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Choix de poèmes (Patrick Cintas)
La guerre civile

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 Article publié le 1er juillet 2013.

oOo

Le soleil comme le clou du spectacle,

là-haut vivace et clair.

Rien moins qu’un rite païen,

par exemple pour les vendanges,

ou la messe des fous donnée par des sots.

Ceux qui sortent du temple ont les cuisses chaudes,

et la gargouille décrochée est un superbe diable

ou l’athanor secret de ceux qui sont restés.

 

"En bref le cheval avançant porte sur lui le tronc d’un homme,

et la première date avancée pour la guerre est une erreur,

non pas qu’on exagère maintenant le nombre des désertions.

Rien n’est mieux prévu que la façon de le réduire

dans des proportions raisonnables

pour le maintien de la république.

La désertion ne fausse pas les dates,

mais on ne peut évaluer l’exacte participation

de l’homme de la rue au conflit rituel

qui aura lieu sans qu’on puisse en fixer la date."

 

Ce rite nécessitait la présence d’un cheval et d’un homme armé,

et le soleil est une façon comme une autre

de regarder la mort en face.

Sa vivacité est un signe du déclin de la lumière.

Je veux dire de sa clarté.

 

Ce que je vois de cette clarté qui m’aveugle

au moment que je ne sais plus qui se bat et pourquoi,

c’est l’athanor toujours secret de ceux

que la vie a cloîtrés dans les murs d’une prière

aussi vieille que le monde,

c’est à dire avant qu’un rite païen

se retrempe aux sources du vin

et du blé qui le dore

avant qu’un diable arrêté dans la pierre

cesse de cracher l’eau

qui le justifiait aux yeux du passant ;

et celui-ci devra se battre pour sauver sa peau,

et un moment son geste de défense est suspendu

dans l’éclat de verre d’un soleil déchaîné

qui l’éclaire et l’innerve,

et la mort n’est plus une certitude,

tout au plus une probabilité qu’un homme seul

et par conséquent sans défense

a le droit de jouer contre sa propre existence.

Certes un déserteur ne tient pas compte

du parallélisme de la lumière ainsi déjetée,

mais parce que son éclairage est un feu d’artifice

dont la postérité seule dira la hauteur

dans la nuit de l’histoire passée

et vécue par d’autres qui ont légué ce qu’ils ont pu,

athanor hermétique de pierre en pierre

où le diable s’accroche dans les postures les plus anciennes,

les membres soudés à la mémoire de ce qu’ils ont embrassé de nouveau,

par exemple aux vendanges,

avec un fer à cheval pour conjurer le mauvais sort

dans le moindre millésime,

aux sources du vin que la terre n’a pas nourri

sont les pluies et le soleil qui les ravale ;

aux sources du pain que la terre n’a pas enfanté

sinon le soleil et les pluies qui le secrètent,

à l’athanor voyageur dans la terre impure

et sur les eaux purificatrices ;

et à sa fumée aux yeux de l’homme de la rue

qui vient de rater le dernier omnibus

à l’heure de la pluie et du soleil,

au moment que le voyage annonce une fin mémorable.

Enfin, ce que la mémoire d’un homme usé par le sang

peut retenir de la trajectoire de l’éclat

du point de chute à l’homme en guerre.

 

Ici, le soleil apparaît comme la dernière lumière,

par exemple à l’angle du métal

à tous moments de sa distance,

et l’ombre portée sur n’importe quel support

est à la mesure du parallélisme approximatif

dont l’œil accommode sa vision.

 

Enfin, la lumière est jetée

sur la proximité menaçante du feu,

la présence indispensable d’une bouffée d’air frais,

la vitesse de croissance de la terre,

et sur la croisière que l’eau aventure dans le périple hallucinant,

sonore et idéal de la vie vers la mort.

Telle est la parodie jouée une fois l’an

dans le temple toujours sacré

mais soucieux de la solidité de son pouvoir sur les hommes.

 

Ici,

j’ai révélé la nature d’un soleil à l’approche de la mort,

phanodrame par quoi Dieu a peut-être créé l’homme de toutes pièces ;

mélodrame où le verbe est entré dans la bouche de l’homme ;

logodrame que l’homme a joué pour en suspendre le goût

dans la conversation de ses contemporains,

et l’ombre est portée par n’importe quel support,

pour le prix d’une vie qui serait celle du fils de l’homme,

et l’usure est une poignée de la monnaie frappée

dans la mémoire à l’approche de la mort véloce

et voyageuse humée de loin ;

la mort à la pointe de la lumière,

comme si Dieu avait planté son glaive dans la terre

et que les hommes s’en fussent servi

pour crucifier un de leurs frères,

planté un homme les bras en croix en une croix en forme d’homme,

ou une guerre où les hommes se croisent

et ne se rencontrent pas ;

le feu au bûcher sur la place publique ;

les pigeons des places publiques ;

les allées des places publiques,

et ainsi toute chose publique

qui se réclame des droits de l’homme.

 

La trajectoire n’est pas un banal problème

de balistique ni de criminologie.

Il n’y a plus de bûchers sur la place publique ;

il y a des pigeons qui battent de l’aile ;

il y a des allées pavées de douleurs ;

il y a de l’eau dans les bassins,

et ainsi toute chose publique.

Et la trajectoire est une réponse à la mort,

la mort des asphyxiés,

la mort des enterrés-vivants,

la mort des noyés ;

on ne meurt plus dans le feu des places publiques,

et la date avancée pour la guerre n’est pas celle des exécutions

où le feu renaîtra dans toute sa splendeur,

ni celle du premier coup de feu

et de la première tombe

et du premier éclat

dans l’angle métallique d’une lumière naissante.

 

Et de distance en distance comme dirait Zénon d’Élée :

Integritas. J’ai vu

ce que pouvait donner une pareille pensée

dans l’esprit des pauvres d’esprit,

et mesuré l’illusion de la vie dans leurs yeux

cristallins comme les sonorités du cymbalum, ô monde.

Il y a des pigeons,

des allées, des bassins, et le feu

dans l’athanor secret de ceux

qui n’ont pas fait un geste pour se tirer du pétrin.

Et cette année-là,

le pain fut de mauvaise qualité,

aussi dur que la pierre au troisième jour de son existence.

 

C’est un acier finement ciselé dans la pensée humaine.

Il décrit comme un mot dans les airs trembleurs.

Il taille avec ce mot l’oblique rayon de la mort.

Un ancien combattant à qui il faut arracher

les mots de ses lèvres avares

me dit des anecdotes dont je ne saisis pas le sens,

par exemple des torches vivantes

s’extrayant de la coque brûlante

et déchirée des chars d’assaut au moment d’un maréchal Juin,

et ses yeux qui n’en peuvent plus de ne rien pouvoir,

ou se toucher les couilles parce qu’un général de Lattre

a fait signe vers la mine que la terre secrète

devant l’impatiente colonne, et dix autres cadavres

au bord de dix autres trous,

et peut-être cent autres mines,

et un même nombre de types à se toucher les couilles

en signe de croix ;

par exemple

l’inquiétante présence d’un sein nu au pied d’un mur,

et plus loin une fillette

qui se tient la poitrine en hurlant de douleur,

les mains brûlantes de son propre sang

qu’elle perdra de toute façon ;

par exemple un verre de trop,

et un ancien combattant s’inquiète

de ne plus rien entendre de sa propre respiration,

et à peine sur fond d’arbres calcinés,

l’oblique raison que l’esprit devine sans que l’œil ne l’image.

 

Du point de chute à l’homme,

l’obscène défilé des atrocités de la guerre,

d’un chant d’entrée à la bénédiction finale,

comme un mot, et l’air tremble ;

soleil,

lumière rituelle,

forme rituelle,

lieu rituel,

soleil Saint-Jean,

dit le poète,

se souvenant peut-être de telle figuration

qui enfla son sexe comme une baudruche.

Et un cheval avance,

portant le tronc d’un homme qui ne brandit pas la croix Soleil.

 

J’ai mal d’avaler mes mots,

mal au passage des mots,

un angle mort dans la pensée humaine

qui l’occulte d’un éclat de lumière.

J’ai lu beaucoup de livres, pas tous ;

des livres de guerre surtout, pas tous ;

la douleur, pas toute ;

l’attente surtout, pas toute l’attente,

un moment de l’attente,

mais c’est déjà beaucoup de savoir que ça peut arriver à n’importe qui.

C’est une terrible pensée,

plus terrible que la mort qui l’occupe pourtant infiniment.

Je ne connais pas de pensée plus cruelle,

et j’ai mal d’avaler mes mots

pour ne pas déranger l’ivresse où je ne bois pas.

 

Je voudrais être poète.

Je voudrais pouvoir déranger,

mais je ne dérange pas.

On me fait même une place.

Certes pas beaucoup de place dans ma place,

mais une place en forme de place,

avec des airs de places et des fêtes publiques et intimes.

 

Je pourrais être poète, mais je ne dérange pas.

J’ai ma place. La guerre aussi a une place,

mais ce n’est pas pour tout de suite.

Elle dérangera beaucoup.

Elle changera les places respectives,

et elle aura ses poètes, et je perdrais

tout espoir de l’être moi-même un jour.

 

Ici, le soleil a gagné

le point le plus haut de son éclat,

dans l’angle d’un acier que la pensée humaine

a forgé à force de mathématiques.

On devine l’impossibilité d’un retour en arrière.

On croit maintenant à l’irréversibilité du mouvement.

Un déserteur m’a confié qu’il avait agi par amour,

et il exhiba une photographie pour témoigner de cet amour,

mais l’amour n’est pas un droit,

ni la photographie une preuve.

J’ai connu un objecteur qui avait un corps.

Puis l’ancien combattant retrouva ses esprits,

et me reprocha de l’avoir écouté avec autant d’attention.

 

*

 

 Et pourtant à qui parler sinon à Dieu ?

Il n’y a personne ici, et la nature est muette.

C’est le moment de croire que Dieu existe,

au moins comme interlocuteur,

le temps d’une conversation qui tournerait autour de la vie éternelle,

entre le point de chute et l’homme en guerre,

juste le temps, avec l’image,

de tracer les grandes lignes d’une conversation qui serait éternelle ;

et personne pour écouter ce qui se dit,

la nature réduite à un simple décor sans intérêt sinon géographique,

seul avant Dieu

dans la première instance de la conversation,

puis le métal

imprimant à la chair la marque de la haine des hommes

au commencement de Dieu

qui parlera peut-être,

parce que le verbe est au prix de la mort de l’homme ;

nécessairement à ce prix,

où la pensée peut trouver à redire dans et hors les temples ;

et un corps immobile

où la vie est désormais impossible

sans qu’on puisse dire s’il conditionne l’existence de l’esprit,

c’est à dire tout compte fait de Dieu lui-même,

au passage dans une pluie de terre

qui retombe à sa terre

rencontrant un cadavre

qui soulève le cœur

et à la recherche du refuge idéal

où sa vision se change en obsession ;

et non pas une conversation qui aurait les qualités d’un poème,

et l’éphémère de son pouvoir

dont chacun peut juger de l’écouter religieusement,

la nature dévorant tout l’espace

jusqu’à l’occuper au premier plan à travers quoi

la pensée est taxée d’obscurité

au lieu d’être en cheville

sinon avec le mal

du moins avec le plaisir.

