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Pour un putsch littéraire
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 Article publié le 9 juin 2013.

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L’homme aux six cents nouvelles, ici, doit vous confier un certain agacement.

Depuis la publication de mon premier livre en 2009 et la mise en ligne concomitante d’un certain nombre d’articles, depuis la lecture de journaux et magazines qui demeurent en exercice, depuis la rareté de mes déambulations en librairie où deux ou trois noms mercantiles occupent le « devant de la scène » … depuis les fauteuils en cuir blanc à partir desquels les invités plasmiques répondent bien sagement à des questions qui ont lien avec le récit et non la fiction … depuis la bibliothèque du Sénat où les garçons et les filles – j’ai l’impression d’entendre un professeur qui donne la parole à de petits enfants, cette fois-ci, particulièrement sages … comme des images - , évoquent leur petite narration académique, je me pose une seule et véritable question : où est la littérature ?

Qui parle d’elle ? Qui la fait vivre ?

Qui parle du texte ? Du fond ou de la forme … et rien d’autre ?

J’ai expérimenté cette petite aventure lorsque j’ai travaillé à l’Université du Temps Libre ( lire « Intragénéalogie » ) . Le groupe et moi-même, nous étions dans la littérature.

 Plus tard, il sera possible de proposer des sujets de recherche ou de dissertation tels que « Littérature et récession », « La littérature occidentale du début du XXIe siècle » … La récession … voilà le prétexte. Justement, elle devrait conduire à davantage de spiritualité. La littérature serait-elle ... trop belle pour ceux qui prétendent la diffuser ? Trop subversive pour ceux qui ne savent plus quoi lire ?

 J’ai déjà exprimé mon point de vue sur la littérature et le monde de l’édition, dans mon essai « Pour une véritable littérature » ( 2010 ) et mes articles, notamment « Où sont les critiques ? » , « L’aristocratie littéraire » , « La grille des écrivains » ou encore « Littérature et engagement » . Depuis trois ans, le paysage littéraire ( vous savez que j’aime l’abstraction ) , est encore plus immatériel … comme la finance.
 
 Alors, je vais récapituler quelques extraits qui vont soit vous apprendre quelque chose, soit vous rafraîchir la mémoire. Et d’abord, en reprenant les mots de Louis-Ferdinand Céline, interviewé en 1955 par Robert Sadoul, de la Radio Suisse-Normande.

 Sur l’écriture :

 « Quant à cette histoire d’écrire, n’est-ce pas, je m’étais dit humblement, sans aucune espèce de prétention, je voyais ce que les autres écrivaient m’agacer. Je trouvais que là-dedans il y avait quelque chose qui m’agaçait. Quoi ? Je ne sais trop. Mais enfin, c’était agaçant ».

 Sur notre patrimoine et la langue française :

 « L’émotivité, c’est tout à fait autre chose, et l’émotivité serait plutôt près de la langue française, parce qu’il y a le véhicule tout de même, il y a la langue, n’est-ce pas, serait beaucoup plus près de la langue française, mais elle n’est pas travaillée et … les écrivains français en particulier semblent … ne plus sentir ça, et n’ont plus envie » (…) « Nous sommes donc une … nous sommes tributaires de cette … cette descendance, et elle est très heureuse, parce qu’elle était très fabriquée, nous sommes … aucun peuple n’a la Pléïade chez lui, n’a eu de grammairiens comme nous en avons eu. On a dit : le français est académique … c’est des histoires. Il est académique parce qu’il est travaillé par des gens monotones, qui ne travaillent pas beaucoup le sujet, qui ne se donnent jamais de mal … l’humilité de tout … de tout mettre à bas et puis de se dire : mais c’est pas tout à fait ça, regardons où je me trouve et ce n’est pas ça » .

 Sur le talent et l’impact de la littérature :

 « Je suis un bonhomme qui fait des trucs pour des gens qui sont chez eux et qui veulent lire et moi qui dois faire tout le travail, c’est-à-dire que je dois me … quand ils me lisent, à voix basse, avoir quelqu’un qui leur parle dedans. A l’intérieur. Voilà. Voilà toute l’histoire. Et qui parle à eux, à leurs nerfs directement. Et non pas à leur oreille, mais par les yeux, que la chimie se fasse dans leur tête et directement » ( … ). « En effet, le lecteur est un peu … un peu choqué, et un peu malmené, en somme, n’est-ce pas, par la lecture. Mais ceci est prémédité. Il est victime d’un viol prémédité, n’est-ce pas. Voilà l’histoire. Une fraction dans son système nerveux » .

