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Génocides - Masques Entrevue avec Monseigneur Antonio José Plaza
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 Article publié le 27 février 2005.

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Cette entrevue est datée du 5 avril de 1984.

Monseigneur Antonio José Plaza,

Pour ceux qui pensent que la vie du prochain, qui n’est pas vraiment considéré comme tel, est jouée dans une partie de cartes ou sur une table de torture, Monseigneur est un personnage polémique.
Pour ceux qui pensent que la vie est Beauté, Mains, Amour, Nid, Anges, Dieu, Art, Joie, Bien Commun, l’Univers entier en communion, Mgr Antonio José Plaza est un masque de l’horreur.
Lié au militaire génocide Ramón Camps, on a toujours dit que, d’une certaine façon, il «  a gouverné » la province de Buenos Aires.
« Façon ». Manière. Mode. Style.
Je pense à façon-manière-mode-style. De croire. De créer. De construire. De rêver. De caresser. D’aider. De protéger.
Pour jeter des mouettes en l’air, des mouettes qui entrelacent des étoiles.
Pour dessiner à deux de la tendresse, le matin
Quand l’amour se réjouit aux tartines croustillantes, les yeux pleins d’amour.
Comme avant l’instant sublime du renoncement et du dévouement.
Du dévouement à la liberté.

Monseigneur - monseigneur ?- monseigneur rit. il rit ! Il rit puisque beaucoup de ceux qui sont portés disparus «  se sont supprimés les uns les autres ».
Il rit et l’énorme Victor Hugo de « L’Homme qui rit » lui aurait paru «  subversif ».
Il rit puisque les forces génocides n’ont pas tué le Père Hapon  : ce dernier a quitté la ville pour aller au Sud du pays. Il nie avoir dit à Amnesty International qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques en Argentine.
Puis après, se rendant à l’évidence, il rit, rit. Il rit, sous son masque effrayant.
Dieu aidant, il se peut que, dans quelques années, cette entrevue touche un coeur quelconque qui veuille crier, murmurer, clamer.
Pour que
Plus Jamais.
Plus Jamais.
Plus Jamais

Rayons X : C’est l’archevêque de La Plata depuis 1956. Dès lors il exerça son influence dans le domaine éducatif de quelques provinces argentines. On le lia à la Banque Populaire de la Plata, liquidée par la Banque Centrale en 1964.
Du 11 novembre 1976 au 30 décembre 1983 , il fut l’aumônier des Forces de Police de la Province de Buenos Aires.
La Police la plus génocide du génocide. La Police de la province de Tucumán et celle de la province de Cordoba avaient les mêmes caractéristiques.
Il atteignit le degré hiérarchique de Commissaire Général. Il reçut ce grade du Chef de la Police, à l’époque Ramón Camps. L’homme qui guette l’âme.
L’archevêque et l’homme qui guette l’âme se lièrent d’amitié.
Et Plaza en est fier.
Il est fier de son amitié avec l’assassin.

 

L’HOMME QUI RIT

Quelqu’un m’accompagne. Cette personne semble être un membre des groupes de répression. On traverse des corridors et des caves. Inquiétant. Effrayant.
Monseigneur m’attend dans son bureau et quand j’y arrive, il me sourit. Comme le ferait un bon prêtre. Comme un bon curé de campagne. Comme si Dieu comblait son âme. Comme s’il était vraiment un ministre de Dieu.
Il évite de parler de certains sujets mais il en fait référence à d’autres sans que je lui pose des questions.
Par exemple, il commente, tout en faisant l’innocent : « 
Ce cendrier, c’est Graiver qui m’en a fait cadeau (!)... c’est un ami  ».
L’archevêque de La Plata supporte ma présence comme s’il était heureux d’être le personnage central de mon entrevue, chargée d’informations et de questions.
Mon amour de la vie et mon sens du devoir me guident dans le questionnaire.
Je sens la mort et les horreurs vécues par ces êtres humains qui sont mes frères et mes soeurs et que pourtant je n’ ai jamais connus. Mais ils étaient des êtres humains , donc.