Et de retour,

ayant perçu de bout en bout la trajectoire

toute de lumière éclatant,

SE SOUVIENT QUE CE N’EST PAS LUI,

et donc que dieu n’existe pas ;

à moins de faire durer,

par quelque artifice,

malaxant le Savoir, la Beauté et la Justice

dans la même gamelle

qui ne démontre pas ses origines ;

faire durer et faire croire

mais pas à tout le monde,

ce qui mérite un prix qui n’est pas la mort de l’homme,

mais sa prétention à la mémoire ou à l’éternité,

selon que l’on croit, ou qu’on ne croit plus.

 

*

 

 Vers une mort sans brumes,

mais fulgurante abréviation d’un jeu,

d’un trait en chemin

j’ai pu recomposer la moindre nuance,

du coup, elle s’est envo-envolée...

 

Et moi de rejouer au même,

peut-être une malformation dont personne ne s’est inquiétée jusque-là,

je veux dire que quelque chose ne s’est pas formé,

d’abîmant le soleil

par quoi je veux symboliser une mort comme une redite,

au retour du refrain,

sachant que c’est une redite,

et que c’est mal venu,

de redire toujours la même chose.

 

Par exemple au bordel, ou si j’y suis allé, monotone,

oui tel que si je devais en finir,

avec un sexe, ennuyeux de mémoires,

et sans doute de rêves bercé,

avec de la morgue de la tête aux pieds,

pour parfaire le personnage que j’étais.

Je me souviens d’avoir tremblé,

et que les mots, au bout du compte,

disaient ce que ça ne voulait pas dire,

que c’était à refaire avec n’importe quelle femme,

pourvu qu’elle soit pute assez pour se contenter d’un juste salaire,

si juste que je le demandais.

Nul mystère, à part que c’est une femme,

et non point comme au pubère plaisir,

et pas plus de raison,

même nue, souriante, et offerte.

Ce que c’est que la mémoire !

Et que l’inattendu, ici bas !

Mais je ne puis me résoudre à ce qu’une rencontre ne dure pas,

même si c’est un bordel qui ne s’ouvre pas que pour l’amour.

C’est un jeu de tricher avec la mémoire,

et de noter l’instant où c’est pipé,

monotone, tel est l’ennui,

de baiser ton ventre pour qu’il n’en sorte rien.

 

Anneau, personnage par lui-même,

et marqué dans la chair,

c’est un anneau qui ne signifie rien,

pas même un désert de l’amour,

à peine dérobé par le mensonge et le tact,

un sein peut-être rebelle à ce qu’on le pelote, comme on dit,

et qu’on se satisfasse de reformer l’obsession ;

sein, pas tant que ça,

puisque c’est le lait et le poison de l’humain ;

et c’est un charme de le préférer

à l’angle d’un miroir se refléter nu et parfait,

mais d’une nudité qui cache quelque chose,

et d’une perfection qui ne veut pas la dire.

O miroir, à dos avec la réalité qui nous porte ici,

pour éteindre, à claquer les volets avec force,

parce que c’est moite,

et que ça devient progressivement hydrifiant.

 

Mmmmmm... tu es plus douce que le vent

et que le sable

et que l’eau,

et j’ai peur d’en manquer,

tant j’ai peur de me réveiller autre,

et de te plaire dans une peau de caméléon ;

et tu es plus obscure qu’un œil fermé à ce genre de plaisir,

noire comme une ombre jetée,

où je devine des pas, des quantités de pas que prolonge ton corps

debout entre moi et le miroir, moi,

à l’endroit du reflet où je ne me reconnais pas.

 

Dire que c’est la nuit,

et n’en rien dire pour te plaire

et que tu te dévêtes !

Et je ne brûle pas, ni même j’ai froid

— mais je suis une couleur,

entre une île et un royaume où tu m’attends, oh !

je te sens lascive, dans l’attente où je rentre,

mais pas tant qu’un enfer m’ait stigmatisé

au point qu’on l’y reconnaisse en moi,

implacable roman à ne pas mettre entre toutes les mains,

qu’elles y maudissent leurs destinées.

 

Et tu attends que l’attente finisse,

comme toutes les femmes que j’ai choisi d’aimer,

comme toutes les femmes qui rêvaient qu’un enfant les égrenât,

vieux chapelet où j’ai du dégoût,

quoique je t’aime.

Et une vieille église comme une pissotière sur un trottoir,

où je prie, pas n’importe quel dieu,

car je ne pense qu’à moi,

de soulager le mal d’un coup de rein,

et de reparaître au public ajustant les derniers plis

que l’obscurité avait soustraits à ma vigilance ;

je t’ai laissée béante,

et je n’ai retrouvé mon souffle que sur une place publique.

 

Chchchchch... cheuh ! c’est le moment d’une aventure

qui pourrait tourner court,

n’était, de ma part, une immanquable propension à l’oubli majeur.

Et je dis que c’est aussi le moment de nous quitter

sur un air de fête.

— À demain, et demain, si tu embaumes ma mort

avec des jets de sang,

demain tu seras la femme de ma vie,

et plus belle de l’être, à mes yeux,

quand d’autres pourraient supposer qu’il s’agit d’un boudin -.

 

*

 

 Un à un, ou deux par deux,

mais l’enthousiasme ne dure pas,

ayant tous accepté la nécessité du secret,

la morose délectation qu’elle suppose.

Un tramway traversa le carrefour.

C’était une belle soirée pour se balader.

Devant la devanture d’un magasin de chaussures,

on peut regarder son reflet.

Mais quelques mots, les promeneurs et les femmes,

cette sensation de liberté,

les coudes de la foule,

le ventre des murs répercutant le chahut.

Évidemment en retard d’au moins une heure.

Un geste de courtoisie tout contre mon visage,

sur le même trottoir où j’ai rencontré l’amour.

Ces réunions sont prévues d’avance,

servies par une femme de charge, lourde chaîne,

avec prudence toutefois, au sens propre du terme,

avec prudence dans l’allée.

Un escalier en spirale au troisième étage,

diverses figures déjà connues en d’autres lieux moins fréquentés.

Présentations.

À l’encontre de bien des gens,

quelques douzaines secouant les cendres

sur le tapis d’orient comme le cymbalum mundi de quelques mémoires.

Des quantités de gens,

mais je préfère vous passer la parole,

je préfère passer la parole au spécialiste que vous êtes.

 

"Elle a toujours été mortelle, non ?

 

— Mortelle ? Non.

 

— J’aimerais en savoir un peu plus long, vous comprenez ?"

 

Ils ne donnent pas volontiers de détails.

Ils auraient du mal à détailler l’ensemble.

Tout au moins pouvaient-ils le tenter.

Au courant depuis le début.

Au courant de quoi ?

Un grand nombre d’entre eux de l’autre côté de la terre natale

pour solliciter l’autorisation de parler.

 

"Que dit-il de cet assassinat ?"

 

Oui, que dit-il de cet assassinat ?

Peu de choses, sinon que ça l’impressionne.

 

"Bien entendu, aussi délicatement que possible."

 

Il faut compter sur la logique comme sur soi-même,

peut-être le coupable.

 

"D’autres renseignements, moins essentiels,

mais en comprenez-vous la nécessité ?"

 

C’est ce que je supposais, juge impartial.

Devant la cheminée, chez moi,

il rassérène les cours de la langue,

les volontaires à la cheville du premier suspect qui ne lui revient pas,

histoire de se faire la main sur un personnage secondaire ;

et des admirateurs de notre système

peignant des Christs suppliciés dans la foule

et les fortunes de ce monde,

comme au rayon de lumière qui pardonne à Judas.

Intimement, intimement cependant, le genre de vie ;

bons résultats pourtant.

Les journaux ont fait grand cas d’une rafle dans une maison :

la puce à l’oreille.

Le lieu de rendez-vous surveillé par des salariés,

et des fils de salariés

mordant le téton de leur mère douloureuse,

le premier d’une longue série.

Un ou deux conflits de grande envergure,

une proie facile

dans la lande livrée à la bruyère sauvage

qui donne un si mauvais miel.

 

Grands services. États de service. Opérations.

Un espion chez nous trichant

sur la valeur du renseignement

avec le consentement d’un type qui fait la manche au coin d’une rue.

Sous sa manche, son désespoir,

un désespoir en forme de lumière oblique sous les vitraux.

Être mêlé à des crises au dénouement heureux,

ou refuser d’être mêlé aux évènements

dans un monde où il n’y a pas de situation définitive ; ou reconnaître ses torts,

se damner publiquement dans toutes sortes d’aventures,

heureux d’avoir pris une telle décision,

malgré le tort causé à l’amour,

uniquement en cas d’urgence.

Vous et moi, une aide immédiate

chaque fois que vous le jugerez nécessaire.

Voyez-vous (je cite n’importe lequel de nos bons écrivains)

l’avantage, dès le début,

du côté de cet homme qui tente de nier l’évidence

avec la conviction d’un charmeur de serpent.

Du côté de la travée,

comme si tu disais adieu aux voyages

ou à un étranger,

même si l’étranger est un allié du type

de ceux qu’on peut se faire à une pareille époque.

Ne pouvoir rien en dire d’avance

— prédire — sauf l’heure d’arrivée,

l’endroit de l’arrivée,

et le goût du café,

là-bas, aux Tropiques.

Les rues les plus animées

sont au centre de la ville.

Les rues les plus mortes entourent la ville.

Ailleurs, les rues sont tristes.

 

Un ton confidentiel,

les yeux sur le téléphone

avec une pointe d’inquiétude sur des papiers, des livres, des signatures ;

une pointe d’inquiétude dans la faîtière

qui a tenu le coup malgré la pluie,

et ce vent qui n’a pas fini d’usurer notre solitude

au devant une poupée,

sans presque remuer les lèvres au mouvement de ses lèvres,

se remémorant chaque quatrain,

et ces livres répétant qu’elles n’y sont pour rien.

Je ne savais pas.

 

Je reviens tout de suite.

Un peu de sa dureté, un peu de son effroi,

et sa totale indifférence vis-à-vis de ma propre vision.

Pour le moment, compter sur la moindre logique,

car nous avons à parler à la même table,

comme au temps où le café avait le goût de l’orage.

Le premier nuage de fumée

tenu à l’écart sous sa surveillance

ne m’a pas cru quand je lui ai dit

que j’en avais perdu le goût ;

 

"Je suis sûre que vous en savez plus long que moi.

Je suis sûre que vous ne direz rien,

mais je serais bigrement heureuse

si vous m’ouvriez la porte."

 

Longtemps à comprendre la raison de son voyage

à l’autre bout de la raison,

mais s’il fallait forger un lien entre le rêve et la réalité,

est-ce vraiment urgent de venir me dire un mot,

ou neuf fois composer un autre numéro au cadran solaire.

 

"Vous saurez y aller ?"

 

Autre sensation que de l’inquiétude.

 

"Vous ne m’avez pas dit toute la vérité."

 

Autre sensation ; inexprimable,

sinon l’odeur des feuilles mortes bien des automnes après.

Derrière le verger de la ferme,

la blancheur, la dissimulation de la blancheur,

l’épanchement de la blancheur après la vie, une fois consommée.

Nous sommes tous nés de cette horreur.

Toute l’écriture est de la cochonnerie.

Je n’écris plus. Je dicte

— et vous prenez note de la ponctuation,

à l’instant éveillée d’un cauchemar,

avec un soupçon de chance

au mur qui me servait d’arrêt avant même d’entrer.

 

Ce goût dans ma bouche, et ce manque de soleil,

je sens venir la guerre.

Ce goût, et ces fleurs, et ce torrent de printemps,

je sens venir le temps d’un peu moins de clarté,

de beaucoup plus de mort, de mort dans tes cheveux.

 

La mort nouée en flèche à tes cheveux.

 

O qui donc a tué mon vide parfait ?

Qui donc m’arrache à ma pensée ?

Qu’es-tu, toi, porteur d’Éternité ?

Pourquoi brûler mes yeux au feu de ta virilité ?

La mort comme un nœud,

et ce goût dans ma bouche, dis-moi,

est-ce le souvenir d’un retour à rebours,

et le soleil me manque ?

Le soleil me sépare du reste du monde,

et tu mourras sans le soleil

parce que c’est écrit dans le ventre de la mère.

Soleil, dans le ventre de toutes les mères,

n’importe où quand s’ouvre ce ventre indolore.

Soleil, et quand elle hurle de douleur, venir,

venir le temps, la guerre et toutes sortes de calamités,

venir, venir et qui saura se taire, ô soleil,

qui respectera le silence pour les maudire,

maudire leurs mères et leurs filles, maudire,

maudire, maudire le soleil qui manque de lumière ?

dans le ventre d’une femme que je n’aime pas encore

et que je pourrais détester.

 

Ce goût dans ma bouche, certaines démarches,

un édifice de sept étages au coin de la rue,

nulle part ailleurs dans le monde où le soleil est déifié.

C’est aussi le quartier de la finance.

 

Si vous voulez bien venir

dans le silence profond du marbre

où tout nous invite à médire des autres,

c’est l’enfance je crois,

mais vous ne médirez pas aussi facilement.

"Je ne crois pas que ce soit possible.

Un homme comme vous a d’autres possibilités.

Pas le mal du pays, n’est-ce pas ?"

 

Dans n’importe quel hôtel, mal du pays ou pas,

je vous retrouverai dans le hall,

tu me retrouveras dans le hall,

et nous aurons d’autres conversations, plus intimes je crois ;

nous avons besoin de beaucoup d’intimité,

nous en tenir aux hypothèses,

entretenir une hypothèse,

cultiver le doute,

éviter les conclusions toujours hâtives.

Te souviens-tu de nos sordides conclusions ?

 

Ou acheter des renseignements à bas prix

sur les contrastes de la vitrine et du trottoir,

sur l’apparence de l’arrêt et la transparence du reflet.

"C’est pour me dire ça que vous me réveillez ?

Pour me dire ça vous me privez du sommeil

et me condamnez à l’oubli ?

Je ne crois pas à votre aventure.

Je ne crois pas à vos pygmées.

Je ne crois rien dans les chemins de fer de votre aventure.

Rien de positif dans les voies aériennes de votre livre.

Je crois à l’autopsie.

Je crois à l’empoisonnement.

Je crois mortel tout acide.

Elle a toujours été mortelle, non ?"

 

Toujours mortelle cette délectation morose,

et quand elle hurle de douleur,

ça ne vous secoue pas les tripes.

 

"Ça ne vous fait rien d’être un pauvre type

et d’enrichir les assassins ?"

 

Dites-moi que vous n’êtes pas insensible à ses cris.

Elle se trouve au bout d’un long couloir silencieusement sombre.

L’entrée principale lui est interdite.

Elle chante toujours sur le même mode qui lui réussit si bien.

Je crois que j’ai accepté par curiosité.

Le reste est sans intérêt.

Trois fois le tour de la terre.

Tu veux que je te parle de tes yeux chérie ?

Dis, tu veux que je leur parle de tes yeux ?

Tu veux que je leur dise tout même nos secrets ?

Tu veux me faire mentir dans un écrit aussi précieux.

Lorsqu’une figure éclairée doit se détacher d’un fond clair,

il faut nécessairement que cette figure,

qui n’a point d’ombre,

soit d’une couleur obscure pour qu’elle fasse un bon reflet.

C’est simple. C’est écrit

dans le grand livre des peintres

aussi bien que dans la série noire.

C’est écrit et j’y crois, chérie,

et tu voudrais que je parle de tes yeux

à ce tas de cochons qui pissent dessus. Tu voudrais que je fasse le tour de la terre

pour leur dire que tes yeux sont incomparables.

C’est simple, et c’est par là qu’il fallait commencer.

C’est écrit dans le grand livre des peintres

et je ferai ce que tu voudras.

C’est écrit et j’y crois comme tu voudras que je crois.

Les trams, les réverbères, les plates-bandes, les guéridons,

tout à l’exception des boîtes de nuit dans la vitrine,

et tous les flics de patrouille demain gagneront aux courses.

Le bakchich est à tout le monde, ici.

 

Je goûte à mon verre.

Je ne suis pas condamné à mort, moi.

Je peux goûter l’intérieur de mon verre sans risquer ma peau.

Je peux m’attarder pour contempler tes yeux.

Je peux tenter de les fermer,

et ma dernière lettre est toujours la première.

Et l’écriture est un angle

dans le cercle inachevé de la pensée, de la pensée.

L’écriture est un angle autour d’un bon mot.

Toute lettre n’est que la lettre

que n’imprime pas le cœur

sur la page noircie de l’idée.

D’autres auraient préféré se donner du plaisir

plutôt que de passer par là.

La page relève d’une ponctuation moins approbatrice

que le métal transmué par la voie royale.

Et les affiches annonçaient un nu intégral

et un accouplement sauvage entre les tables.

Plus haute que toutes les tours bâties penche l’histoire.

On y verrait comment une fille aime à se faire aimer.

Je suis mort dans ton vin,

ô Circé aux boucles d’écume.

Je suis mort dans ton écriture.

On y verrait un sexe comme dans un écrin,

puis ouvert comme un écrin.

Je suis mort à l’angle mort de ton nom,

ferlé par la vague inachevée du sable à l’océan.

On a payé pour ça cher, très cher.

On a payé plus que de raison.

Mort peut-être du haut du manoir le plus haut

où j’imprime mon regard.

Et l’accouplement eut lieu devant plus de cent poivrots-poivrotes.

Tu ne respires pas de mes poumons.

L’or a peut-être violé ton cri

hors de l’ivresse qui me tue.

Et le nu intégral eut lieu devant plus de cent poivrots-poivrotes.

Toi, ne t’ouvre pas au cœur du rêve qui m’épuise.

Respire seulement l’air de toutes les libations laissées pour compte par nécessité

— par nécessité, pour obéir à la nécessité, la terrible nécessité.

D’autres filles exhibèrent la chair de leurs mères.

J’écris à l’angle même du cercle

où nul ne retire rien que sa mort.

Mort, peut-être un nom au moins le temps de la mort qui me nomme,

tel que j’ai pu mourir dans ta demeure.

Mieux valait boire que de rêver, mort,

mieux valait m’accrocher à la réalité de la masturbation -

sans honte, et je meurs défilé

dans ses ombres hagardes

que regarde le sang de la moindre bête sacrifié.

Ce qu’Ulysse n’a pas écrit,

ce qu’Ulysse n’a pas écrit faute de l’avoir vécu.

Par exemple cette grande fille nue

et le type qui la tranche avec un sexe d’acier.

J’écris le nom que n’offusqueront pas

les jeux de tous les héros fêtés dans la cité.

J’écris la mort des compagnes du héros vainqueur,

et la mort du compagnon qui cherche encore le lieu de son repos.

Je chante l’échec de l’artisan

— une légende veut que l’homme est né de la terre

et la femme de l’homme,

une légende veut ce que des hommes ont patiemment souhaité.

Mais je préférerai toujours vous passer la parole.

Vous aimez mieux me la laisser. Oh Seigneur !

 

Oh Seigneur, on repart à zéro,

comme disait la radio du temps de mon père,

un peu après le temps de mon grand-père.

Soleil,

tu auras préféré la logique à une statue de pierre dans le parc,

incarnation de la promenade dans le parc qui en a vu de belles, oui !

Vous croyez que les gens savent ce qui est bon pour eux,

mais rappelez-vous :

 

"Je n’incarne aucune des promenades.

Disons qu’on me rend visite.

Mais tu peux te trouver toi-même en danger

dans la venelle obscure où personne ne t’entendra crier.

Telle est la sente obscure où je m’aventure.

Y a-t-il davantage de chance ailleurs.

J’attendrai ici qu’on vienne me chercher."

 

Je ne veux pas précipiter les évènements

— un tas de types m’en voudraient à mort -

et dans la nuit du 24 au 25,

je fis un rêve savoureux.

Voici le contenu de ce rêve que j’ai noté tout de suite après le réveil :

 

Circé a dévoilé une mamelle.

Elle a décelé son sexe.

Il était sous terre.

Le galet a jeté son sexe dans le glaive.

Du sang perle sur son genou.

Elle me regarde en pleurant doucement.

Mais je ne la regarde pas,

car Circé a posé sa main sur moi,

sur mon sexe brillant comme un glaive.

Sa main, sa main branle, sa main branle sur le ventre.

