Une fois n’est pas coutume, je vais m’adresser à la catégorie de personnes qui se trouve au bout de la chaîne du texte, je veux parler des lecteurs. Une petite fraction d’entre eux connaît ma prose, par le biais de mes essais ou de mes nouvelles. Pour autant, je n’emploierai pas le possessif, considérant avant tout le lecteur comme un individu libre, libre d’absorber quelque ouvrage que ce soit, libre de vilipender le même ouvrage, libre, aussi, de lui tresser des louanges. Evoquant la liberté, je viens, mine de rien, de définir ce qu’est un lecteur : un individu curieux, qui se pose peut-être des questions sur l’évolution de la littérature, et qui a l’habitude de lire. En d’autres termes, un individu pour qui la lecture, à l’instar de l’auteur, est une activité indispensable. Une activité culturelle.

Dans le contexte actuel, je voudrais vous adresser non seulement ma considération mais aussi mon estime, dans la mesure où la lecture est un acte qui permet à la concentration et la mémoire de se tonifier, de gagner, même, en puissance et plasticité. Et au-delà, de faire acte de persévérance dans la volonté d’être soi-même, dans la connaissance et l’unité de soi.

C’est l’incarnation de la vie elle-même que vous représentez, oui, vous êtes les hérauts ou messagers du curriculum vitae, celui seul qui traverse toutes les vicissitudes et toutes les modes.

Vous êtes des fantassins du vivant. Tout ce qui est traversé par la vie organique vous est familier. Vous le savez depuis longtemps, tout est dans les livres. Et c’est peut-être avec eux, avec les livres que l’on a la possibilité de reprendre les ruines de notre vieille civilisation occidentale.

Dans un monde qui ne cesse de se défaire – ce qu’avait pressenti Albert Camus - , vous êtes les témoins privilégiés des mutations inéluctables, vous êtes les acteurs, aussi, de ces mutations qui n’ont ni cap, ni frontière, ni destination.

Vous êtes des braves.