Plus jeune, j’ai admiré pour mon plus grand bonheur beaucoup de grands esprits. Certains sont devenus des amis, presque des frères.
Je les tutoie par la pensée.
Leur pensée, plus vaste que la mienne et consacrée par la postérité me tient en haleine, m’inspire et m’aspire, maintenant vive le souci des œuvres de l’esprit.
Avec eux, par eux, j’aurai appris à ne pas distinguer sèchement la vie et les œuvres, la vie des œuvres et les œuvres de la vie.
Ils m’auront en somme inculqué le désœuvrement.
Silence propice à toutes les audaces sonores et trébuchantes. Pas plus que je ne distingue nettement entre les frissons qui me viennent d’une caresse et le vent qui frissonne, je ne distingue franchement un baiser d’un poème.
Le poème est le lit du vent qui ne se couche jamais et le souffle du vent me lie au souffle qui en passe par moi.
La saveur sui generis de l’un passe dans le goût que j’ai de l’autre.
Marcher, rouler, travailler, j’y consens de bon cœur, sans toujours y trouver autre chose que la fatigue qui me gagne.
Marcher pour marcher, sans autre souci que de m’immerger dans ce qui est équivaut à écrire un poème à même de me surprendre de bout en bout, comme le peut faire un paysage sauvage et tranquille, exempt de toute intention.
Imposer silence à la conscience ? C’est impossible.
Le poème est ainsi la conscience réalisée de l’amour des formes et des rythmes, des sons qui font sens et du sens qui s’aventure dans le son au contact prolongé et rêvé de la matérialité assumée, aimée, désirée,matte réalité qui songe creux, si l’on n’y prend garde,étrange familiarité aussi bien qui s’avance en nous à pas feutrés, sonne l’alarme des sens en éveil dans l’éros débridé, puis s’abîme dans le silence provisoire de l’œuvre achevée.
Presque-musique.
Sans tambour ni trompète, sans fanfare éprise de hasard.
Sans rien qui tienne que l’être dans son destin de langage.
Festin qu’on destine à l’aimée, aux amis proches ou lointains, au grand devers qui accueille la lente ascension de la colline aimée, à l’inconnu sans forme et sans mode qu’il nous arrive d’être pour nous-mêmes à de certaines heures, quand nous avons beaucoup œuvré.
Jean-Michel Guyot
8 mars 2013