L’homme qui rit ne s’altère pas. Il se montre cordial et il veut me séduire par sa conversation. Il ne se rend pas compte que pour moi, ce sont les valeurs qui l’emportent.
Il ignore que le concept d’existence comme fait transcendant est inhérent aux valeurs et qu’elles sont immuables.
Il ne peut pas comprendre que mon étoile est la proue visionnaire de José Ingenieros.
Il me voit si jeune... et il me le dit. C’est pour cela qu’il me croit vulnérable à son rire de masque. Il rit puisqu’il croit en Dieu.
Nos dieux sont bien différents, Je ne comprends pas les dieux aux pulsions meurtrières. Et pourtant il rit. Il paraît que c’est moi qui lance des grenades -les questions- et lui, des pétales de roses.

- Monseigneur... Que pouvez-vous me dire de la démocratie ?

- Bon... moi, je vis tranquille mais il paraît que le peuple non. Il n’en a pas l’habitude.

- Que pensez-vous de la « révolte » actuelle des moeurs (le « destape » espagnol) ?

- Que c’est une ordure. Même si je m’en fous, comme pasteur de cette communauté, je ne peux pas l’accepter.

- Pourquoi ?

- Vous avez étudié l’histoire de Rome et de Carthage ? Bon, les carthaginois ont traversé les Alpes, sont arrivés aux portes de Rome et se sont adonnés passionnément à la « dolce vita ».

- Et alors ?

- Donc les romains les ont chassés car avec eux, c’était la débauche qui était arrivée.

Ceux-ci et ceux-là, ou les uns et les autres

 - À l’heure actuelle, le pays connaît comment les droits de l’homme ont été violés pendant les dernières années. Qu’en pensez-vous ?

- Je crois que la grande diffusion de ces faits peut avoir des répercussions négatives. Si ce que nous voulons faire c’est soulager les esprits, il vaudrait mieux parler de ce qui est bon.

- Que peut-on trouver de bon dans le processus militaire de réorganisation nationale ?

- L’idée était bonne, très bonne, cependant la mise en oeuvre a été inadéquate. Mais... je ne veux pas en parler. Mon travail concerne l’ordre spirituel : plusieurs travailleurs viennent me consulter comme à l’époque le faisaient pas mal de messieurs y compris (le Général) Viola et son groupe de camarades.

- Vous n’avez pas précisé en quoi consistait la bonne idée...

- Eh bien... ils voulaient rétablir la Constitution et la liberté. Le pays était en désordre et ils voulaient bien faire les choses. Ceux-ci aussi (il fait référence au gouvernement du Dr Alfonsin) ont eu de bonnes idées mais les militaires ont pris un chemin et ceux-ci en ont pris un autre... et voilà !

- Le chemin des premiers a été le terrorisme d’État alors que pour ces derniers c’est la Constitution...

-... (Monseigneur rit aux éclats) .

- De quoi riez-vous ?

- Parce que les deux groupes se ressemblent... (en se moquant de moi) : Croyez-vous qu’aujourd’hui il y a de la liberté ?

- On ne cohabite pas avec la mort, ni avec la disparition forcée des personnes, ni avec la torture, ni...

- Mais non !... Autrefois, dans certains aspects, il y avait plus de liberté qu’aujourd’hui.

- Dans quels aspects ?

- Ne m’incitez pas à en parler, ne le faites pas...

- Pourquoi pas ? Vous êtes en train de défendre la dictature...

- De quelle dictature parlez-vous ? Ne me faites pas parler par votre bouche, j’ai dit « l’idée » du processus militaire. J’ai déjà discuté de ces aspects avec le Général Viola car il voulait en parler avec moi. Cela s’est passé lorsqu’il était Commandant en Chef et aussi quand il est devenu président.

- Et avec Jorge Rafael Videla ?

- Je l’ai vu deux fois, pas plus que ça... que voulez-vous que je vous dise ? N’est-ce pas très peu pour donner une conclusion ?

- On parle du responsable de la disparition d’enfants et d’adultes, du responsable des tortures et des actes impensables même chez les animaux les plus sauvages...

