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La question du merveilleux / Gaston Leroux & Philip K. Dick
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Article publié le 6 novembre 2005. oOo On pourrait d’abord en conclure que le merveilleux est exclu d’office de tout bon roman. Car, si le merveilleux sert à résoudre des problèmes, le plus souvent posés par des intrigues mal ficelées ou trop bien ficelées pour demeurer longtemps crédibles, alors tout devient si facile que le métier même de romancier n’en est plus un ; il ne serait guère autre chose qu’une pratique, avec ce que cela suppose d’enseignement et de maîtres aux pouvoirs pédagogiques invérifiables sur, justement, le métier. La multiplication endémique des "ateliers d’écriture" témoigne assez de ce désir d’écrire des romans qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Ils sont en général entachés d’un merveilleux mâtiné de bonheur et chargé de résoudre des problèmes dont la gamme dépasse même le cadre de cette préface. Cette faune circonstancielle, qui associe le maître invérifiable à l’élève pressé d’en finir avec cette humiliation, n’est pas ici en jeu. Il s’agit plutôt de surprendre le romancier de vocation à la manière du Bêtisier de Flaubert. Au moment où la raison s’efface devant le merveilleux qui est en général d’une plus grande réalité, le texte prend la tournure d’un accès de folie, certes passagère, mais sans doute du plus grand intérêt. Si Leroux avait fait intervenir un personnage doté de pouvoirs surnaturels ou trop naturels pour être encore possible, il aurait eu le choix entre l’action et le rêve. Les poètes choisissent le rêve. Les hommes d’affaires préfèrent l’action, d’autant que celle-ci est toujours prévisible et qu’il suffit de "détails horribles" pour compenser l’incohérence et l’improbabilité des faits. C’est ainsi que l’on construit les meilleurs spectacles, politiques et autres. Mais certainement pas les meilleurs romans. Cependant, Leroux n’a pas fait le choix de l’action, ni celui du rêve. Il a choisi de romancer avec la raison et c’est la seule raison, "qu’il faut prendre par le bon bout", qui génère les péripéties, toute véridiques sans doute, mais aussi et surtout nourricières de ce qui n’est plus une intrigue mais une aventure du récit dans les raisons de penser. L’avantage de ce genre de roman, c’est qu’il peut donner des choses aussi lisibles et simples que "Le mystère de la chambre jaune", ou aussi lisibles et complexes que le "Tractatus ologicus". La poésie est la même : elle tient lieu de rêve et d’action sans sortir de la raison. On imagine que l’effort demandé au lecteur est la seule différence, dès lors, entre un texte "facile" et un texte "difficile". Et contrairement aux épopées mentales de Philip K. Dick, la difficulté n’est pas "intellectuelle"[7]. Elle ne consiste qu’en péripéties, en mémoire des contenus saturés de complications, de mésaventures, d’affabulations, etc. Où le roman demeure le lieu privilégié d’une action improbable ailleurs, et le spectacle des rêves si proche de l’hallucination que la raison elle-même en est ébranlée. A-t-on le droit de pousser le bouchon aussi loin que possible, n’est certainement pas la question que je me pose. Par contre, je peux répondre, pour ce qui concerne le "Tractatus ologicus", à celle de savoir si la raison va ou non être mise en demeure de se raisonner face à l’exigence de rêve. Chaque fois que le merveilleux est le fruit de l’écriture, de sa pratique et de sa connaissance, il entre dans le roman comme chez lui. Il n’arrive pas pour sauver le texte de la noyade. Il ne s’adresse pas non plus à des esprits incapables de concevoir autre chose que les "détails horribles"[8] de l’affaire en question. Certes, le spectacle du cadavre immobilisé dans la dernière tentative de vivre peut donner lieu à des effets calculés, comme on calcule savamment les postures pornographiques. Baudelaire bavait sur sa cravate en pensant au supplicié marchant vers le lieu de sa mort rituelle[9]. Pound pensait que la poésie de Baudelaire n’était qu’un chou pourri posé sur un sofa de délicat velours. L’effet est consistant. On ne peut pas le nier. De même que l’apparition d’une beauté sculpturale dans une conversation banale produit des frémissements que le texte ne peut pas ignorer sous peine de se détacher de la branche nourricière. On trouve encore de l’aventure spirituelle dans la scène où une beauté en bikini fait choir, peut-être métaphoriquement, les boules des pétanqueurs assemblés autour d’un pastis. Se donnent-ils en spectacle simplement pour appartenir au décor, être de ce monde, surprendre la femme au passage ? Les astuces ne dépareillent pas dans un récit. Elles sont le fruit et la graine de l’imagination. Le lit du texte est de ce côté de la vie, s’agit-il de ne pas l’oublier ? Mais il n’en reste pas moins que les effets ne doivent jamais trop s’éloigner du merveilleux dont ils sont la substance morte, celle qu’on recueille au réveil des pires ou des meilleures instances du sommeil et de la rêverie, nos deux machines à rêver au lieu de penser. Et chaque fois que le merveilleux, source des meilleures fantaisies, inocule ses effets de surprise à une action qui ne trouve pas son issue, on peut être certain qu’on a affaire à un romancier de pacotille[10]. Le principe est si simple que son application relève du génie. D’où la difficulté, les contournements notamment du roman contemporain à la mode, et les aveux d’impuissance qui se soldent par la fragmentation et la rupture. On est là au coeur même du sujet : si le roman ne glisse pas vers la farce, il prend le risque de se consumer par ce même bout qui lui sert de pompon pour attraper la raison. L’effet de tournoiement est inévitable. Il s’agit alors de ne pas trop fatiguer le lecteur par l’abus d’expériences. Avec "Aliène du temps", je n’ai pas hésité à conserver le texte tel qu’il s’est présenté à moi en l’écrivant ou du moins en tentant d’en écrire le flux par traduction simultanée. Mais "Aliène du temps" est un roman, alors que le "Tractatus ologicus" est une suite de romans. Il est maintenant nécessaire de parler des niveaux d’écriture...