Alors ils nous dirent que le père était de retour.

On avait aperçu sa barque au loin.

Au loin. Il ramait contre le vent.

La mer l’enfante, dirent-ils pour plaisanter.

 

Circé joue sur mon ventre,

avec l’insecte qui agace son œil.

Le sang cesse de couler en elle, et les larmes.

Elle a ri.

Elle a ri tandis qu’il luttait contre l’écume grise.

Ils nous dirent que la voile gonfle l’espar de son sexe.

 

Elle détourne son doux regard

parce que mon sexe a giclé hors de moi

et que Circé lèche mon ventre.

La barque a disparu sous la crête.

Elle se lève.

Dans le sang, elle se lève.

Alors elle prend le glaive en main

et tranche ses mamelles sans un cri

et ouvre son ventre doucement.

Elle tombe non loin de Circé,

non loin, proche de moi.

Ils dirent que la barque sur le sable,

sur la grève un corps mouillé,

et comme il respire, Circé s’en va.

Je reste seul.

 

Entre celle qui est couchée et celui qui se lève,

je reste seul,

un peu souriant.

Mon sexe est rouge.

Souriant mais amer dans l’équilibre du sang et de la mer.

Mère assise, ou femme assise,

on ne saura jamais, ni même toi.

Ni même toi, la femme, la mère, nul ne saura.

 

Elle est assise au seuil de la maison.

Elle regarde devant elle.

Moi, comme un coquillage avec Circé.

Circé batifole dans un champ de blé.

Et quand elle arriva au pied de l’arbre, elle dit :

 

"Regarde-moi."

 

Alors je vois mon père au milieu des moutons,

mon père qui brille d’un regard dans le glaive,

tranchant l’histoire de part et d’autre

de celle qui est assise sur le seuil.

Elle me regarde pendant que Circé

d’un œil bleu module mon regard.

Celui qui approche,

un glaive étincelant au poignet,

dit : "Regarde-moi".

Et elle a ri d’un rire de femme fatale.

L’homme a pleuré sur elle,

sur son corps de laine qui regarde celui qui joue avec le mouton,

et je dis :

 

"Ne t’en va pas, Circé !"

car déjà elle s’envole au loin,

et ce cri me brûle le ventre,

mais elle me regarde toujours,

assise sur le seuil de la maison de mon père.

Elle a ri dans l’éclair du glaive.

Mon père a crié avec moi.

Ne t’en va pas, Circé, mais l’écume arrête mon cri.

 

Il se leva, mit le glaive à sa ceinture,

et le bouclier sur sa poitrine.

Il entre dans l’eau jusqu’au ventre,

et il prononce son nom.

Nulle réponse, car l’écume arrête son cri.

Nulle réponse. Circé marche au-delà de l’écume nacrée.

 

Me voilà de nouveau visité par le démon de la violence.

Je voudrais leur démolir le portrait.

Mais le moindre glacis me résiste.

Un à un, ou deux par deux,

mais l’enthousiasme ne dure pas,

ayant tous accepté la nécessité du secret.

Ils miment le sommeil aux yeux cernés de rouge,

et je traîne la savate

comme le meilleur des clichés en usage dans notre littérature.

Je me surprends à des pensées de ce genre :

leur culture ne me dominera pas.

Je serai plus fort que leur culture,

plus fort que le chômage,

plus fort que tous les ratages possibles.

Et maintenant, dans cet hôtel,

tu me dis que tu m’attendras dans le hall de l’hôtel le plus chic,

mais je n’ai pas de pognon,

je n’ai pas de famille,

je n’ai pas de filles,

bon dieu je n’ai pas de sexe à t’offrir

et tu me dis que tu m’aimes,

mais ça n’est rien moins

qu’un coup de revolver dans les entrailles de ma mère.

Mon copain dit qu’il n’a plus rien à espérer.

Mon copain est médiocre comme son apparence.

Il ne se suicidera pas.

Il boira.

Certes, il boira, mais il tuera si l’alcool ne le tue pas,

ou la morphine,

ou n’importe quelle idéologie.

Mon copain n’est pas un héros de poème épique.

Mon copain est une ordure dans un dépotoir sinistre.

Mon copain est un personnage secondaire

qui n’a pas la parole au moment crucial

— mon copain fréquente les bordels, chérie, les bordels -

comme si tu disais adieu aux voyages.

Tu ne pourras pas dormir ce soir.

 

Enyo — se régala d’un café-crème : "Au loin hurle la sirène..."

 

Ramplon "Bon sang ! Ce ne sera jamais que la première".

Exhaussa la même.

Enyo — "Ton chant me crispe".

Ramplon — consulte un énorme bouquin : donc vieux

"Voilà le cri de la mouette".

Referma le livre.

"Jamais elle ne l’imitera pour moi".

Enyo bousculant les tables "J’veux un’femme pour baiser".

Batifola et passa une fille qu’il vit "Regarde mon escargot".

La fille donnant le coup de cul "Conard ! va t’laver ! eh pioupiou !"

 

"T’as vu ! t’as entendu !"

S’assit de l’autre côté.

"M’a traité d’pioupiou !"

Ramplon corna la page "Voilà un signe primordial".

Enyo "Et nous buvons nos cafés crème".

Se leva de nouveau, pantela vers là-bas

"La fièvre est abyssale ou n’est pas".

Ramplon "La cohérence est un signe de déclin".

Enyo la tête dans les mains

"Elle préfère toujours un cul-terreux".

Alluma sa pipe "Pense à moi ou brûle mes yeux".

Ramplon ricanant sur la page "Il faudra que j’y éternue".

Enyo "Je me remplis le ventre de tes cris".

 

Un cul terreux entrompa la fille.

 

"Il l’a fait ! l’a tronculée ! businée ! raminée !"

S’agita sur sa chaise.

Ramplon déchira la page.

 

"Omnia quae sunt lumina sunt."

Se remplit les poches de pages

"La raison est l’officine de la folie".

Enyo branlant sur sa queue.

"Puis-je postuler au titre d’officier ?"

Ramplon "Rien n’interdit un certain rapport".

Enyo "Je condamne le lucre".

Ramplon empocha la reliure et bailla

"L’écriture est d’abord lucrative".

 

Contempla le coït là-bas sur la table.

 

"L’amour, je veux dire l’acte sexuel,

est un point de rencontre absolu,

le métacentre de tous les ordres de vie."

 

Enyo chercha le livre autour de lui

"Et du savoir".

Fouilla dans la poche de Ramplon

"Du Savoir et de la Métaphysique".

Ramplon balança un chapeau quelque part,

passa trois jours à réparer le mal orchestré en ces lieux.

Un général meurt-il dans son lit ?

Confucion de taille de guêpe.

Il tapagea à la place de l’orchestre même,

passez-moi le mot,

d’ordinaire il change avec la saison ou l’heure.

Ovide dit : tout principe est une dimension suffisante

pour recréer le temps ou confondre l’espace

— aussi introduis-je le Dieu très haut et tout puissant,

le Dieu de ma jeunesse,

ô ma jeunesse très haute et toute puissante,

ma jeunesse au pays des matamores

et des belles dames sans mercy au balcon,

quelque part dans l’endroit

le plus propre et le mieux éclairé du monde.

Et le soleil n’est pas plus beau à l’orient

quand je t’écoute me dire ton sens de la poésie,

toute nue quand je t’écoute,

nue comme les arbres qui ponctuent la route.

Kisthène ? Tu dis Kisthène ?

Non, pas à Kisthène, mais pas loin, oui, pas loin,

nue comme les taillis entre les arbres, à l’ombre de la ville.

Non ce n’est pas Kisthène, mais pas loin,

pas loin de Kisthène je crois.

Aussi nue que la moindre des fleurs

quand je l’effeuille une à une,

à l’ombre des grands murs de la ville.

Et je me souviens de ton pas

où j’inscrivais mon pas comme une lettre.

 

"Seigneur, j’ai beaucoup péché,

et j’ai gagné beaucoup d’argent.

Seigneur, j’ai tout ce qu’une femme peut souhaiter.

Seigneur je suis heureuse de la vie,

mais j’ai tant péché oh Seigneur".

Ainsi le jour de ma première chaude-pisse

et les suivants.

Et cette moisissure agissant en moi,

dans toutes mes fibres au plus profond de moi.

C’était à Kisthène un jour de très grand vent.

C’était à Kisthène du temps de ma jeunesse,

et mon sexe était malade de la maladie de la femme.

Elle a beaucoup péché, Seigneur, tant péché ;

à peine plus âgée que moi

et déjà souillée par tous les péchés du monde.

Et mon copain se branlait quand je faisais l’amour,

et la maladie s’est ancrée au bout de mon sexe,

et mon copain utilisait des capotes anglaises

parce que sa religion lui interdisait le port du prépuce.

Et elle a pénétré en moi,

lentement sournoise,

et la médecine est efficace dans ce genre d’avatar,

mais la chaude-pisse ne guérit pas la maladie mentale,

ni les péchés de la femme.

Oh Seigneur, introïbo ad altare Dei,

près du Dieu qui réjouit ma jeunesse,

près du Dieu qui n’a pas manqué de réjouir ma jeunesse

— judica me. Et ne crains pas de te montrer cruelle.

Les deux versants de la même colline sous le même soleil,

un soleil de plomb,

et quelques types en mal d’aventures,

en conversation avec la nature et leur nature.

 

La lune ni œil ni trou pas même une bouche.

"Il a fait le ciel et la terre."

Et ils comblent le silence avec pas mal d’esprit.

Puis la mer,

puis la mer aussi suave que ton souffle,

la mer contre la flamme qui secoue ton ombre

sur les murs de n’importe quel toit où tu n’es pas chez toi.

Ton ombre, une révolution aussi rapidement que possible

autour de la seule fleur digne d’intérêt,

une au bouquet dérobée sous les yeux qui te contemplent,

immobile dans l’armure de ton langage.

Et j’irai vers l’autel de Dieu.

A l’angle d’un pilier je reposerai,

la tête pleine de la mort

qui m’a ouvert la porte — ad vitam aeternam.

 

Tu seras la plus cruelle de toutes.

Les deux versants de la colline sous le soleil,

et toi descendant à l’ubac

entre les cadavres de tes moutons morts de la rosée du soir.

Et la lumière dans la pierre qui s’éternise,

et l’ombre en saillie de l’autre côté

d’où peut-être est né le seul arbre,

et une fleur butinée sur le versant ensoleillé de ta pourriture.

O que mes dents s’accrochent à tes dents,

et que mon cri parvienne jusqu’à toi.

 

L’usure a patiné la pierre de ton autel

beaucoup plus que les offrandes,

moins toutefois que la justice des hommes.

