous ne possédons que l’art
Et nous sommes incapables de ne pas nous emparer de tout ce qui rappelle

Cette possession tranquille. Il ne revenait pas. Il n’avait jamais quitté
Ces lieux. Il n’avait pas non plus rencontré l’improbable influence
De ces objets. Les personnages appartenaient à d’autres personnages.

Il pouvait voir la promenade géométrique et les façades des hôtels.
Les mandariniers commençaient à délimiter les propriétés. Il recula
Jusqu’à la mer. Rien ne s’achève par la noyade. Il marche sur l’eau.

Le matin, il poussait les portails et pénétrait dans les patios encore
Obscurs. S’il pleut, je ne viens pas ! Il rencontrait des personnages
Surpris mais son regard leur inspirait une douce curiosité. Qui suis-je ?

On le retrouvait dans les ombres ou il disparaissait de l’endroit même
Où l’on pensait le retenir. Il cueillait les mandarines amères des jardins
Pour les donner aux oiseaux des plages. Qui est cette femme ? Constance

Hésitait. Elle ne descendait pas ou le rejoignait avec trop de certitudes.
Voulez-vous que nous allions voir les baigneurs de Cézanne ? Il y a
Des baigneurs de l’aurore à proximité. Elle décrivait la métamorphose

Des hommes en femmes avec une connaissance de l’anatomie qui le fascinait.
Entre la mer qui s’allumait et la promenade qu’on éteignait, il se croyait
Exact au rendez-vous. Mais ce n’était pas toujours elle qui arrivait.

Quel chemin se tracer entre la reproduction de l’espèce et l’histoire ?
Il envisageait d’autres lieux où il fût un étranger. Mais quel étranger
Résiste à un temps qui n’est pas le sien ? Quelle est la fin des voyages ?

Descendant de son petit appartement, elle lui proposait les tableaux
De sa connaissance de l’homme. Les baigneurs, en femmes, finissaient
Par quitter les lieux et les oiseaux s’installaient à la surface de l’eau

Tranquillisée par leur immobilité. Que se passe-t-il s’il n’est pas possible
De fixer les instances du texte ? Elle le contraignait à la pose, moment
Passé non plus avec elle mais en marge de ce qu’elle empoisonnait en lui.

Petites crottes de mes indigestions ! Les baies n’attiraient que son orgueil
De créatrice de l’instant. Il ne s’éloignait pas ensuite. Il atteignait
La mer et s’arrêtait pour contempler le rivage aux intervalles de façades.

Elle habite mon imagination ou bien elle a vieilli plus vite que ma
Croissance. Il ne courait pas pour rejoindre les rochers où il savait
Trouver des palliatifs à l’intranquillité. Il prenait ce temps comme

On s’attend à des nuances. Les traces de la veille n’avaient pas disparu
Dans la marée. Il reconnaissait le moindre détail. Puis les rochers
Vomissaient leurs tourments. Encore elle ! Et sa position de créatrice

Possédant l’intérieur des lieux. Les baigneurs se disputaient l’ombre
Maintenant. Le vent poussait les parasols vers les dunes. On courait
Pour rattraper des balles. Un enfant appelait au secours. Le ressac

Attirait des oiseaux. Comment répondre à l’invitation de cette tentative
De donner un sens à la baignade ? Il se glissait parmi eux et jouait
Avec leurs ombres. Elle riait s’il en parlait avec cette naïveté

De personnage menacé d’altérité comme la pluie traverse le vent.

 

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