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I love you et autres fadaises
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 Article publié le 7 septembre 2014.

oOo

Ichliebe dich,

Te quiero,

Je t’aime…

En voilà des phrases agressives qui visent toutes au même but : exercer une emprise sur l’objet du désir, enfermer l’autre dans la cage dorée d’un sentiment censé justifié toutes les demandes raisonnables, déraisonnables voire extravagantes.

Et promesse qui n’engage que celui ou celle à qui elle s’adresse !

L’anglais et l’allemand expriment leur foi en l’autre à l’aide d’un verbe qui signifia croire, avoir foi, ce qui lorgne vers l’idée de fidélité. Admettons !

L’espagnol est direct, très direct : il exprime une demande crue, une exigence formulée sans ambages, c’est le I want you dylanesque !

En espagnol, le complément d’objet direct est placé en première position, le verbe suit, dénué de pronom, toute la charge personnelle se concentrant dans la voyelle finale, ce « o » ouvert comme une bouche qui avale littéralement l’objet du désir.

L’anglais et l’allemand, et toutes les langues germaniques, pose le sujet de l’action par un pronom clairement distinct, le verbe suit qui précède le COD, l’objet de la croyance. Croyance révisable, en somme, un repentir de dernière seconde permettant de changer de COD ! Ich liebe… Salat. J’aime… la salade !

En Français, le COD se trouve coincé et apostrophé au double sens du terme entre le sujet de l’amour et le verbe dévorateur.

Le verbe est aimable, porte en lui la douce charge de l’affection vraie que l’on voue à l’ami, au frère, à l’égal, mais que dire de ce pauvre COD réduit à une consonne, ce « t’ » apostrophe-apostrophé, coincé entre le sujet comme volonté et le verbe qui traduit l’action de ce sujet dominateur ?

Ceci pour l’aspect linguistique de cette petite phrase lourde de sous-entendus.

Des milliards de « Je t’aime » sont proférés tous les jours, sur tous les tons, tous les continents.

Conclusifs, dits machinalement, exaltés, trompeurs ? Va savoir.

Les intentions varient : de la bouffée d’amour ressentie comparable à celle de l’enfant qui étreint son nounours à la séduction savamment amenée pour posséder l’autre charnellement y-t-il tant de différence que cela ?

Et à propos de nounours, il faut se rappeler que le Teddy Bear américain fut d’abord un ours en peluche offert à Théodore Roosevelt après une chasse fort décevante dont il était ressorti bredouille !

Toujours, il s’agit de tenir, de retenir et de maintenir l’objet du désir sous sa coupe, quitte à se contenter d’un substitut.

Je considère que la phrase interjective « Je t’aime. » est un fétiche. S’y concentre fantasmes inavoués, inavouables, intensité des sentiments-écrans, désir de possession, angoisse d’abandon et volonté de puissance voire de nuisance.

Extraordinaire méli-mélo ! Un nœud gordien, une nid-nœud de vipères, un nid douillet où se reposer, que sais-je encore ?

Rares sont ceux qui osent une formule autrement périlleuse : Aime-moi ! Lieb mich ! Love me !

« Je t’aime. » est une formule paradoxale : orgueilleuse en dépit du fait que le sujet du verbe aimer est bien obligé d’admettre qu’il doit en passer par autrui pour satisfaire ses désirs.

« Aime-moi ! » est une injonction, pas un ordre : c’est un vœu clairement formulé qui n’appelle pas de « Je t’aime. » en réponse, sauf peut-être de la part d’un amant soucieux de rassurer : ce dernier prononce alors la formule fatale censée faire taire le doute et le soupçon de désamour. Un « Je t’aime » de cette nature enferre dans le mensonge : l’amant s’enferme dans l’enfer froid de la dissimulation.

« Aime-moi comme moi je t’aime ! »/ »Lieb mich, so wie ich dich liebe ! »

Même sentiment, surtout même intensité, étreinte sans contrainte, car consentie par les deux bords du même fleuve amour censé courir dans les veines de l’un et de l’autre ?

« Je t’aime. » ouvre ou ferme un horizon selon l’intention du locuteur.

Tout semble devenir possible à partir du moment où il y a amour. Ou bien tout se fige dans un sentiment de sécurité qui tue le désir.

« Tu es mon horizon. » est la phrase qui barre, puis bouche l’horizon, opacifie la liberté d’aller et venir du désir nomade, à tel point que l’autre à qui s’adresse cette déclaration intempestive et inopportune étouffe dans l’atmosphère raréfiée d’un amour étroit, si étroit qu’il appelle l’évasion, la fuite en avant pour que la liberté d’aimer dans un cœur et dans un corps, à corps perdu, puisse s’affirmer sans honte et sans remords.

Courir vers l’horizon tel un enfant, voir qu’il se reconstitue indéfiniment, c’est autre chose.

Jean-Michel Guyot

13 août 2014

 

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