 

DIEU, comme au coquillage

où mon oreille absorbe l’éternité sonore

de la vague dans le corps abandonné d’une algue.

 

DIEU, et comme au creux de la main,

la respiration lointaine et la mémoire alambiquée

de ceux dont les reliques sont ici.

 

DIEU, grand reliquaire du désespoir,

Dieu fourmilière,

Dieu termitière,

Dieu ruche,

Dieu collecteur de prépuces,

Dieu bon et miséricordieux,

Dieu sturm und drang,

Dieu du fond de la nuit,

Dieu des voyages,

Dieu des tombes,

Dieu : la terre est une autre relique.

Dieu : l’air est encore une relique.

Dieu, et l’eau, et le feu.

Dieu des bons et des méchants sur cette terre

où je me sens unique parce que je suis solitaire

ou parce que j’ai un nom.

Dieu du sacré et de l’écrit sur cette terre

où je cultive le pouvoir et l’argent.

Dieu,

avec la guerre,

avec la douleur,

avec la mort,

avec la maladie,

avec l’infirmité,

avec la vieillesse,

Dieu aux quatre portes de l’univers et de la ville,

comme l’algue et la vague.

Dieu, et la mémoire alambiquée

de ceux dont les reliques sont ici,

sans nom, sans fleurs, sans visiteur, sans amour.

Dieu, ce sont les reliques des compagnons d’enfer,

un à un,

ou deux par deux,

ayant tous accepté la nécessité du secret,

avec quoi se meurt l’enthousiasme d’abord supposé.

Immédiatement après les jours,

les quatre portes du prince

qui sut si bien s’expliquer sur les raisons de son acte.

 

Dieu dans l’infini éternel univers,

et sur la plage d’Hendaye

j’ai écouté le cri de la mouette.

Ma voix contre les vagues sonores,

j’ai plagié le cri de la mouette sur les rochers.

Des coups de feu m’ont secoué le ventre.

La mouette s’affola.

Et de l’autre côté du bras de mer,

des coups de feu sur la place publique

venaient secouer le ventre que j’offrais à la poésie.

 

"Toi, tu mourras dans une arène sur la terre d’Espagne

en criant "Vive le Roi".

Toi tu mourras dans la plus sordide des arènes

au Royaume d’Espagne en chantant "Vive le Roi".

Toi, tu mourras dans la corne des taureaux espagnols

en te disant que le Roi

est la plus belle des choses qui te soit arrivé.

Moi, je mourrai au bout d’un infect fusil

avec lequel j’aurai pu tuer le Roi

si tu avais été mon frère

ou si je t’avais mis au monde :

confunden libertad y libertinaje !"

Paradoxalement, quand ils passeront là,

en apparence,

tout en restaurant leur prestige,

paradoxalement, paradoxalement,

quand ils passeront là,

les sédentaires aux dents longues,

sur un mot à la mode "Je veux parler de la France".

 

"Moi je parle du monde entier,

y compris les étoiles,

ceux qui se prennent pour tels ;

un monde mort. Est-il assez glacé ?

 

— Vous parlez de l’Église ou de la France ?

 

— Je vous dis que je parle du Grand Tout.

Vous êtes bien placé pour le savoir.

Vous êtes bien placé pour savoir ce qui vous chante,

et par quoi vous mourrez.

Prenez l’exemple d’Homère.

Un homme n’écrit bien sur la guerre que s’il est médecin.

N’écoutez pas les poètes de guerre,

ni les poètes de la résistance.

N’écoutez surtout pas les bouchers,

pas tant que vous ne l’avez située (la guerre)

dans votre mémoire (la tuerie).

Mais rien n’a encore été découvert pour mieux la posséder.

 

— Mais qui affirme la connaître ?

 

— Ça pourrait arriver.

Il y a un moment pour toute chose,

y compris la guerre.

Et si j’en fais une question de principe...

 

— Voyons ! Surtout pas ça. N’alertez personne.

Détruisez votre corps à défaut de détruire votre pensée.

Ou bien ne vous faites pas d’illusions.

Je vous sais de taille à vous défendre.

Mais n’utilisez pas la force de vos principes.

Prenez l’exemple d’Homère.

 

— C’est un montage que j’ai fait à votre intention.

Je ne cherche pas de travail.

Vous savez bien que non.

Et tous les espoirs douteux d’un Aragon, hein ?

Il fallait bien que tu en saches plus long.

Par exemple le regard le moins visible dans le groupe des Érynies."

 

Nous nous connaissons depuis si longtemps, si longtemps.

Au cœur de nos problèmes,

quelques bouffées d’une cigarette involontaire

qu’on n’a pas le temps de se reprocher.

Ne parlons plus de ça, voulez-vous ?

Un train de nuit pris au carré de la voie sonore.

Le ballast immobile dans l’immobilité de l’ombre.

Quand ils passeront là,

une faille dans le personnage,

et nous ne répondrons pas de nous.

Deux pans rouges dans la nuit, immuables, sur un mot à la mode.

 

"Vous rappelez-vous la leçon d’un Pyrrhon ?

 

— On épluche vos origines,

l’origine de votre nom,

l’origine de votre corps,

l’origine de votre originalité,

probable quatrième siècle avant Jésus Christ,

sur un mot à la mode, une affiche sur le mur.

Nous voulons vous obliger à vous engager avec nous.

 

— Expliquez-moi l’homosexualité chez les militaires.

Tel est le paradoxe qui nous préoccupe ici.

Primo. Segundo. Je veux dire :

en premier lieu. Je veux dire :

en second lieu. Eut égard

à la visite discrète dans mes appartements -

il pleuvait ce jour-là ; ça ne vous dit rien ?

— Après l’attentat, après l’attention, après l’attente, après tout.

Un type écorchait les murs du regard.

C’est comme les noms qu’ils nous donnent.

Encore qu’on soit plusieurs à porter le même.

Des milliers peut-être.

Mais on arrive à se reconnaître

— je vous dis qu’il pleuvait —

 

— Votre nom n’est pas unique.

 

— Je salue tous les noms que je porte.

 

— Votre corps ne suffit pas,

pas même la couleur de votre peau, ni celle de vos yeux.

 

— Je salue l’arc-en-ciel humain.

 

— L’Histoire est la même pour tout le monde.

Cauchemar ou pas, continuez de dormir.

 

— Je salue ceux qui dorment déjà."

 

Quand ils passeront là,

c’est quelque chose qui nous dépasse.

Ce n’est pas Dieu. C’est demain.

Aujourd’hui, non, je ne cherche pas de travail,

pas tant que ma mémoire ne l’aura pas située (la guerre)

dans votre mémoire (l’innommable tuerie).

Alors, pantins !

 

"Vous cherchez peut-être le moyen de vous en tirer.

Inutile, mon vieux.

Nous n’avons rien à vendre,

surtout pas nos musées.

Ils brûleront demain.

 

— Non, non ! Demain est un jour tranquille,

avec un soleil à l’aurore,

un soleil à midi, un soleil

qui se couche et une lune

qui se réveille. Demain

est une nuit sans histoire (sous entendu sans cauchemar).

Je vous donne le sommeil et vous me le rendez.

Vous me rendrez le soleil et la lune.

Demain, et demain, et demain.

 

— Et si vous n’arrivez pas à vous endormir,

accusez votre femme, ou vos enfants.

Accusez votre sexe.

 

— Demain est un jour tranquille."

 

Quand ils passeront là, avec l’espoir de revenir,

alors pantins ! demain

ils passeront là, avec leur musique,

avec leurs chants, leur ordre serré le long des murs.

Alors pantins ! demain est un jour béni entre les jours,

et si vous ne trouvez pas le sommeil,

cherchez-le dans les entrailles de votre femme.

 

Un rêve. Un choc. J’ai cru mourir dans mon sommeil.

J’ai tremblé pour la première fois.

Je dormais du même sommeil.

J’ai reconnu le casier à pilules sur le même comptoir

qui pourrait tenir des conversations entières,

et d’un bout à l’autre,

toutes les conversations se ressemblaient comme vous et moi.

 

Un à un, ou deux par deux,

comment leur enthousiasme aurait-il pu durer ?

Puis le mystère, le vide enfin.

Un tramway traversa le carrefour.

C’était vraiment une belle soirée pour se balader,

tranquillement seul en ce beau jour d’automne.

Enyo et moi vidions le magnum sacré,

quelques mots,

et cette sensation de liberté à fendre la foule de loin,

du guéridon où trônait le magnum sacré.

Plus tard, sur son lit de mort,

il m’avoua la vérité au sujet de son âge,

qu’il ne paraissait pas,

et qu’il avait plus de mille ans,

et qu’il était la réincarnation d’un disciple de Jésus,

et qu’il avait connu Napoléon au temps de sa splendeur,

et qu’il s’était chamaillé dans le désert

avec un poète au sujet du prix d’un pot à hydromel.

Il avait plus de mille ans.

Je ne connaissais pas cette vérité-là.

J’en connaissais une autre,

moins belle, beaucoup moins belle,

mais qui ne concernait pas son âge.

Et sur son lit de mort,

il avoua cette belle vérité,

avec des mots familiers qui m’allèrent droit au cœur.

Il y mêla beaucoup d’Hébreux que je ne compris pas.

Maintenant un tramway traverse le carrefour,

et je regarde l’église

où le prêtre a juré sur son cercueil qu’il ferait tout

pour qu’il nous revienne,

un de ces jours que dieu fait.

Il n’est pas revenu, il s’en faut.

Il a dû pourrir comme tous les morts.

Je n’aime pas parler de cette pourriture,

mais il faut en parler quelquefois.

Hemingway a écrit là-dessus une fort belle histoire naturelle de la mort.

Je ne suis pas seul à me souvenir de lui.

Il y a un tas de gens honnêtes qui se souviennent de sa folie,

et de ce qu’elle a coûté à la société.

Je ne suis pas seul mais je me sens seul,

si seul que je me crois fou,

mais la société n’en sait rien.

J’ai vu sa tombe.

J’ai pris le train,

puis l’autobus,

et j’ai continué à pied, comme un fou, jusqu’à sa tombe.

J’ai marché, j’ai vu ce qui lui arrivait.

J’ai songé à la pourriture de son corps.

J’ai vu les libations.

J’ai vu les témoignages.

Et j’ai remercié la pierre dure de m’avoir conduit

jusqu’ici sans trop de mal.

Quelques promeneurs m’ont tapé sur l’épaule, amicalement,

mais je n’ai pas pu mettre la main sur ce satané magnum sacré

— trait d’union de nos angoisses respectives.

