Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
Navigation
Les textes publiés dans les Goruriennes sont souvent extraits des livres du catalogue : brochés et ebooks chez Amazon.fr + Lecture intégrale en ligne gratuite sur le site www.patrickcintas.fr
Goruriennes (Patrick Cintas)
J’ai envie de servir à quelque chose...

[E-mail]
 Article publié le 16 février 2014.

oOo

Mais elle n’était pas là pour parler du passé. J’étais au service de l’Urine Extrême et elle était Métal. Je sortais d’un tuyau et elle avait habité la terre en attendant que je devienne quelqu’un. Elle était en fusion blanche si on regardait bien entre les jambes.

*

Il y enfonça un doigt prudent, laissant à son cerveau le temps de comprendre ce que le doigt comprenait en ne trouvant rien de suspect. Il acheva son exploration par un sourire engageant.

— Vous reboucherez l’trou, me dit-il.

*

— Dans un an, la moitié de la population sera atteinte. Il restera plus que l’autre moitié pour trouver une solution. Un an de plus et ce sera 80% de contaminés. Et 20% pour y penser. Dans trois ans, il ne restera plus personne pour y réfléchir et on continuera d’aspirer au bonheur sans se douter qu’on sera tous en train d’agir pour le malheur de tous.

*

Je communiquais avec des tas de gens qui s’intéressaient à moi parce que je portais un fardeau que rien n’expliquait à part la nécessité de gagner ma vie pour pas la rater complètement. L’écran avait du mal à contenir ces effervescences. Des hologrammes à bon marché remplaçaient tout ce qui manquait à mon corps pour être celui d’un homme parfaitement ordinaire, mais avec des capacités sexuelles presque hors du commun. J’hallucinais un max grâce aux nouveautés du catalogue mis en réseau par les marchands de sommeil éveillé. J’étais de ceux qui avaient réglé leurs comptes avec le somnambulisme et autres parasomnies de l’émergence pharmaceutique. Mais j’étais seul, mec !

*

J’ai toujours eu un mal fou à me réveiller de l’insomnie. Ça m’fait mal aux doigts et je peux plus rien attraper sans casser quelque chose. Les gens s’évanouissent dans leurs photos, les mots se coupent comme des mains, j’entends des voix qui me conseillent d’en finir et le soleil se met alors à cracher comme un lama sur tout c’qui bouge. Dehors, les mécanismes de la survie reviennent imposer leurs idéaux aux doubles que je vois descendre la rue avec un empressement et une exactitude d’insecte au travail de la terre. Je descends pas. J’attends qu’on ouvre. Ou qu’on montre son gros visage encore rêveur entre le drap et le coussin. C’est toujours comme ça qu’elle réapparaissait, qu’elle me revenait.

*

C’est compliqué, la guérison à tout prix, alors qu’ils pourraient vivre simplement en marge du système qui intégrerait leur coût dans le budget de ceux qui ont la chance de pouvoir cotiser aux Pompes funèbres.

*

À l’époque, je jouais à la marelle avec des filles de mon âge parce que leurs pieds nus m’inspiraient des désordres mentaux qui allaient, selon les responsables de mon éducation, me jouer plus d’un tour au moment de décider comment je me sortirais de ces situations délictuelles.

*

J’étais pas pressé de simuler, aussi je me contentai d’écouter et de regarder, ce qui me donnait un air idiot, j’en conviens, mais j’avais pas l’intention de me mélanger à des discussions administratives qui ne me concernaient pas puisque j’étais un employé du privé.

*

De toute façon, j’avais pas le choix. C’était la simulation ou les aveux. J’avais choisi la simulation parce que c’était moins douloureux et que ça laissait pas d’traces. Vous ressortez de là à peu près intact, alors que l’aveu, surtout s’il est complet, vous colle à la peau pour toute la vie et continue de vous faire souffrir comme si le pardon n’existait pas.

*

Je plongeais dans son cul la tête la première, vagissant comme au premier jour. J’allais pas tarder à me retrouver dans la merde.

*

Pour nous en tout cas, le rêve américain était retourné d’où il était venu : dans le cul immonde du Gorille Urinant.

*

J’allais savoir qui j’étais à ce moment crucial de mon existence. Et comment que j’la recevrais cette nouvelle de l’au-delà du cercle intime ? Avec des cris de haine ?

*

J’avais eu une enfance heureuse, moi. Yavait pas d’miroir dans ma chambre d’enfant. Qui j’aurais regardé à part moi ?

*

— Vous aviez cette foutue console… !

— J’l’ai toujours eue ! J’ai jamais pu m’séparer de c’que papa appelait un jouet pour pas jouer. Il voulait dire que j’jouais pas avec les autres ou alors seulement pour les tuer. Il y en avait toujours deux ou trois. Des tubards comme moi et ils amenaient leurs consoles dernier cri. Le problème, c’était l’écran. On entrait chez les gens pendant qu’ils dormaient. On retenait nos cris grâce à une balle de ping-pong. Mais c’était le corps qui nous trahissait et on finissait par se cogner la tête contre les murs. Ils se réveillaient toujours avec le même cri de colère et on fuyait, traversant la rue hostile qui se réveillait aussi, et on allait le plus loin possible en soulevant la poussière des chemins. Là-haut, on branchait nos consoles aux éoliennes et on jouait sur l’écran de contrôle de la Compagnie des Ressources Énergétiques jusqu’à l’arrivée du gardien qui nous tirait dessus avec du double zéro. On quittait pas les lieux sans cracher notre sang sur les poignées du système de maintenance. Il nous poursuivait jusqu’à la fonderie. On s’cachait dans les jambes des forgerons. Papa avait de grosses jambes marquées au fer. Il avait plus un seul spermatozoïde à mettre sur le marché et les Chinois lui proposaient des pieds momifiés avec des femmes au bout, pantelantes et inoffensives.

*

En même temps, on jouait à gagner. Je sais plus si j’étais heureux dans ces moments-là. Je l’étais peut-être après tout. Mec, ça m’amuserait plus maintenant que j’ai compris qu’il faut aussi jouer à perdre si on veut comprendre la nature humaine. Ensuite, on rentrait chez nous et on s’amusait avec des filles de notre âge qui pensaient qu’à rire et à se moquer sans avoir à payer le prix de leur insolence. J’avais ma queue devant un miroir et je m’disais que je pouvais pas accepter le destin de papa sous prétexte que j’en avais pas d’autre.

*

J’étais chômeur et j’votais pour des cons qui avaient trouvé un emploi surpayé.

*

J’arrivaispas à me concentrer. Les fibres optiques me communiquaient des traductions de ce que je savais déjà de moi-même et de ceux qui m’avaient pas aidé. J’essayais de suivre une cohérence qui reposait entièrement sur ce que le système judiciaire avait inscrit dans mon dossier de survie conditionnelle. Mais le récit de mes malheurs était conforme à ce que j’en pensais quand j’y pensais, ces nuits d’angoisse sale jusqu’à la négligence.

*

Le dimanche, je f’sais la queue pour balayer les clinkers dans la cour des Grands ou ramasser des débris humains dans les centres d’essais du Temps d’Avance Nécessaire au Lendemain Si On Veut Gagner du Temps et Même s’en Passer.

*

— Avez-vous eu une enfance heureuse, Yougo ? Répondez !

— Maintenant que vous le dites, j’ai envie de servir à quelque chose…

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

 

www.patrickcintas.fr

Nouveau - La Trilogie de l'Oge - in progress >>

 

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -