La guerre et la littérature sont parfois étroitement associées.
La puissance ou la déflagration de la première assure souvent une vigueur ou renaissance à la deuxième.
Après le chaos de la Grande guerre, après les massacres des tranchées, Louis-Ferdinand Céline invente un style nouveau, absorbant au passage le traumatisme européen. Marcel Proust, lui, commence à innover avant, et il poursuit après. Les surréalistes, eux, Guillaume Apollinaire en tête, proposent une nouvelle vision du monde, en réaction au fracas sanglant du Vieux continent, optant pour une forme plus libre, une forme débridée.
Lorsque Albert Camus écrit « L’Etranger », c’est en plein chaos, au cœur de la Seconde guerre mondiale. Le « je » déambulant de Meursault semble transparent ou inoxydable, annonciateur de perceptions nouvelles qui sont encore sujettes à polémique …
La littérature, donc, se nourrit des ruines, elle s’appuie sur elles pour être encore plus grande. Les ruines sont un moteur.
Dans les années 50, certains écrivains proposent une autre façon de voir le monde, à travers leurs œuvres soit-disant illisibles, celles du Nouveau roman. Pourtant, le catéchisme des Trente glorieuses se diffuse largement …
Aujourd’hui, c’est peut-être à partir ce qui reste de la civilisation occidentale que la littérature tâche de se réinventer, à travers des formes visiblement plus éclatées, une littérature, donc, post-Nouveau roman qu’il est encore prématuré de cerner.
La guerre, donc, mais aussi les œuvres.
En effet, la perspective historique permet d’avoir un rapide aperçu des livres importants, des livres qui traversent le temps. Ces livres sont autant de continents qui se substituent à l’espace-temps, et à partir desquels il est possible d’avancer. Repère, géographie historique, histoire géographique, totem … l’oeuvre est là, présente, intangible. Prête à servir. Ainsi, l’auteur en devenir peut absorber certaines de ses caractéristiques pour orienter la littérature autrement. Différemment. Les antiques inspirent les classiques du XVIIe siècle, Rabelais inspire Céline, Dostoïevski inspire Camus, Kafka et Camus inspirent Robbe-Grillet … Le temps, alors, se rétrécit, un temps pénétré sans cesse, de manière cyclique, par des plumes talentueuses.
Les socles littéraires sont battus par le vent, battus par l’Histoire, mais ils restent figés, fichés dans la mémoire et la conscience. Et lorsqu’on entre à nouveau dans ces univers panoramiques, la souplesse de l’écriture retrouve de sa superbe, une souplesse nourricière qui sera partiellement ingérée par l’apparition d’une plume convaincue. D’une plume prométhéenne.