 

Et puis un à un, et deux par deux,

ils m’ont dit que je devais être un brave type,

peut-être un poète, peut-être

mesdames messieurs mesdemoiselles ai-je pensé.

Je n’ai rien dit mais j’ai pensé.

J’ai pensé à mille ans de vie,

au voyage de Jésus-Christ dans l’Himalaya,

à Moscou en flammes, au désert,

au désert et à la vérité sans fin que je venais fleurir.

Cette mémoire sera toujours ta voix

au sommet de l’aurore qui appelle entre les arbres.

C’est ta voix à la pointe du jour

qui me nomme une dernière fois, une première éternité.

L’HIMALAYA, MOSCOU, le DÉSERT, mille.

Cette nuit je fête solitaire,

et la lune lampe-tempête au bout de la nuit, c’est noël.

Et demain, c’est Pâques.

Et après demain on va fêter nos morts avec des fleurs.

Plus de mille ans.

Ce jour-là, à Sainte-Quitterie,

il remarqua l’usure du sol,

et l’usure des boiseries,

l’usure de l’entrée à l’autel de Dieu,

et l’usure de la crypte où reposaient de lointains serviteurs.

Un autre jour, plus serein cette fois

(c’était il y a quelque temps déjà)

un autre jour il donna de l’argent à un pauvre,

de l’argent comme une rime au bout du vers,

après le rythme.

La lune à l’œil de pétrole lampant dans la nuit de Noël,

et le rêve atroce d’une destinée au bout d’un vers blanc,

après l’image.

Et demain c’est Pâques.

Et après demain on fleurira les morts dans chaque famille.

On aura des pensées pour nos morts.

 

Demain,

de l’usure de l’entrée à l’usure de l’hôtel de Dieu,

son pas sera tranquille avec la poésie de la ville.

Il n’y a plus de tramways comme dans les romans policiers.

Demain la ville sera pleine de poésie,

la poésie tremblante des jambes

qui se croisent dans les courants d’air,

de passant à passant,

et d’une passante à l’auréole d’un saint.

Je crois que j’ai pris un train en marche.

C’est tout ce que je crois.

Je crois aussi au meurtre.

 

"Je vous ai dit de me foutre le camp."

Et h.d. replia son journal,

le déplia sous les yeux, puis le froissa,

et le balança sur le trottoir,

et elle se mit à rire,

et il leur demandait de foutre le camp,

et il s’amusait avec les journaux,

et elle riait, comme une femme sait rire

une nuit de noël,

et toute une année qui s’annonçait dans ce rire.

Un jour de Noël, puis la nuit.

 

"Comprenez-vous le sens de mon rêve maintenant, toubib ?

Comprenez-vous ce que je me suis dit dans le sommeil ?

 

— Surtout ne cherchez pas à me fausser compagnie.

 

— Demain est un jour idyllique.

Demain

tu connaîtras l’amour à l’ombre des rochers de ta mer.

Demain, quand ils passeront là, je serai là,

à contempler les diverses amours en question.

 

— Une culture hétéroclite qui sent comme les greniers.

Quelque chose de faussé."

 

Une semblable attitude,

surtout à cause de cette rencontre

sur les boulevards extérieurs de la pensée

— un jour de pluie — préoccupé de conquête.

 

"La moitié d’un verre ?

 

— Pourquoi rejeter tout ça ?

C’est comme le progrès que fit faire Edison à la lumière.

Comme devant une œuvre d’art.

Mais perdre de vue les détails.

 

— La faille ? Les défauts ?

 

— Perdre de vue les moyens de l’achèvement.

 

— Inutile de vous dire que c’est

une question de temps, de circonstances.

 

— Oui, une simple question de rencontre avec le soleil.

 

— Impératif plus agréable encore

quand il s’agit de trinquer avec les crevures

qui mènent le peuple vers le soleil

dont je me fais fort de parler avec tant de chaleur.

 

— Ils se brûleront les ailes.

On ne vole pas impunément.

 

— "Le plus long K.O. de l’histoire".

 

— Une belle fausse manœuvre. Et l’aurore.

 

— Il n’y a pas d’attente plus longue."

 

Et moi, demain, j’arpente le bord de la mer.

Je touche l’écume du bout du pied.

J’ai faim de coquillages.

L’horizon m’épuise jusqu’à la cécité.

 

"Oh ! ils vous arracheront les yeux, les mots.

Ils sont parfaitement documentés."

 

Je toucherai cette vague du bout du doigt,

et la vague me crève jusqu’à la surdité.

Je contemplerai n’importe quelle épave.

Ce n’est qu’une tache au fond de ma mémoire.

Et demain est un jour de calme et de beauté.

J’attends ce jour,

en attendant de trouver le sommeil et la mémoire.

Je suis loin de l’apparence.

La mer m’est plus douce,

plus chaude qu’une preuve d’amitié.

Je n’étage rien dans cette profondeur

rien dans la profonde sonorité de la mer.

Je suis carré, et je suis rond ( !) je suis triangle,

je suis géométrique.

Je suis la somme de toutes les vagues

dans cette profondeur qui s’est perdue.

Je suis une figure en formation,

en attendant d’être une relique au reliquaire ardent de l’oubli.

Et demain est un jour comme le sommeil.

Demain ne s’éveillera pas avec le soleil.

Je recommencerai ce que la mer a commencé.

Je rêve que je suis à Wagram.

Je suis à Midway.

Je suis à Suez.

Je suis à la guerre.

Je suis à l’aventure de tous les jours que Dieu fait.

Je suis à la recherche du sommeil,

de l’incalculable sommeil,

et cette nuit-là — j’ai rêvé quelque chose d’atroce,

quelque chose de fou, quelque chose de vain.

 

J’ai rêvé la fureur là où il n’y en avait pas.

J’ai rêvé la fureur dans

le corps de ceux qui étaient simples et doux.

J’ai rêvé mon erreur dans l’eau qui filtrait à travers mes poumons.

J’ai voulu me noyer dans l’eau la plus profonde

mais je n’ai pas vu la mer.

Elle n’existe pas.

Cette nuit ne me rappelle en rien la mer.

J’ai froid sur le balcon,

sous les étoiles que ma rétine a dévorées.

 

Et demain est un jour tranquille,

à l’aurore, au midi, à la fin, à

la lune peut-être que je cherche des yeux

maintenant. Demain est tranquille, loin, très loin au-delà du sommeil

que je ne trouve pas.

Le sommeil est comme la lune dans mon dos.

Demain, peut-être, je dormirai avec mon sommeil,

et j’aurai la visite de la lune dans mon lit.

Demain, derrière l’apparence de la mer et des troupes,

demain est un jour tranquille,

tranquille comme l’eau qui dort,

capable de tranquillité,

mais pas tant que votre mémoire refusera de me dire

quand ils passeront là.

Mais l’âge n’aura pas eu raison de votre sagacité,

et à Paris, elle voulait que je paye le prix de la solitude

et le prix de l’HUSTERA.

 

Mais votre esprit n’a pas besoin de convalescence.

Au moins le prix d’une époque,

le prix de la moindre publicité

et rien moins que ta mort.

Et je me souviens de ton pas

à l’ombre des grands murs de la ville.

De quelle ville me parlais-tu ?

C’était une ville fabuleuse.

Je n’en avais jamais entendu parler.

Je vois bien que tu inventes tous les détails.

 

"Oui, tous les détails. Et te v’là de r’tour.

Et c’est ta mère qui va être contente.

Ah il fallait bien que les choses se passassent ainsi.

Les choses ça oui les choses

et les mots n’ont pas été écrits pour rien

autre que ce moment délectable carcan carcan carcan

les choses mon fils les cho-oses

et c’te putain de mort à s’trimbaler toute la vie

c’te putain de vie à r’garder en face des trous

carcan carcan oui et te v’là fils c’est l’principal

c’est l’principal ça oui tout juste !"

 

Alors les voix du dehors se sont tues,

et j’ai soudain volé beaucoup moins haut

parce que quelqu’un venait de crever

et que je voulais garder un bon souvenir de lui.

Et les voix du dehors se sont tues à jamais,

et jamais plus je ne recueillerai leur chant,

parce que quelqu’un venait de crever.

De l’autre côté du mur, on assassine.

On assassine et toi, tu n’as plus le droit de parler.

Et j’ai de sacrément bons souvenirs de ce temps-là.

 

Gorgias était prêt à s’exécuter.

 

"Ces fumiers-là sont capables de tout.

Ils ne la lâcheront jamais,

la poésie en question."

 

L’avenue était donc plus noire,

les façades des maisons plus blanches,

les épaves plus grises que d’habitude,

et l’habitude manqua d’être efficace.

Je n’aime pas ces vivants contrastes.

Je frapperai à la première porte.

 

"Prenez l’exemple sur votre pote de tout à l’heure,

c’est à dire il n’y a pas si longtemps."

 

La moindre idée arrêtée près de la porte de derrière.

Tuer d’un coup de revolver

le premier indigène qui se manifeste.

Mais dans la salle à manger de l’hôtel

ce jour-là, personne ne proteste,

pas même la grosse dondon qui sert la soupe.

Après, on est en train de jouer. On joue de l’argent.

 

Un coup d’œil dans le rétroviseur.

Personne ne proteste.

Mon pote de tout à l’heure n’est pas mon pote de demain.

Je ne savais pas à quel numéro appeler.

Il y a un tas de choses

que je devrais savoir et que j’ignore.

A quelle date eut lieu la représentation des Euménides d’Eschyle ?

Dans ma tête, seulement dans ma tête.

 

"Prenez l’exemple du pote

qui vous servait à boire tout à l’heure.

 

— Vous parlez d’un ami sincère,

pas d’une ordure,

mais je ne prendrai l’exemple sur personne.

Je ne prendrai son exemple à personne, surtout pas à un ami."

 

Mais aucun d’eux ne leva le petit doigt.

en tout cas, cela va aussi mal que possible.

Dieu, répète-moi cette fameuse imitation du Cri de la Mouette,

cette fameuse nuit de Noël.

Il n’y a pas d’enseignes au néon.

Il n’y a pas de fenêtre.

Quelques vitrines restent éclairées.

Elles éclairent aussi.

Elles attirent.

Ces hommes sont comme des moustiques égarés.

Toi, tu es égaré comme une goutte de pluie après l’orage.

Un coup d’œil dans le rétroviseur.

Surtout, fais attention de ne pas bousculer

les pots de fleurs dans l’escalier.

 

"Ils veulent t’avoir à leur merci.

 

— Retrouver ces fumiers !

 

— Mais dis donc, où les retrouver sinon dans ce bordel ?

Chercher où ? Sinon dans ce bordel ?

