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Dans l'extrême blancheur
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 Article publié le 15 avril 2013.

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Silence ! I kill you !
Ahmed, the Dead Terrorist
by
Jeff Dunham, ventriloquist

Le mot silence nous va mal, à nous les femmes.

Bien que forgé avec nos désirs, le sens qu’il charrie ne peut parvenir jusqu’à nous : il est en ce sens l’exact inverse de l’idée d’infini qui nous habite, quand bien même son ideatum la dépasse infiniment.

L’idée de silence s’écrase sur elle-même, elle fait grand bruit ou elle froufroute. C’est une idée d’hommes Une idée de caverne habitée, une idée qui manque cruellement de chaleur. Une idée qui ignore les vertus du foyer quand le feu dans l’âtre parle au ciel dans la chaleur de la maisonnée.

Candide ou sordide, elle correspond toujours à une gesticulation autoritaire : la demande impérieuse de silence, préalable obligé au dictare de la parole obsessionnelle du petit chef, du mari affolé, du psychopathe ou du prêtre. 

Imposer silence, faire taire afin d’imposer son propre bruit, sa propre fureur ou son discours retors.

Bruit encore, killing noise, of the out of style…

Le mot silence résonne depuis des millénaires comme un désir impossible à satisfaire, ne vous en déplaise, messieurs.

Un désir mémorable, vénérable même pour cette raison qu’il est impossible à satisfaire, mais après tout rien qu’un désir, non des moindres, certes, et léger et tendu comme une bannière multicolore brandie à l’orée d’une bataille rageuse qui s’annonce, dont l’issue, l’issue seule, serait à même de mettre en jeu, quelque jour, tant et tant de choses qui nous sont familières, une fois qu’elle les aurait confrontées à tant et tant de personnes inconnues.

Il vaut mieux détourner les yeux, et dans un geste d’infidélité, faire mine d’épouser du regard l’horizon qui s’offre à voir là, avant de l’abandonner une bonne fois pour ne voir résolument que cela : la terre des hommes vouée à l’impossible silence.

C’est que la parole prophétique n’est plus de mise. Il ne s’agit pas non plus de tomber dans le performatif d’un décret venu d’en haut ou de puissances instinctuelles sourdes ourdies par Dame Nature.

La parole libre ouvre un espace, certes, ouvert sur son autre, soit un espace qui ignore tout de la liberté juridiquement légitimée. Tensions et rapports de force sévissent dans ses parages difficiles à circonscrire. Ce n’est que franchie, transgressée, que la limite à ne pas franchir se fait cruellement sentir.

C’est le règne du pur arbitraire de la liberté confisquée qui s’exerce à sens unique, confiscation inspirée par la peur du dissemblable : il faut coûte que coûte préserver un espace de liberté sécurisé sur lequel l’autre ne peut empiéter sans être aussitôt réduit au même d’une parole rabaissée, comprise, intégrée dans un discours autorisé, soi-disant plus grand qu’elle.

 

Freedom for et non freedom from : l’instinct a sa partie à jouer dans ce flot d’être que menace le désir de silence.

 

Terre bavarde des hommes loquaces, terre parlante avant même toute présence humaine, si humble soit-elle.

Terre de femmes aussi bien, et la nuance est de taille, car enfin dans l’indécision de ce pluriel partitif, c’est une ambiguïté qui se dessine.

Ambiguïté qui n’appartient qu’aux hommes, ambiguïté qui leur revient, les obsède, les taraude, les creuse parfois jusqu’à la stupeur et les désenchante, pour peu qu’ils ne portent pas au cœur un amour plus grand qu’eux.

Parole disloquée.

C’est une ambiguïté qu’il faut leur arracher pour la jeter une bonne fois aux bêtes des montagnes.

Sur ces terres prétendues vierges poussent des roitelets qui s’ignorent, mais qui se cherchent.

Ces têtes couronnées tombent comme goutte d’eau à la fonte des neiges. Elles dégouttent des grands sapins attentifs qui veillent sur la vallée. Les ruisseaux grossissent, les torrents se réveillent, et bientôt leur grondement emportera jusqu’à leurs souvenirs.

Elles rouleront l’été dans la poussière des montagnes, mais leur fracas n’annoncera aucun orage, aucune image dignes de ces noms.

Le simple fait de fouler un sol nouveau suffit à en détruire l’absoluité. Le Même ne rencontre jamais que le Même, quoi qu’il dise et entreprenne.

Il manque à ces hommes de s’ouvrir à l’invagination douce qu’opèrent en nous les paysages sibyllins quand ils passent en nous dans le bruit du vent et la froidure de l’extrême blancheur.

Ca passe par les yeux qui cillent, la peau qui souffre et les oreilles qui bourdonnent.

Un froid polaire battu par les vents, dans l’extrême blancheur de la marche, voilà qui suffit à révéler à cet homme de bonne volonté, témoin ému de la scène, la vacuité du silence, la vanité de toute virginité et le bonheur de cette femme debout qui avance résolument dans le froid qu’elle empoigne en serrant ses bâtons de ski, énergie nomade qui passe dans ses jambes, rebondit dans ses chevilles et ses orteils et donne à toute sa silhouette cet allant incomparable de la bête fauve, ourse ou bien louve, biche ou renarde. 

Deux petite virgules noires foulent la neige balayée par les vents. Ca se passe dans le Grand Nord où le miel de la lune coule dans les yeux des femmes.

Ce n’est pas le silence, tant s’en faut. Cette force concentrée, emmitouflée se voue toute entière à la magie d’un paysage qui ignore toute mesure.

Elle s’appuie sur l’amitié du lieu et la solide fraternité humaine qui guide ses pas sur le lac gelé.

Elle sait que là, dans la puissance déployée de l’effort heureux, le silence n’est pas de mise ni non plus la parole habile : il s’agit de traverser le froid en lui faisant face.

Une fois rentrée, il sera temps de sourire, de se réjouir et de parler encore et encore en ignorant souverainement tout désir de silence maussade ou retors.

Jean-Michel Guyot

3 février 2013

 

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