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Article publié le 17 décembre 2012. oOo Et si c’était l’onde qui frissonnait, et non l’eau étale sur laquelle la pierre plate habilement lancée ricoche pour aller se perdre sur l’autre rive ? L’onde et l’eau, mais c’est même chose aux yeux de l’enfant au moment où l’aplat de sa pierre frappe la surface des eaux. Que tout se tienne en ce monde n’empêche pas d’en isoler les phénomènes. Ainsi donc l’enfance bariolée conjugue dans son jeu un mouvement de science et un allant de poète féru d’étymologie. Le monde et l’enfant, c’est, dans la prime innocence de la découverte de soi saluée par Hegel, l’enfant dans le monde, c’est aussi bien, dans sa jeune personne, l’enfance de l’art jetée dans le monde à portée de jet de pierre, c’est ici d’abord un fleuve ou un étang, une rivière ou bien un lac, et peu à peu, de jeu en jeu, de jet en jet, c’est le tout d’un vertige qu’engendre, de menus cercles en cercles de plus en plus larges, un jeu qui a pour enjeu un monde frissonnant qui n’emprisonne pas, jeté là à portée de voix, dévoilé à la force du poignet, et un décor sonore avec l’homme dans l’enfant et l’enfant dans l’homme pour énigme. Enigme vivante qui ricoche de siècle en siècle, ne meurt que de se consumer dans le feu des eaux chahutées pour renaître aussitôt que passe un enfant. L’onde est ce dérangement calculé des eaux courantes qui emportent avec elles les cercles concentriques, tandis que la pierre rectiligne, bondissant de cercle en cercle, se rend sur l’autre rive à la place de l’enfant. Etincelles des eaux qui se brisent, l’écho passant dans l’écho, mêlant dans l’éphémère amour la droiture rusée du jet aux circonvolutions irisées de l’onde emportée. Mission accomplie, cette fois encore. L’eau en frissonne d’aise, tandis que le lanceur encore jeune sent, longtemps après que le jet a jailli de son bras, la vigueur de sa force le parcourir de cette main naguère crispée sur le galet à l’épaule de l’homme en pleine possession de ses moyens que, par la force des choses, il est devenu. Le jet de pierres fixe l’enfant sur la rive alluviale, et le fleuve n’y pouvant mais, lui offre ses eaux en guise de miroir qui ne se fige pas. Sur ce terrain de jeu, l’enfant essaie ses jeunes forces, découvre l’élasticité du geste parfait, discipline l’onde facile qui part de lui pour atteindre l’autre rive en caressant le dos du fleuve. Il s’y voit grandir, et l’âge mûr venant, se découvre encore enfant chaque fois que l’envie lui prendre de lancer une pierre vers l’autre rive. C’est qu’il faut que le monde résonne, demeure ce dialogue qui chante à ses oreilles d’enfant qu’il sera toujours, quand il prend le peine de s’étonner, quand le temps, s’étonnant à travers lui d’être ce passant qui ne passe pas, s’affirme tout entier espace charnel où l’on serre des mains, échange des regards et des baisers et converse. Résolument, il lui faut cette ligne droite de la pierre pour que des cercles ondulent sur les eaux qu’il prend de vitesse dans un geste ample, sec et précis. Il arrive alors que le sourire radieux de sa mère lui revienne en mémoire, ondule délicatement quelques instants à la surface de l’eau verte caressée par les rayons du soleil. |
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