 

— Si tu trouves quelque chose, essaye de m’appeler.

Si je ne suis pas là, téléphone chez ma mère.

Elle t’adore comme son propre fils.

Si ma mère n’est pas là, arrange-toi.

Et s’ils te trouvent, que Dieu ait pitié de ton âme."

 

Et me revoilà au pied de l’autel de Dieu.

Aucune piste. Aucune piste.

J’aurais dû jurer mon horreur pour ce prix-là,

même au risque de me tromper.

 

"Des bouts d’empreintes.

 

— Ne pose pas tes pieds là !

 

— Des bouts d’empreintes sur un bout de quoi ?

 

— Par exemple la rampe d’escalier."

 

La belle affaire que je fis, sur un bout de quoi ?

Et Zeus qui vient de détrôner Cronos.

 

"Chérie ? Te souvient-il

de la ville fabuleuse qui a nom Kisthène ?

T’en souvient-il, chérie ?

Ou quelque chose comme ça,

une ville fabuleuse qui a nom Kisthène ?"

 

A moins que tu exhausses le cœur jument tropique du capricorne.

A moins que... la saisir au cul.

Impensable de la part du type en question.

 

"Impensable, dit-il,

dans c’te fa, dans c’te famille,

on vote à gauche depuis des générations.

Ont connu la famine !"

 

Et Sophros répéta : "Le peuple n’a pas de langage".

 

Le peuple ne chante même plus

(j’lui laisse la ré-spon-sa-bi-li-té d’un tel propos).

Ou alors il est simplement question de converser avec les dieux.

 

"Ne t’instaure pas où les dieux ont bâti l’incroyance des hommes."

 

Pas de langage. Pas même chanter.

Ni la poésie en tant que poésie c.a.d...

 

"Mais vous m’avez enfermé dans le cercle de votre mort,

et vous m’avez ôté l’envie de recommencer.

Et j’ai compris le désespoir de Pénélope

dans le grand lit qui lui servait d’oubli.

Et je n’ai pas oublié ce que votre mémoire m’a légué.

Je n’ai rien oublié de ce cauchemar sans nom.

Et voici que j’ai répandu mon sang par vanité.

C’est par vanité que j’ai osé défier les dieux.

 

"Pourquoi donc, lâche que tu es,

n’as-tu pas tué toi-même ce héros ?

Pourquoi est-ce une femme qui l’a tué ?"

 

Ah maudit sois-tu essaies au moins de te taire

c’est un père qui te parle essaie de croire

ce qu’un père te dit non pas que ça soit

la vérité loin de là mon fils loin

de là mais laisse-moi parler laisse-moi te

dire ces choses-là ne laisse pas passer cette

chance il y a une carcasse gelée et desséchée d’homme mon

père et nul n’a expliqué ce que cet homme

allait chercher à cet endroit Saint-Didier

plus haut que ça je n’ai pas oublié leur crêpe

blanc et noir mais quel feu aurait pu déranger ce soleil

qui n’éclaire aujourd’hui que leur cruauté

la même herbe retrouver sous le soleil

en été

le même ventre ouvert

une bonne fois pour toutes

la fresque de Francisco Réji

un jour après la porte à Foncaral

et ils avaient la manie de disperser leurs cendres dans les eaux du Grand Fleuve Purificateur

(entendez par-là que c’était le meilleur moyen de s’en débarrasser).

 

"Alors, mon père, mon chant concerne l’inégalité parmi les hommes."

 

 

PRIÈRE

 

 

Mon père bénissez-moi, ô mon père bénissez-moi, bénissez-moi.

J’aurais voulu beaucoup pécher,

comme font les hommes,

mais je n’ai pas eu le temps de vivre comme les hommes de votre temps.

Oh le temps m’a manqué pour pécher.

Oh j’ai manqué d’être un homme.

Je n’ai pas eu l’orgueil oh mon père, comme l’ont tous ces hommes,

et je m’en repens amèrement, amèrement.

Mon cœur est rempli de tant d’amertume

parce que d’autres l’ont eu et l’ont fait savoir,

leur orgueil d’homme parmi les hommes.

Bénissez-moi, mon père, bénissez-moi.

J’aurais voulu m’enorgueillir,

mais je n’ai pas eu le temps de blesser quelqu’un

oh les mots m’ont manqué à ce moment-là.

Les mots m’ont manqué, quand tous les hommes les trouvent sans mal.

Je ne suis pas avare mon père,

comme sont les hommes, et je le regrette.

Je regrette de n’être pas un homme,

parce que l’or est un bien beau spectacle,

et l’homme un bien beau spectateur pour meubler la solitude,

mon père, pour meubler la solitude,

l’ennuyeuse solitude que ne supportent pas les hommes.

Bénissez-moi, mon père, bénissez-moi,

j’aurais voulu compter mes sous,

mais le temps m’a manqué pour tuer le temps

oh personne ne s’est langui de moi,

non personne, pas même les hommes.

Je n’ai jamais violé mes sœurs, mon père,

comme font les hommes, ni les sœurs de tes frères

et c’est dommage, dommage de n’être pas un homme,

parce que l’amour est triste à deux.

Deux à deux, c’est triste l’amour, mon père,

quand on n’est pas un homme,

quand la solitude est la bienvenue

et que les hommes sont si bien ensemble.

Bénissez-moi mon père. Mon père, bénissez-moi.

J’aurais voulu de cette fièvre-là,

mais il pleuvait, mon père, et je n’ai pas osé

oh j’ai manqué d’audace parce qu’elle m’aimait oui elle m’aimait.

Je n’ai envié personne, mon père, comme font les hommes,

pas même vous d’être si beau si pur, mon père, comme tous les hommes,

parce que la pureté est un défaut, mon père,

et la beauté une injustice.

Mon père, bénissez-moi, bénissez-moi.

Mon père, bénissez-moi, bénissez-moi, bénissez-moi.

J’ai tellement envie de vous,

de votre trône, de votre reine,

mais le soleil était si haut, mon père,

si haut oh si haut que le vent refusa,

et il s’est mis à pleuvoir,

et moi qui ne suis pas un homme,

jamais un mot plus haut que l’autre, mon père,

jamais, tant pis ! mon père, oh ça oui tant pis mon père,

parce que vous mériteriez ma colère,

ma colère et mes larmes de colère,

tant ma solitude est insupportable parmi les hommes.

Mon père oh mon père, je vous le demande :

votre bénédiction. Je ne suis pas un homme.

Ma langue fut toujours égale,

et le temps n’a pas voulu qu’elle change.

Oh personne n’a tenu sa parole,

non personne, pas même les hommes,

surtout pas les hommes.

Je ne suis pas gourmand, mon père, pas gourmand comme sont les hommes

et c’est bien triste, c’est triste à en mourir, triste triste,

mon père, n’être pas un homme,

parce que bientôt il ne restera plus rien pour s’endormir doucement,

plus rien mon père, pas même ça. Oh mon père !

Oh mon père ! Bénissez-moi, mon père, bénissez-moi, bénissez-moi.

Le sommeil va me lâcher dans la foule.

Oh je n’ai pas le goût des autres,

pas ce goût-là mon père.

Je n’ai pas ce goût divin.

Regardez mon travail.

Palpez-le comme je l’ai bâti.

Mon travail, ce n’est pas le travail des hommes,

mais quelle peine tout ce travail.

Quelle peine, mon père, et tout ce travail.

Tout ce travail qui ne fait pas de moi un homme,

parce qu’il ne vous fait pas souffrir,

mon père, parce que vous vous en foutez.

Vous qui êtes un homme, mon père,

bénissez-moi, bénissez-moi, bénissez-moi, bénissez-moi.

J’aurais voulu beaucoup pécher mais je n’ai pas eu le temps de vivre

oh le temps m’a manqué pour pécher.

Le temps, mon père, le temps, le temps m’a manqué.

O ma langue s’est enfin déchirée !

Dieu qu’il est doux de n’avoir plus de langue.

Oh je n’ai plus l’intégralité de ma langue,

et me v’là tout guilleret,

à l’idée qu’on ne m’entendra plus

et que je serais seul dans mes conversations, loin des hommes.

Ma langue s’est déchirée,

et je n’ai plus ce goût d’enfer dans ma bouche.

Proche des hommes,

oh je n’ai plus ce maudit goût.

Et me v’là pas capable de reconnaître un démon

à sa façon de me lécher la langue

et de s’étonner qu’il n’en reste plus beaucoup.

Loin des hommes, ma langue est une grande déchirure,

et ma bouche une flaque de sang,

comme un miroir

avec mon image dedans oh ma bouche est un sacré cratère.

Et me v’là à cracher du latin.

J’expulse un monceau de viscères

qui ne me serviront plus que de spectacle,

faute de latin, et de retenue.

Ma langue est un vieux souvenir du temps que je prenais la parole parmi les hommes

oh que je disais n’importe quoi.

Et me v’là plus muet qu’un muet,

à salement gesticuler autour de moi

pour signifier ma faim ma soif et ma fatigue,

loin des hommes.

Ma langue est un bouquin plus vieux que l’univers,

loin des hommes.

Dieu qu’il est doux de me lire dans ma langue,

dans la déchirure douloureuse de ma langue.

Oh qu’il est doux de ne plus rien comprendre.

Et me v’là ricanant

dans le dos de mon passé

parce qu’un objet n’a pas voulu se laisser manger

et a sorti ses crocs au bon moment.

Ma langue ne me traitera plus de poète.

Ma langue désormais saura se taire,

proche des hommes.

Oh rien ne manque à ma félicité.

Et me v’là à genoux au pied d’un arbre mort

à lui demander des nouvelles de la terre

et de l’eau qui a fini de l’absorber.

Et me v’là pas homme pour un rond,

o mon père. Mon père.

J’aurais tant voulu tant pécher,

mais je n’ai pas eu le temps de vivre.

Oh le temps m’a manqué pour pécher comme font les hommes

et il y aurait plus de mille fontaines de jouvence

à la portée du premier venu,

solitairement venu passer le temps dans cet endroit-là,

passer le temps avec des fuites dans les mots,

et tu boiras à la fontaine.

Dis, tu boiras le moment venu,

solitairement.

Il y aurait un tas de leurs longs élixirs

pour faire bander le peuple mécontent,

faute d’amour,

et tu boiras de leur vin,

dis, tu boiras, longuement solitaire.

Il y aurait au moins un bouquet de fleurs

que le plus con d’entre eux pourrait faner dans ses mains,

et tu boiras leurs larmes, dis,

tu boiras avec amour, avec amour solitairement venu là.

Il y aurait peut-être le plus beau des visages

à regarder de quel côté le vent tourne,

tourne de quel côté le vent ?

