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Article publié le 19 octobre 2014. oOo " On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans " . Cette phrase célèbre, Piet Mondrian semble en avoir pris le contre-pied puisque c’est précisément à cet âge-là qu’il obtient son diplôme de professeur de dessin, une qualification qui lui permet d’enseigner dans les écoles élémentaires. Un an plus tard, il réalise un tableau digne de ce nom, son premier tableau majeur, réprésentant un paysage de Hollande, un chef d’oeuvre où la précocité, le talent et la rigueur montrent la puissance de leur association. A dix-huit ans, donc, Piet Mondrian imprime sa marque, investit le champ pictural qui devient rapidement son territoire, son laboratoire de recherches formelles. L’épure, la stabilité, l’harmonie, l’éclat sans ostentation, tels sont les quelques substantifs ou locutions qui viennent immédiatement à l’esprit pour qualifier la peinture de ce grand solitaire mû par une recherche esthétique continue, de tous les instants. Les paysages, alors, mais aussi les incontournables moulins ainsi que les églises sont les premiers cadres de tableaux dominés dès le début par une sorte de scannerisation géographique de sa terre natale où les clichés - les images d’Epinal dirait-on en France - deviennent des joyaux sous le pinceau d’un des maîtres de l’abstrait. A dix-huit ans, Piet Mondrian est déjà lui-même, et il ne cessera de le démontrer jusqu’à son dernier souffle, véhiculant le prototype singulier d’une solitude lucide et déterminée, d’une vocation unique, celle d’absorber respectivement tous les mouvements de l’époque, s’en inspirant pour nourrir sa propre matrice. Ainsi, successivement, l’impressionnisme, le fauvisme et le cubisme sont intégrés par l’oeil de Mondrian qui érige les fondations de l’abstraction. Progressivement, le contenu de ses tableaux se divise, se segmente, s’estompe, prend un sens nouveau. " L’Arbre Gris " est sans doute l’oeuvre de transition entre les prémices de l’abstraction et sa véritable naissance. Ce basculement assumé, Piet Mondrian peut désormais être lui-même de manière totale. Ce qui est représenté n’a plus le moindre héritage réaliste, la moindre référence à un cadre extérieur, qu’il s’agisse d’un paysage, d’une ville ou tout simplement d’un objet. Ce qui est représenté, c’est la quintessence d’une peinture nouvelle, c’est la subjectivité d’un artiste à travers lequel le monde s’est comme dissous pour renaître sous une forme esthétique sans cesse en mouvement, une forme énigmatique particulièrement séduisante. C’est ainsi que Mondrian affirme sans le moindre bruit - comme s’il s’agissait d’une évidence - les subtilités de la peinture abstraite dont les bases sont jetées, c’est ainsi, aussi, qu’il devient un artiste intrapictural, c’est-à-dire capable de s’inspirer de son oeuvre propre, faisant succéder des périodes différentes, autant d’étapes vers une abstraction de plus en plus recherchée, de plus en plus épurée, une abstraction qui reste dynamique. Chacun de ses tableaux, en quelque sorte, annonce le suivant, avec toujours la même obsession de la couleur, de la géométrie, de la sobriété, des obsessions de plus en plus présentes au fil du temps. Au cours de ses dernières années, il se trouve pleinement inspiré par le grouillement de la vie new-yorkaise, palpable à travers la densité de la population, le nombre comme incommensurable de rues et d’avenues à l’origine des plans en damier, les hauteurs vertigineuses et disparates des tours ... Sa devise " Toujours plus loin " est à l’image de sa peinture : une peinture sobre, équilibrée, ambitieuse, une peinture réalisée grâce à une volonté, une liberté de créer à la fois posée et agressive. Cet aphorisme de Mondrian résonne comme en écho à celui de Nietzsche, le célèbre " Deviens ce que tu es " .
AOUT 2008 |
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