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Telles des vagues
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 Article publié le 12 décembre 2007.

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A la mémoire de Davertige

A Jean-Luc Raharimanana

 

…C’est ici le pays où les arbres aussi versent des larmes - Alain Mabanckou.

 

Mouvement I.

 

La nuit était partie comme en pleurant, sans dire au revoir à personne. Silence. Débris de songes. Pas même une poussière de mots. Les nuages, telles des vagues un jour de fête, très tôt se levant pour réveiller le matin en sursaut. Le vent jouait à cache-cache avec les feuillages. Le matin était sombre et frais.

Ses cheveux étaient noirs. Pas trop longs. Elle avait des yeux d’outre songe. Des éclats du matin étranglaient ses seins libres et des gouttelettes de pluie lui caressaient follement le corps. Elle humait doucement cette fraîcheur du matin, foulant les brindilles mortes et humides. Elle marchait sous les arbres. De loin, elle aperçut des fleurs égorgées de rosée courant en sens inverse du vent. Le brouillard matinal s’est jeté dans ses vêtements. Elle continuait à marcher sous les arbres. Elle marchait. Elle arriva enfin sous un arbuste où des milliers d’oiseaux chantaient à voix de mer. Elle sentait l’ombre humide qui lui collait au visage.

Les nuages, telles des vagues un jour de fête, nouaient le vent sur les images et le matin devenait plus froid. Et pluie.

En mémoire lui revint la mort d’une multitude d’étudiants que les chimères* avaient assassinés. Elle se souvint de ces hommes drapés de mensonges qui ont fait de sa terre ce qu’elle est devenue. Elle marchait encore sous les arbres et observait le plus profond silence. Il y avait la rue, des maisons, des enfants, des étudiants qui manifestaient avec rage sous la pluie. Elle s’avançait et observait la foule qui s’agitait. Aucune voiture, ce jour-là, n’osa prendre la rue. Elle s’approcha. Elle se mit à chanter. Soudain, des chimères lui tombèrent dessus. L’écho de sa chanson percutait contre les pierres de leur violence. Elle se débattait tandis que les étudiants morts devenaient de plus en plus nombreux. Des rivières de sang. Des chairs en décomposition. Elle cria. Frissonna. La journée faisait ses adieux.

*chimères : Nom donné aux partisans du Président Aristide

 

Mouvement II.

 

La nuit tombait encore comme une feuille morte, sans rien dire à personne. Telles des vagues un jour de fête et d’horreur, les nuages déliaient le temps sur les courbes des rivières et le vent sifflait très fort.

L’eau, au bout du petit matin, recouvrait toutes les rues. Des morts sont emportés. Des cadavres flottaient. Tout n’était que deuil. Aucune voiture, une fois de plus, ne prit contact avec la rue. Les étudiants manifestèrent. La jeune fille courait toutes les rues. Les chimères manifestaient contre la vie et s’emparèrent d’elle. Elle tomba d’un coup. Elle pleura. Les chimères partirent dans un vacarme assourdissant pour disperser la manif des étudiants. Elle se releva. Elle recommença à chanter en regardant les cadavres. Les fossoyeurs revinrent, lui tombèrent encore dessus. Elle cria. Elle se mêla au reste des cadavres. Dans les rues, les étudiants hurlaient à la mort. Des pierres et des gaz se concentraient à travers les rues pour éteindre la vie. Elle chanta. Continua d’avancer. Timide.

Et ce chant, plus lourd qu’une parole de fou ! Et ce chant qui faisait mal à la voix ! Et ce chant qui disait…

Nou pa pè, nou pap janm pè

Nou pa pè, nou pap janm pè

S’ak pa chimè ann ale

S’ak pa chimè ann ale

Et c’était comme une invocation.

Là où le ciel se fusionnait avec la mer, la brise soufflait et figeait le temps. L’espoir s’est évanoui dans le trou d’une vague d’illusions.

Les cadavres s’éparpillèrent. Pêle-mêle. L’égout chantait sa puanteur, l’étudiant sa frustration, la pute ses déboires. Des pieds se fusionnaient avec l’asphalte. La jeune fille chanta de toutes ses forces. Les chimères lui tombèrent dessus, plus furieux. Sauvages. L’un d’eux parvint à l’attraper. Son odeur violente lui brûla les narines. Il avait un visage maussade voilé de cicatrices. Il écrasa ses membres. Il brisa ses os. La viola. Net. La violenta. Elle vacilla sur ses jambes, cherchant à retrouver son sang-froid. Elle tomba par terre et sentit la fraîcheur du matin l’envahir. Ses compagnons crièrent encore à la mort de l’autre côté de la rue. Son sang s’écroulait sur le sol. Le sauvage la regardait avec des yeux enflés de rage. Le sang coulait à flots. Une fusion de sueur et de sang dégoulinait sur sa peau. Elle ne bougea plus. Des cris de sang. Des chairs en lambeaux.

 

Mouvement III.

 

La nuit se taisait sans rien dire à personne. Les nuages, telles des vagues un jour de fête, dessinaient la face cachée de l’horizon sur l’asphalte. Elle se taisait comme la nuit. Fatiguée. Fatiguée de toutes ces violences. De ces gestes d’un amour faux. Non consenti. Perdu dans une tête-à-queue de fuite. Elle repassait toutes ces images. L’ayant conduite ou ayant conduit tout un peule vers la liberté de vivre. Elle parla pour durer. Durer avec, probablement, un enfant dans ses entrailles. Dans sa nature de femme-combat.

Que cacher… ? Si elle voulait cacher une chose, elle devrait la montrer. Quiconque la cherchera ne la verra pas. Elle aura un enfant. De ce viol inhumain. Un enfant quand même. Son tout premier. Qu’elle aimera. Qui la vengera. Malgré lui. Malgré le viol. Un enfant symbole de sa volonté de vivre. De sa volonté de vivre comme il faut.

Cette nuit- là. Réunions de familles. Réunions d’hommes politiques. Auditeurs et auditrices à l’écoute. Les nuages, telles des vagues un jour de deuil. Le silence, tâche d’huile, se gonflait, s’élargissait dans un rituel de coup de force. La rue s’essoufflait. Un répit. Pas un chimère pour faire un thé.

Que se passa-t-il ?... Et la radio qui commençait à laisser couler deux trois mots. Des mots de fin de guerre. Des mots heureux d’être entendus. Et qui disaient long et que tout le monde attendait : le régime est anéanti. Les nuages, telles des vagues un jour de joie, redisaient l’espoir qui naissait dans ce mouvement vers la vie. Ce mouvement de gens qui accueillaient la nouvelle comme on accueille la vie. La nouvelle vie. La vraie. Libre.

La radio n’arrêtait pas de parler. Bouche folle. Oreilles prêtes à tout. Qu’y avait-il d’autre ? Les journalistes peut-être pourraient le savoir. D’autres mesures pour le renouvellement de la vie ? Qu’en était-il ?

Tous les enfants conçus de viol durant la crise et nés trois cent jours avant cet événement seront passibles de mort. Sujets à la mort.

Telle une vague muette à la tombée du jour, le chant de la jeune fille s’éteignit dans sa gorge. Elle s’en alla vers la mer, ses pas effleurant à peine la grève. Elle se coucha frissonnante sur un lambeau d’écume.

Nul ne remarqua son absence.

La radio continuait de tourmenter l’espace, et les mots bouillonnaient dans les rues, quand tout à coup une voix venue de nulle part, s’éleva dans un silence d’aube.

Alors doucement s’étendit sur la ville la clarté des commencements.

 

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