 Puis, ceux d’Albert Camus, dans une conférence donnée à l’Université d’Upsal, intitulée « L’artiste et son temps », après réception du prix Nobel en 1957.

 Sur la société du spectacle à venir :

 « Dès lors, quoi de surprenant si cette société n’a pas demandé à l’art d’être un instrument de libération, mais un exercice sans grande conséquence, et un simple divertissement ? Tout un beau monde où l’on avait surtout des peines d’argent et seulement des ennuis de cœur s’est ainsi satisfait, pendant des dizaines d’années, de ses romanciers mondains et de l’art le plus futile qui soit, celui à propos duquel Oscar Wilde, songeant à lui-même avant qu’il ait connu la prison, disait que le vice suprême est l’art d’être superficiel.
 
 Les fabricants d’art ( je n’ai pas encore dit les artistes ) de l’Europe bourgeoise, avant et après 1900, ont ainsi accepté l’irresponsabilité parce que la responsabilité supposait une rupture épuisante avec leur société ».

 Sur les rapports entre l’art et la bourgeoisie : 
 
 « Comment s’étonner dès lors que presque tout ce qui a été créé de valable dans l’Europe marchande du XIXe et du XXe siècle, en littérature par exemple, se soit édifié contre la société de son temps ! ( … ) A partir du moment où la société bourgeoise, issue de la Révolution, est stabilisée, se développe au contraire une littérature de révolte. Les valeurs officielles sont alors niées, chez nous par exemple, soit par les porteurs de valeurs révolutionnaires, des romantiques à Rimbaud, soit par les mainteneurs de valeurs aristocratiques, dont Vigny et Balzac sont de bons exemples. Dans les deux cas, peuple et aristocratie, qui sont les deux sources de toute civilisation, s’inscrivent contre la société factice de leur temps ».

 Ensuite, j’ouvre un romain d’Alain Robbe-Grillet, « Le Miroir Qui Revient », sorti en 1984, et relis les quelques lignes concernant la nécessité d’une littérature radicale :

 « En ce début des années 80, la réaction est soudainement redevenue si forte contre toute tentative d’échapper aux normes de l’expression-représentation traditionnelle, que mes imprudentes remarques de naguère, au lieu de jouer leur rôle décapant contre un dogme nouveau qui commençait alors à s’introduire ( l’anti-humanisme ) n’ont plus l’air aujourd’hui que de glisser sur la pente savonneuse du discours dominant restauré, l’éternel bon vieux discours de jadis que j’avais au départ si ardemment combattu. Dans la vague de « retour à » qui déferle sur nous de toute part, on risque fort de ne plus voir que j’espérais au contraire un dépassement, une « relève ».

 Il faudrait donc, à présent, reprendre les actions terroristes des années 55-60 ? Très certainement, il le faudrait ».

 Maintenant, je reprends le discours de Claude Simon, en 1985, lorsqu’il reçoit le prix Nobel.

 D’abord, sur la peur du mouvement :

 « Si j’ai évoqué les étonnements parfois scandalisés dont la grande presse s’est fait l’écho (parfois même effrayés : un hebdomadaire français à grand tirage a posé la question de savoir si le K.G.B soviétique n’avait pas noyauté votre Académie ! ), je ne voudrais pas que l’on puisse penser que je l’ai fait dans un esprit mesquin de moquerie ou de triomphe facile, mais parce que ces protestations, cette indignation, cet effroi même, on été formulés dans des termes qui illustrent on ne peut mieux les problèmes qui dans le domaine de la littérature et de l’art opposent les forces conservatrices à ces autres que je n’appellerai pas « de progrès » ( ce mot n’a, en art, aucun sens ) mais de mouvement, mettant bien en lumière ce divorce de plus en plus prononcé et dont on a tant parlé entre l’art vivant et le grand public peureusement entretenu dans un état d’arriération par les puissances de tout ordre dont la plus grande peur est celle du changement ».