- Ce qui se passe c’est que tous ceux qui ont tout fragilisé depuis le début se sont organisés : ils ont organisé des actions et ils ont tué des gens et maintenant ils sont considérés comme des héros. Bien, mais... Que serait-elle devenue, notre vie, si les groupes subversifs avaient eu le pouvoir ? Pensez-le un instant !... Que serions-nous devenus ?

- Défendez-vous le terrorisme d’État ?

- Non.

- Et la torture ?

- Non.

- On a trente mille personnes portées disparues, Monseigneur : je vous parle des vies humaines.

- Mais, c’est que, je ne sais pas s’il y en a tant ! De plus, il y en a beaucoup qui se sont supprimés les uns les autres. On ne peut pas dire maintenant que les terroristes sont tous des saints innocents. Vous connaissez Patricio Kelly ? Je le connais bien : quand il est tombé prisonnier de l’Armée en 1955 ou 56 il avait deux fils adolescents et moi, je l’ai protégé. Il a pu échapper des mains de ses gardiens et il s’est exilé au Chili ; puis on l’a rattrapé et on l’a rapatrié et je suis allé le voir parce qu’il me l’avait demandé. Je vous assure qu’il ne peut rien dire de personne ou , ce qui serait plus intolérable encore, c’est qu’à la suite de « ses accusations » quelqu’un soit mis en prison... allez...

- Je ne parle pas de Kelly. Je parle des témoignages du génocide : les fosses N.N (des personnes non identifiées), les tortures et... les corps qui ne réapparaîtront jamais plus ??

- C’est terrible... mais que voulez-vous... moi, je viens de l’apprendre.

- Nous, ceux qui avons voulu l’apprendre par respect des droits de l’homme, nous l’avons appris...

- Ah, bon... Vous êtes des gens très intelligents.

- Si on trouve les responsables... Que devrait-on en faire ?

- Voilà... moi, je ne peux pas les juger.

- Vous rappelez-vous la loi d’oubli que Monseigneur Quarracino a proposée ?

- Oui. Lui, c’ est un grand evêque et je ne vais pas le contredire... ni lui ni aucun de mes frères, non plus.

- Vous ne m’avez pas dit ce que vous pensez de cette loi...

- Je l’ai déjà fait et je ne suis pas un perroquet.

- Vous avez dit qu’il faut oublier ce qui est mauvais. Mais les criminels sont un danger pour la République. Vous, un ministre de Dieu, vous ne donnez pas d’importance à ce fait ?

- Voyons... Beaucoup parmi ceux qui disent cela devraient faire un examen de conscience. D’ailleurs, je ne suis pas un juge de la République donc je ne peux pas émettre d’avis... Que voulez-vous de moi ?... Tenez, je vous fais cadeau du catéchisme que nous donnions à la Police. Lisez-le !... Voyons s’il vous fait du bien !

Les prêtres et les policiers tortionnaires

- Quelle attitude avez-vous assumé vis-à-vis des prêtres détenus ?

- Ici à La Plata, il n’y avait aucun détenu.

- Un prêtre espagnol qui a sauvé sa vie car il était étranger m’a raconté qu’il avait été dans la prison de La Plata et que...

- Ah, je ne sais pas, je ne suis jamais allé à la prison.

- Il a dit que le père Callejas, l’aumônier de la prison, sensible aux souffrances des prisonniers politiques, leur donnait de l’argent officieusement mais...

- Voilà, je n’en sais rien, ça, c’est de lui... Pourquoi ne lisez-vous pas le catéchisme dont je vous ai fait cadeau ?

- Monseigneur : le curé espagnol m’a aussi dit que quand les militaires vous ont raconté cela, vous avez destitué Callejas.

- Des mensonges, des mensonges !... Callejas est mort en décembre et il était chanoine de la Cathédrale de la Plata.

- Que pouvez-vous me dire du père Hapon ?

- Bon alors, le père Hapon est parti vers le Sud du pays. Mais... tu as de beaux yeux...

- Pourquoi est-il parti ?

