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Du son et du sens
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 Article publié le 21 juillet 2013.

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Il y a, il y a que les gens m’ennuient. La plupart des gens. Ne voyez là aucune propension à l’élitisme ni aucun complexe de supériorité. De vous à moi, le courant passe constamment. Je vous sens, je vous guette. Je ne guette ni vos faux pas ni vos bourdes, mais je n’aime pas l’à peu près ni le prêt à penser. Ce que j’aime le moins dans la compagnie de mes contemporains français, c’est leur incapacité à parler sérieusement ne serait-ce que quelques minutes, leur incapacité apparemment chronique à tenir un sujet, tous phénomènes qui vont de pair, me semble-t-il, avec le refus d’écouter l’autre. Et l’autre, c’est moi.

Très jeune, j’ai été heurté dans mes goûts, d’abord par mes proches. J’ai senti que quelque chose de vraiment important musicalement avait eu lieu aux Etats Unis à la fin des années soixante. Mon goût jamais démenti pour le blues, Frank Zappa, Captain Beefheart et Jimi Hendrix vient de là. Ces musiques me parlaient, me prenaient aux tripes, m’exaltaient, me confrontaient avec des sensations et des sentiments éprouvés auparavant dans un monde musical toute autre : l’orchestre romantique de Richard Wagner.

La puissance tellurique de la musique hendrixienne, l’humour ravageur de Zappa, les éructations de Beefheart, quelques compositions du Grateful Dead, du Jefferson Airplane et de Quicksilver Messenger Service, tout cela m’enchantait, mais j’étais bien seul.

A l’écoute de GypsyEyes interprété par le GilEvans Band, mon grand-père s’était exclamé : « C’est la pompe à merde ! » J’écoutais en sa compagnie les symphonies de Beethoven et il n’ignorait pas ma passion pour Wagner.

J’ai cultivé mes goûts envers et contre tous, avançant tous azimuts à la rencontre du jazz de Miles Davis, John Coltrane, Charly Parker, Eric Dolphy, Thelonius Monk grâce au Frank Zappa de Uncle Meat, Hot Rats, Waka Jawaka, Grand Wazoo. Dans le même temps, toujours grâce à Zappa, je faisais mes premiers pas dans l’univers de la musique dite contemporaine encore plus mal aimée que mes musiques fétiches d’alors. Je découvrais avec délice Edgar Varèse, Le marteau sans maître de Pierre Boulez, Pierrot lunaire de Schönberg, Stravinsky, Debussy.

J’étais sensible aux timbres, aux harmonies, au son. Je devins sensible au bruit en musique. Les frontières s’effaçaient, les esthétiques se bousculaient, et peu m’importait qu’elles fussent incompatibles : je les aimais toutes pourvu qu’elle fussent totalement étrangères au goût dominant, au mainstream, à toutes ces musiques populaires qui dégoulinaient de bon sentiment. J’avais en horreur la joliesse et le sirop, ce que les Allemands appellent le Schmalz, la mélasse.

Rien n’a changé de ce point de vue. Je suis toujours aussi tranchant dans mes goûts. La question des paroles en musique m’a toujours laissé perplexe. La beauté des textes hendrixiens ne m’échappait pas. Hendrix était un blues shouter de première grandeur, pas un chanteur à l’eau de rose ni un chanteur à textes à la française.

Musique et chant ne faisaient qu’un, comme dans l’opéra, loin, très loin des fadaises et des fadeurs de l’opérette, de la chanson de variété et de la chanson à textes. Je faisais une exception pour Jacques Brel, je sentais aussi que les voix de Reggiani et de quelques autres avaient quelque chose à me dire, sans apprécier outre mesure les facilités musicales qui les portaient.

La fin des années 70 était pour moi pleine de musiques vieilles pour la plupart d’une dizaine d’années à peine, mais l’époque paraissait déjà à des années-lumière de ce qu’elles avaient à dire en deçà des mots. Je me repliais sur moi-même, de plus en plus amer, et c’est alors qu’avec quatre petites années de retard - nous étions en 1982 - je sortis de mon sommeil dogmatique et pris conscience que de nouvelles musiques passionnantes étaient en train de voir le jour aux Etats Unis et en Grande Bretagne, surtout en Grande Bretagne. Ces musiques, avec les recul, on les a qualifiées de post punk, une étiquette fourre-tout qui a le mérite de regrouper des aventures esthétiques aussi dissemblables que celle des Young Marble Giants, de Joy Division, Wire, Siouxsie and the Banshees, Cabaret Voltaire, Throbbing Gristle, Ludus, The Passage, Père Ubu, Talking Heads, et j’en passe.

Trente ans ont passé, et ces musiques à leur tour appartiennent au passé, mais je les aime encore. Toutes les musiques citées plus haut ont fait leur chemin, ont fait souche dans la sensibilité contemporaine. Elles résonnent encore. L’aventure n’est pas finie.

Ce que j’aurai aimé au plus haut point dans cette aventure, c’est la confirmation d’une intuition forte, exaltante même, ressentie à l’écoute de toute l’œuvre de JimiHendrix : la disparition progressive des frontières entre les musiques dites savantes et des musiques inclassables composées et jouées par des musiciens de génie qui ne sont pas passés par les écoles de musiques et autres conservatoires bien pensants.

Il n’est que d’écouter en France Clair Obscur, Vox Populi, Pacific 231 ou bien encore Le Déficit des Années Antérieures - liste non exhaustive - pour comprendre.

 

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