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Tu es le premier écrivain que j’ai rencontré, Roger Vailland. Malgré ma timidité j’eus l’audace d’aller jusqu’à toi dans la ferme de Bresse où tu vivais avec ta femme Élisabeth. J’ai admiré ton allure de condottiere : nez aquilin, visage buriné. Ton regard aigu et noir se vrillait, quand tu parlais, dans celui de l’interlocuteur. Tu m’as raconté ta vie de combattant, de militant, de libertin. De tes livres, je préférais Les Mauvais Coups, l’Éloge du cardinal de Bernis et le Regard froid où j’avais noté cette réflexion sur l’amateur que je fis mienne : « Amateur a une double signification. D’une part, c’est celui qui aime et qui sy connaît. L’amateur, d’autre part, c’est celui qui ne fait pas profession. Il n’est pas contraint par la nécessité. C’est volontairement qu’il s’abandonne à son goût et il ne cesse jamais de le dominer. L’amateur n’est pas la victime, l’objet d’une passion, il n’est pas agi ; il sait en toute occasion rester le sujet qui agit : c’est la définition même de la vertu. »