LA VIEILLE DAME - C’est plus compliqué que je pensais...
L’AUTEUR - C’est exactement comme vous le pensez ! Je détaille un peu... c’est tout.
[7] Il est risible, Dantec, quand il se réfère au génie de Dick pour expliquer ses faillites littéraires ; profiteur des substances répandues par le maître, il en donne un spectacle sans doute destiné à ceux qui ne peuvent pas entrer ailleurs que dans son fortin mal intentionné. L’oeuvre littéraire n’est pas une croisade ; voir Barrès et Péguy, entre autres imbécillités nationales. Encore que chez Péguy, le poète surnage heureusement pour sauver l’homme du délire et du ridicule. [8] "Demandez les détails horribles !" crie le vendeur de journaux. Mais le lecteur qui refuse le journal est quelquefois celui qui accepte les mêmes détails dans des "oeuvres" plus à la portée de l’estime qu’il a de lui. [9] Il justifiait d’ailleurs ainsi la peine de mort. [10] C’est sans doute ce que veut dire Rinaldi à Houellebecq qui solutionne ses délires par des effets de science-fiction "américaine". Un comble ! Mais Dantec n’est-il pas "le plus américain de nos écrivains contemporains" ? Et le dernier Houellebecq n’est-il pas "le plus américain des romans de Houellebecq" ? Ce qui permet à une droite française tout de même très à droite de classer l’Amérique des États-Unis à l’extrême droite... Une démocratie à l’extrême droite ? Que le capitalisme demeure un problème pour l’humanité, soit. Le communisme n’aurait pas dû en être un... Mais les délires de la Presse sont aussi mauvais dans le genre que les romans qu’on veut nous faire acheter pour en jouir jusqu’à l’extase ! Le commerce du livre est devenu quelque chose de vraiment très compliqué. "Mon opinion politique ? Je n’en ai pas, mais avec le vote universel je dois en avoir une. Je suis républicain parce que j’estime que la société doit vivre en paix. La majorité est absolument républicaine en France, je suis donc républicain et d’ailleurs si peu de gens aiment ce qui est grand et noble qu’il faut un gouvernement démocrate. Vive la démocratie ! Il n’y a que ça. Philosophiquement je crois que la République est un trompe-l’oeil (expression picturale) et j’ai horreur du trompe-l’oeil. Je redeviens anti-républicain (philosophiquement pensant). Intuitivement d’instinct sans réflexion. J’aime la noblesse, la beauté, les goûts délicats et cette devise d’autrefois : "Noblesse oblige". J’aime les bonnes manières, la politesse même de Louis XIV. Je suis donc (d’instinct et sans savoir pourquoi) aristo. Comme artiste. L’art n’est que pour la minorité, lui-même doit être noble. Les grands seigneurs seuls ont protégé l’art, d’instinct, de devoir (par orgueil peut-être). N’importe ils ont fait faire de grandes et belles choses. Les rois et les papes traitaient un artiste pour ainsi dire d’égal à égal. Les démocrates, banquiers, ministres, critiques d’art prennent des airs protecteurs et ne protègent pas, marchandent comme des acheteurs de poisson à la halle. Et vous voulez qu’un artiste soit républicain ! Voilà toutes mes opinions politiques. J’estime que dans une société tout homme a le droit de vivre et bien vivre proportionnellement à son travail. L’artiste ne peut vivre, donc la société est criminelle et mal organisée. " Paul Gauguin - Cahier pour Aline. |
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