- Parce qu’il est tombé amoureux d’une femme -les femmes sont toujours les coupables- et il s’est marié. Mais je t’ai donné le catéchisme, tu ne le lis pas et tu es là et tu fais le perroquet : tu poses des questions, et tu recommences. Je te fais des compliments et tu continues avec ta litanie... Tiens, prends un bonbon !

- Monseigneur : le Père Hapon a permis à un couple poursuivi par les forces de la répression de s’abriter dans l’Église et...

- Je n’en sais rien...

-... Et quand les militaires ont exigé de vous la tête du Père Hapon, vous l’avez abandonné à ces forces.Vous avez refusé de le protéger : c’était le condamner à mort...

- Non, non, pas du tout. Il était parti vers le Sud, ; là-bas il avait fondé une école et il s’est marié... je ne l’ai pas tué, moi non plus.

- Je ne vous vois pas tuer une personne de vos propres mains.

- Non, je ne tue personne : ni de mes propres mains ni indirectement.

- Mais vous avez dit une fois que « non seulement celui qui vole un escalier est coupable, mais que celui qui l’aide est aussi coupable ».

- Oui, c’est vrai... comment se fait-il que vous possédiez tant d’informations sur moi... vous faites partie des « groupes de travail » (les forces de la répression) ? (Monseigneur rit, il rit). Oui, si vous volez et si moi, je soutiens l’escalier de mes deux mains, je suis aussi coupable que vous.

- Acceptez-vous votre culpabilité ?

- Ah, non, ma petite Christine... je n’ai soutenu aucun escalier avec personne. (Il cherche quelque chose dans la partie inférieure du bureau)... Tu veux un whisky ?

- Non, merci. Les evêques, eux aussi, ils mentent ?

- Nous les evêques, nous pouvons nous tromper parce que nous sommes des êtres humains.

- Se tromper n’est pas la même chose que mentir. Comment se fait-il que vous ne sachiez pas qu’il y avait des camps de concentration ?

- Je ne le savais pas.

- Il y avait...

- Ah... je ne le savais pas... Tiens, voilà... pauvres gens, n’est-ce pas ?

- Et en plus il y avait des détenus attendant le procès...

- Hélas !... (il fait une mine d’innocent)... Pauvres... Ils te font de la peine ?

- Le 9 juillet de 1978 vous avez reçu une requête d’Amnesty International signée par son président Scott Hoffman où l’on vous demandait des informations sur ce qui se passait dans le pays à ce moment-là. Vous avez répondu : « Je vous assure qu’en Argentine il n’y a aucun détenu politique... » Vous vous repentez maintenant ?

- Je n’ai pas dit ça...

- Alors que dites-vous de cela (je lui montre la photocopie de la requête et sa déclaration) ?

- Eh bien, oui... Mais quelle fille questionneuse ! Oui, je savais qu’il y avait des détenus mis à la disposition du Pouvoir Exécutif. Évidemment... mais je n’allais pas les voir car c’était l’aumônier qui y allait.

- Et quelle a été l’attitude des aumôniers face aux crimes et aux tortures ?

- Eux, ils faisaient ce qu’ils devaient faire : ils les réconfortaient moralement.

- Voilà ! Vous avouez donc qu’il y avait des tortures et des morts...

- Je n’avoue rien.

- Les aumôniers alors, pourquoi n’ont-ils jamais élevé la voix en défense du droit à la vie ?

- Eh bien... ils ne faisaient qu’accomplir leur devoir et le devoir sacré du prêtre est de ne pas communiquer les choses qui se passent. Ce sont les secrets du métier...

- Ce que vous dites défie le sens commun et le respect de la vie. Comment ne pas agir face à la torture et à l’assassinat d’ êtres humains ?

- Vous parlez d’un cas hypothétique.

- Je suis en train de parler des prisons et vous avez avoué que les aumôniers y allaient...

- Je n’ai pas la certitude qu’ils y allaient. Ce qu’ils faisaient c’était se déplacer à l’Unité 9 de La Plata (province de Buenos Aires). Là, il y avait des détenus politiques mis à la disposition du Pouvoir Exécutif.