 Et là, sur l’ignorance ou le mépris d’un pays à l’égard de l’un de ses grands écrivains :

 « (…) le New-York Times interrogeait en vain les critiques américains et que les médias de mon pays couraient fébrilement à la recherche de renseignements sur cet auteur pratiquement inconnu, la presse à grande diffusion publiant, à défaut d’analyses critiques de mes ouvrages, les nouvelles les plus fantaisistes sur mes activités d’écrivain ou ma vie – quand ce n’a pas été pour déplorer votre décision comme une catastrophe nationale pour la France ».

 Enfin, sur le retard ou l’archaïsme des critiques à l’encontre de l’évolution de la littérature :

 « En décernant le prix Nobel à Claude Simon, a-t-on voulu confirmer le bruit que le roman était définitivement mort ? » , demande un critique. Il ne semble pas s’être encore aperçu que, si par « roman » il entend le modèle littéraire qui s’est épanoui au cours du XIXe siècle, celui-ci est en effet bien mort, en dépit du fait que dans les bibliothèques de gare ou ailleurs on continue, et on continuera encore longtemps, à vendre et à acheter par milliers d’aimables ou de terrifiants récits d’aventures à conclusions optimistes ou désespérées, et aux titres annonceurs de vérités révélées comme par exemple « La condition humaine », « L’Espoir » ou « Les chemins de la liberté ... ».
 
 Je clos ces quelques références par ces mots de Patrick Cintas, extraits de son article « Eloge du terrorisme », écrit en octobre 2010 :
 
 « ( ...) Ce qui est inadmissible, c’est qu’il n’est plus question du texte et qu’à la place du texte, on nous impose le message. Publicitaire, religieux, politique, raciste, etc. ( … ) ».

 Aujourd’hui, en 2013, la situation a encore évolué, dans le sens d’une marchandisation littéraire sans doute jamais connue dans ce domaine. Parallèlement, l’Etat continue d’injecter de l’argent dans le tissu national des librairies … comme si l’intervention financière avait un lien avec l’accroissement du lectorat, plus simplement, comme si l’argent provoquait l’envie. Et inversement, l’envie de faire de l’argent avec la littérature souligne précisément l’absence de prise de risque, je veux parler ici de bon nombre d’éditeurs classiques, ainsi que des innombrables sociétés à compte d’édition.

 Alors … que faire ?

 Quelle attitude efficace adopter ?

 L’auteur que je suis, maintenant, effectue un volontaire glissement vers le narrateur ...

 « Le Matricule 600, la haute stature du narrateur avance au sein d’un espace troublé, au sein de tranchées qui abritent plusieurs autres narrateurs, chacun étant affairé, chacun élaborant sa propre stratégie, dans un système de cohabitation singulier, face à l’ennemi, invisible, toujours là, quelque part au loin, et la tenue militaire sur mesure qui matérialise mon squelette – un liseré continu le long des épaules et des manches de ma vareuse immatriculée – me permet d’être immédiatement identifié, les regards croisant régulièrement le mien dans un salut à chaque fois silencieux et courtois, où les intentions réciproques relèvent de la phénoménologie, de l’instinct …

 Meursault ...

 Et dans ma tête, c’est un nouveau 18 Brumaire qui prend forme … 2013, année zéro de la littérature … Puis-je leur dire ? Formuler ce sentiment de manière directe ? Mais peut-être … le devinent-ils ? Soudain, l’un des narrateurs s’avance vers moi et me tend la main, comme si l’on ne s’était vus depuis longtemps. Les paroles de protocole n’ont pas cours, ici, et c’est presque dans le même mouvement que je lui dis :

 - La littérature a plus que jamais besoin de vous.

 - Vous croyez ?

 - Je ne le crois pas. Je le sais.

 - Et … quelle tactique employer ? Ils sont partout.

 - Une seule : le travail. Vous savez, le trepalium. L’esthétique du trepalium …

 Il me regarde attentivement, pendant que je poursuis :

 - La littérature a besoin de nouveaux héros.

 - De nouveaux héros ?

 - Oui. Ou si vous préférez, de nouveaux soldats qui conduisent la littérature au sommet, qui la transforment en héroïne. Qu’elle soit aussi belle et dérangeante que les Dieux. Ou que le soleil, que le disque et sa puissance calorifique qui brûlent, là, bien au-dessus de nous, en ce moment même …

 Dans le silence des tranchées, ma voix rajoute :

 - Il n’y a plus rien autour de nous. Il nous faut donc emplir l’espace vacant. Oui, emplir. C’est de la physique pure. Vous comprenez ? ».

 

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