A regarder si tu es bien là,

solitairement grave et tu boiras dans son cœur, dis,

tu boiras de son eau.

Dans cet endroit solitaire où tu viens rêver,

il y aurait toute la gamme au doigt

qui l’invente et à l’œil qui l’évente,

et tu boiras de son eau, dis,

tu boiras de son eau.

Solitaire, et si grave, tu boiras

le moment venu, longuement, connement, avec amour,

tu boiras de l’eau, tu boiras de lo, solitaire oui,

mon père, mon pè-ère, l’eau, toute l’eau, toute l’eau.

Même demain, au jour tranquille, quand ils passeront là

avec des chapeaux sur la tête pour saluer le peuple

et demain, la Gloire, mon père, la Gloire me frappera en plein front.

Mais elle a ricoché !

S’est contenté de briser l’os du front !

de déchirer le peu de chair,

puis s’est allée perdre plus loin,

là-bas, dans le ventre d’un autre mort

sur un autre champ de bataille, dans un autre rêve enfin :

un rêve solitaire,

un rêve grave,

un rêve inhumain,

un rêve que j’étais à la guerre,

un rêve que je manquais de mourir,

mon père, un sale rêve dans l’enfance.

La gloire aurait pu me fracasser le crâne,

mon père, mais dieu ne l’a pas voulu,

et me v’là de retour parmi vous, guilleret.

J’ai une ridicule cicatrice au milieu du front,

comme une étoile mais ce n’est pas une étoile.

C’est un signe de ma défaite.

C’est un signe de mon manque de chance,

un signe de mon obscurité mon père ;

un signe enfin, le signe d’un sacré manque de chance.

Sacré, mon père, comme l’autel de Dieu.

La Gloire m’aurait creusé une tombe

pas loin du dernier champ de bataille,

pas loin des morts morts en bataille,

et elle aurait planté ma croix

et ma graine de poète, mon père.

Mais la tombe est occupée sans doute par une graine plus vivace.

Une graine qui poussera.

Une graine humaine.

Elle poussera la Gloire dans son néant

pour qu’elle couche avec les morts et qu’elle enfante le Désespoir.

Mon père, je mets ma majuscule à la Gloire,

j’en mets une au Désespoir.

Je n’en mets ni à dieu ni aux morts désormais.

Enfin je pèse le poids d’une majuscule.

Je pèse la moindre cicatrice,

mais je n’ai aucune idée, mon père,

non vraiment je n’ai aucune idée

de ce que peut peser ce qui n’a pas de nom

et qui en crèvera comme tout le monde crève,

solitaire, grave, inhumain, quand ils passeront là,

mon père quand ils passeront là.

Où est l’autel de dieu, mon père,

et ma jeunesse qui s’est foutue dedans ?

— j’étais un homme en ce temps-là -

Ma jeunesse, mon père,

avec son air de vieille fille qui n’a jamais fait le trottoir

parce que le cœur lui manquait ?

L’homme, où est son nom, mon père,

qu’on m’avait promis à la messe ?

dieu, il n’y a pas si longtemps,

quand il faisait le ciel et la terre

sur le claquement des doigts du prêtre

dans le ciboire où je n’ai pas demandé pardon de mes fautes

parce que je ne suis pas un homme,

priez pour moi. Priez pour moi, parce que je confesse,

et il vous pardonne. A.S.I. homme ou pas.

Où est le pardon ? Où est l’absolution ?

Où est la rémission ?

Je n’entends rien dans vos amen.

Et tu reviendras pour nous donner la vie,

et le peuple se réjouira,

les hommes avec les hommes,

heureux comme les hommes,

et tu nous feras voir ton amour,

et le peuple réclamera son salut,

et tu entendras ma prière,

et le cri du peuple parviendra jusqu’à toi et,

HOMME, je monterai sur l’autel,

et je le baiserai parce qu’il est sacré

— aufer a nobis.

Prends pitié ! Prends pitié !

Et Gloire à toi, car je vais prier.

 

"Mais je ne peux rien contre vous.

Et qui pourrait contre tant de lâcheté, tant d’ordre ?

 

— Ils ont de bonnes épouses.

Voilà ce qui les tirera toujours du pétrin.

De bonnes épouses aux larges hanches.

De bonnes épouses qui tiennent à ça

comme à la prunelle de leurs yeux,

comme leurs yeux sont éphémères !

 

— Mais puisque je vous dis

que je ne connais même pas

le goût de la chance,

puisque la collectivité le veut

et toutes sortes d’insanités de ce genre, pauvre Enyo !

Et pauvre de moi ! Je te plains

comme je plains toutes les vierges.

Je me plains d’avoir vieilli en 24 heures comme en dix ans.

 

"Une simple occasion, je vous dis.

Un mot de vous, toubib,

et j’abats le dernier mur.

Entendez-vous ? et B.A. Boxon

serait une maison hantée par les fantômes des filles

qui l’ont habitée et des mâles qui l’ont vécue

pour se trouver de la virilité.

Et toute l’œuvre d’un homme encore jeune

manquerait d’être éditée faute d’avoir trouvé un éditeur.

Je veux dire que l’angle est moins spirituel,

et votre analyse reposerait sur la fausseté d’un seul vers

que j’ai répété comme un refrain

tout au long de ce rêve exsangue,

et le prix serait toute la mort.

Toute la mort et rien que la mort,

et peut-être une morte

qui reste encore un peu autre chose qu’une pierre au jardin.

Et j’espère ne m’être pas trompé de porte,

toubib. J’espère ne m’être pas trompé.

Celui qui a compris peut me comprendre

quand je dis que je me sens frustré.

Volé, oui c’est cela : volé !

 

— J’admets que tout ceci correspond à la réalité.

Mais où cela mène-t-il ?

Je comprends le discours

et je reconnais que ma pensée s’en est trouvé sensiblement modifiée.

Même l’écriture y gagne de la poésie.

Mais sur quoi débouche cette réalité ?

Et pourquoi m’avoir forcé la main ?

 

— Je trépigne d’impatience,

mais je n’ai pas peur, et je n’espère rien.

 

— Triste allocution ! Pfff...

vous me faites froid dans le dos.

Citez-moi un passage d’Homère.

J’ai moi-même écrit un livre dans ma jeunesse.

Cela s’est mal terminé.

 

— Vous n’étiez pas fait pour écrire un livre.

 

— Toute la mort. Rien que ça mon vieux.

 

— Tout juste la mort, nous comme par la rotonde défilé,

ou par le chapitre XVIII de l’Apologie pour Hérodote d’H. Étienne (Henri)

"un détestable livre".

Est-il un parmi nous occupé de reliure ?

O dieu de la géométrie.

Un livre est toujours détestable.

Des lions dorés demandant grâce aux Tueurs de Loups.

L’angle est moins spirituel vu de près.

I’s’peut qu’on m’pardonne.

Et l’idée qu’on a de soi-même.

N’essayez pas de rabaisser notre sincérité.

N’essayez pas d’éclairer notre obscurité.

N’essayez rien contre nous

avant d’avoir acquis la certitude de votre savoir."

 

*

 

 

J’ai revu la fresque de Francisco Reji, par José del Olmo.

J’veux dire : ce 3O Juin 1680.

Grandiose cérémonie.

Une estrade de cinquante pieds de long sur la Plaza Mayor à Madrid.

Et le Roi au balcon, et le roi au balcon.

D’un côté, l’Oficio,

et de l’autre les Cortes, et de l’autre les Cortes.

Divers degrés dominés par le dais.

La tribune du Suprema plus haute même que le balcon.

Un amphithéâtre réservé aux condamnés, aux condamnés.

Un mois après l’Acte de Foi,

la procession ouverte à Santa María,

un mois après l’Acte de Foi.

Et défilent dans le cortège

cent Carboneros, piques et mousquets, et le bois.

Cent Carboneros.

Les Dominicains derrière une croix blanche,

les dominicains.

Le Duc de Medina-Celi,

bannière de la justice au cœur,

croix verte nouée de crêpe noir, justice au cœur.

Grands et Familiers.

Et le Marquis de Povar à la tête de cinquante gardes blancs et noirs,

cinquante gardes,

passèrent devant le Palais,

et se rendirent sur la Plaza, sur la Plaza.

 

Psaumes et messes de l’aube à six heures,

de l’aube à six heures.

Et à sept, le Roi s’amène avec cortège de qualité,

muses modernes, le Roi s’amène.

Et à huit, la procession s’ébranle de nouveau, à huit.

Et ils déposeront diverses effigies

à l’une des extrémités de l’amphithéâtre,

diverses effigies. Statues de cartons pour les morts,

grandeur nature,

portées en cendres dans des vases ornés de flammes,

et de divers proscrits en fuite,

grandeur nature. Vinrent ensuite

douze hommes et femmes,

corde au cou, torche à la main,

bonnets de carton hauts de trois pieds figurant les crimes, douze.

Cinquante autres brandissant des torches,

san-benito et croix de Saint-Didier,

deo datus, cinquante. Puis vingt encore,

récidivistes des deux sexes,

condamnés aux flammes,

san-benito et bonnets diables et feux, vingt.

Et à midi, lecture fut donnée aux criminels de la sentence,

jusqu’à neuf heures du soir.

Et alors le Roi se retira, le Roi se retira.

Et juchés sur des ânes,

ils franchirent Foncaral, et à minuit,

il n’en restait plus un, tous exécutés.

 

*

 

 

"À toi d’abord, Io,

je révélerai tes courses agitées.

Inscris-les dans les fidèles tablettes de ta mémoire.

 

Quand tu auras traversé le courant

qui sert de limites aux continents,

marche vers le lever flamboyant du soleil.

 

Après avoir traversé la mer mugissante,

tu arriveras aux plaines gorgonéénnes de Kisthene.

 

Kisthene où habitent les Phoskides,

trois vierges antiques au corps de cygne.

 

Elles n’ont pour leur triple usage qu’un seul œil,

qu’une seule dent.

Elles ne voient jamais les rayons du soleil,

ni l’astre de la nuit,

jamais.

Près d’elles sont trois sœurs ailées à la toison de serpents,

abhorrées des mortels,

qu’aucun homme ne peut voir sans expirer.

Voilà des monstres dont je te recommande de te garder."

 

*

 

 

Et toute la boue répandue sur tes filles.

Toute la pureté dans la boue de ta rêverie.

Et la chance qui a tourné avec le vent.

Tu paieras tout ceci.

Tu paieras l’heure venue.

Tu paieras le prix, le juste prix.

Tu retourneras à la pureté.

[Voir TELEVISION...]

 

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