- On parle de la même chose et il y a un instant vous avez accepté qu’ils réconfortaient moralement...

- Et alors ? Êtes-vous sûre qu’on torturait ces détenus politiques-là ?

- Voyons, on sait que pendant qu’on torturait quelqu’un, il y avait toujours un prêtre devant... (le Père Andrés, le secrétaire du Monseigneur Plaza, qui était par hasard là, a exclamé son horreur.)

- Non, ça, c’est un mensonge, une infamie.

- On dit aussi qu’en 1976 dix aumôniers se sont réunis pour décider s’il était correct d’absoudre les tortionnaires. Neuf -neuf ministres de Dieu sur dix ont voté affirmativement. Ils excommunient ceux qui divorcent et ils bénissent les tortionnaires...

- Je n’en sais rien ; c’est la première nouvelle que j’en ai. Mais je vous dis que s’il y a quelqu’un qui se repentit et qui promet de ne plus le faire, il faut l’absoudre.

- Comme s’il avait commis un pêché quelconque, comme s’il avait dit un gros mot ?

- Il n’y a pas de gros mots, mais... (il rit)... il y a des noms de famille qui semblent être des gros mots.

- Par exemple ?

- (le Premier Ministre Dante) Caputo (il rit beaucoup).(« puto » :en Argentine en langue populaire, gros mot au masculin qui signifie « Homosexuel)

Les mains ensanglantées

 - Parlez-moi de votre amitié avec Camps...

- Il était le Chef de la Police et moi, le Premier Aumônier ; je le connais depuis qu’il est Major. Mais... des amis... je peux dire que je le connais, mais que je le considère mon ami, ça non.

- Je vous rappelle vos propos : « Je suis l’ami de Camps -avez-vous dit- mais ce n’est pas un crime ». Quelles affinités aviez-vous avec lui ?

- Ces paroles qu’on me fait dire, ce n’est que des bêtises. Vous avez le droit de penser autrement, mais je dis la vérité.

- Vous avez dit que, dans certaine occasion, vous avez vu que Camps avait les mains ensanglantées. Qui était sa victime ?

- Il venait de commander une opération militaire, un affrontement contre des guérilléros, et puis après il est venu me voir. Oui, il avait les mains ensanglantées, c’est vrai.

- Et vous ne lui avez demandé aucune explication ? Vous ne lui avez rien reproché ? Vous ne l’avez pas dénoncé ?

- Pourquoi allais-je le dénoncer ?

- Appelez-vous des affrontements le fait de séquestrer des personnes la nuit, y compris des enfants ?

- Oui, oui, oui et le policier qui était à côté de Camps est tombé blessé.

- Monseigneur... Défendre la répression c’est la défendre...

- Ce n’est pas vrai. L’évêque de la province de San Juan l’a déjà dit : il y a un complot pour me discréditer.

- Pourquoi ne contestez-vous pas ces injures ?

- Parce que je l’ai déjà fait une fois et que je ne suis pas un perroquet.

- Comme homme de l’Église, qu’avez-vous fait en faveur de ces gens persécutés ?

- Tout ce que je devais faire mais je ne peux pas en parler.

- Quel est votre avis par rapport aux organisations pour la défense des droits de l’homme ?

- Elles n’agissent pas en toute sincérité. Ernesto Sábato, vous le croyez absolument sincère ? (Monseigneur rit aux éclats). Mais Sábato, lui, il déjeunait avec Videla, n’est-ce pas ? (il rit comme si on lui chatouillait les côtes) Voyons, c’est très bien, vous êtes très jolie et très sympathique, mais ça, c’est fini.

- Ne croyez-vous pas à la CONADEP (Commission d’ enquête sur la disparition des personnes) ?

- Non... c’est une commission inutile...elle a été constituée arbitrairement.

- S’il vous plaît, pourriez-vous me dire ce que vous pensez des Mères et des Grands-Mères de Plaza de Mayo...

- Je ne veux pas parler d’elles. C’est fini... Voulez-vous un café, ma belle ?

- Ne trouvez-vous pas significatif qu’elles ne se soient jamais adressées à vous en quête de consolation ?

- Non, car elles l’avaient obtenue ailleurs...

La polémique relation d’amitié entre Herminio Iglesias et Monseigneur

 - L’Église a négligé l’aspect spirituel et s’est concentrée sur le pouvoir politique ?

- Non, nous avons une Église spirituelle qui s’occupe aussi des affaires temporelles et politiques.

- C’est fou, ce monde ! Au nom de Dieu et de l’amour, une mère accouche de son enfant en invoquant Dieu et l’amour, on commet les pires crimes...

- C’est qu’il y a des personnes qui invoquent Dieu et pourtant ils agissent autrement.

- Tout semble vous montrer du doigt...

- Mais non... Comment est-ce que tu peux penser cela ?

- Que pensez-vous de la position prise par l’Église par rapport aux droits de l’homme ?

- (Il regarde par la fenêtre)... Regarde comme il pleut.

- Il pleut, Monseigneur. Selon la théologie thomiste la vraie Église se reconnaît par les persécutions dont elle est objet. La persécution, existe-elle aujourd’hui ?

- Les journalistes me talonnent tout le temps, donc je dois être bon. (Il appelle son secrétaire et lui demande une Bible. Il me la donne). Tiens... lis-la... Je t’en fais cadeau... Voyons si tu apprends quelque chose, voyons si tu vas au ciel... Tu as besoin de la lire.

- Qu’est-elle devenue votre amitié avec Herminio Iglesias ?

- Il est venu me voir quand il allait se présenter comme candidat à la vice-présidence de la Nation. Amerise et son groupe l’accompagnaient. Il a demandé mon avis concernant un monsieur qu’il voulait proposer comme Ministre de l’Éducation. Je lui ai répondu qu’il me paraissait bien. Puis après, la Presse a publié que j’appuyais sa candidature, c’est du blablabla. Il n’avait pas été le seul à venir ici, Balbín et Anselmo Marini -auquel je suis encore lié d’amitié- sont aussi venus me consulter et...

- Vous êtes toujours tout près du pouvoir...

- Ce n’est pas vrai. Quand j’ai eu quelque chose à dire à quelqu’un, moi, je l’ai fait.

- Êtes-vous péroniste ?

- Je ne suis ni péroniste ni anti-péroniste. (Il se met débout, il mesourit)Regarde, quand tu es arrivée je t’ai offert des cigarettes, puis après je t’ai fait cadeau d’un catéchisme et d’une Bible ; et quand tu quitteras mon bureau, je te donnerai une bise. J’aime tous les êtres humains et toi, tu es très sympathique... C’est pour cela que je te donne des cadeaux.

- Sympathique ?

- Oui, parce que tu dis tout ce qu’il te vient à l’esprit. Prépare-toi bien pour aller au ciel puisqu’on va y aller ensemble...

- Ce sera bien difficile. Si vous pensez -comme votre ami Camps- que nous les journalistes, nous sommes tous des subversifs...

- Il a peut-être raison. Pas tous mais quelques-uns... donc... pense un peu à toi, ma belle.

cristinacastello.com

Entrevue publiée dans la Revue La Semana, le 5 avril 1984 Buenos Aires, Argentine - Le texte postérieur, en guise d’introduction, date du 10 février, 2002. Copyright © Cristina Castello

Sources pour le premier article :

« EquipoNizkor »(« Groupede rechercheNizkor ») - Biblioteca del Congreso de la Nación Argentina (Bibliothèque du Congrès de la Nation Argentine) - Kirchner y Tabaré Vázquez investigan desapariciones (Kirchner et Tabaré Vázquez mènent des recherches concernant les gens portés disparus) - « Genocidio : Los vuelos de la muerte » (« Génocide : Les vols de la mort ») - « Galería de torturadores y asesinos argentinos » (« Galerie de tortionnaires et assassins argentins ») - « La Iglesia cómplice y la Iglesia del Pueblo », (« L’Église complice et l’Église du Peuple » ), etcetera - León Ferrari Home - León Ferrari Nunca Más.

 

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