Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
Théâtre, Musique, Gravure, Misères, Erotisme...
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 27 mars 2004.

oOo

LE VIELLEUR DE CALLOT


Au graveur et peintre Jacques Callot
(1592-1635)

Quand aucune treille n’étanche
Mes soifs ô mes dives boutanches
Que j’étrangle tous les goulots
Je pense au vielleur de Callot

Quand la faim me tient sur la paille
Qu’elle dévore ma tripaille
La garce fait du bon boulot
Je pense au vielleur de Callot

Callot ton vielleur
Ne plaint pas sa peine
Callot ton vielleur
Egaie mes malheurs

Quand je pose près la fontaine
Mes alpargates ma futaine
Mon vieux soufflet et mon ballot
Je pense au vielleur de Callot

Quand je m’étends sur une grève
Qu’une vague entre dans mon rêve
Et me prend pour un matelot
Je pense au vielleur de Callot

Callot ton vielleur
Ne plaint pas sa peine
Callot ton vielleur
Egaie mes malheurs

Je porte aux nues deux dames l’une
Loue le soleil l’autre la lune
Un œil grand ouvert un œil clos
Je pense au vielleur de Callot

Quand ma triste loupiote en pince
Pour une gouape un gigolpince
Et que je gicle des calots
Je pense au vielleur de Callot

Callot ton vielleur
Ne plaint pas sa peine
Callot ton vielleur
Egaie mes malheurs

Quand je m’amuse à rendre l’âme
Que d’une haleine je déclame
Du Fort du Prévert du Boileau
Je pense au vielleur de Callot

Mon souffre-douleur à bretelles
Me déhanche et les gens martèlent
Le carreau gris sous cent falots
Je pense au vielleur de Callot

Callot ton vielleur
Ne plaint pas sa peine
Callot ton vielleur
Egaie mes malheurs

--------------------------

LA GEÔLE


Que voulez-vous que je vous dise
Les meilleurs d’entre-nous s’en vont
Les gros mots sont des friandises
Mais tout cela nous le savons

Voyez-vous plus rien ne m’étonne
De tout ce que font les humains
Le sang des hymnes qu’ils entonnent
Dégoutte sur tous les chemins

La vie la vie est ainsi faite
On s’habille de souvenirs
La Mort vient sur ces entrefaîtes
Et l’on sait à quoi s’en tenir

Je n’entends plus les philomèles
Ni les piafs dans ce bruit d’enfer
La troupe a des clous aux semelles
Des flingues des bonnets de fer

Que voulez-vous que je vous joue
J’ai mis un terme à mon pamphlet
La patrouille me couche en joue
Je suis au bout de mon rôlet

Pour quatre jours qu’elle a à vivre
Je laisse ma plume courir
J’en aurai feuilletés des livres
Pour apprendre à vivre à mourir

Je n’ai pas où poser ma tête
La planche me brise les os
J’ouvre ma porte à un quintette
Et je sommeille entre deux eaux

Les colombes et les arondes
Ne nichent plus dans mes récits
Une plume contre cent frondes
Et tout un avril s’obscurcit

Les rondes passent par mes songes
On vient pour la levée des corps
Mes poèmes mes beaux mensonges
Que de pas lourds dans vos décors

La musique des vagues flaque
Contre les murs de ma prison
Je prends mes cliques et mes claques
Je suis entre quatre horizons

---------------------


LE FORÇAT

Ô ma galère fantomale
Ma vague ma terzarima
J’entr’ouvre tes écrins tes malles
Je bois comme une eau baptismale
Sous ta houppelande hiémale
De pluie de neige de frimas

Quand traîne ta vogue estivale
Je prends le large pour des nuits
Pour des longues nuits médiévales
Sous des musiques ogivales
Je délie toutes tes cavales
Je goûte au plaisir de l’ennui

Quand tu tournes mes équipages
Rouillés piqués de goélands
Dans tes ressacs dans tes tapages
Je ne suis plus qu’un mousse un page
Je te dénude entre mes pages
Et tu largues tous tes galants

Sous ta guenille printanière
Je fane pensées et soucis
Ô ma payse buissonnière
Ma promise ma prisonnière
Ta fleur rouge à ma boutonnière
Je chante dans tous tes récits

Sous ta misaine au vent je brame
J’ai ton goulet et ton goulot
Quand ta marée brise ma rame
Ma guitare mes épigrammes
Je démêle ton mélodrame
Je perds le nord le caberlot

Quand tu m’enchantes sous ta frime
Que tu trottes jambe deçà
Jambe delà que tu t’escrimes
À me faire payer mes crimes
Que tu me tiens que tu m’arrimes
Je suis ton boulet ton forçat

----------------------

Ô MA MISÈRE

Ô ma Misère tes taloches
Ne font pas taire les lardons
Ces anges de la faridon
De la courtille de la cloche
Tout comme nous ont le bourdon

Ô ma Misère ma frangine
Qu’as-tu dans ton as de carreau
Pour lester ton poètereau
Une romaine une aubergine
Un trognon de chou trois poireaux

Ô ma Misère ma compagne
Huit jours sans pain sans violon
Sans bastonnade sont plus longs
Qu’une saison à la campagne
Qu’un siècle à tailler des moellons

Ô ma Misère mes cocardes
Me détournent de mes tourments
Et me rendent mes bons moments
Qu’un accordéon me rancarde
Et je serai du bâtiment

Ô ma Misère à nos lippées
Le gueux ne paie pas son écot
Une piquette un bon fricot
Et quelques onomatopées
Nous rions de tous nos chicots

Ô ma Misère ô ma pétasse
Dame du ciel gaie cendrillon
Belle Heaumière de Villon
Tes tétons deviennent tétasses
Lorsque je fends ton penaillon

Ô ma Misère j’en ai quine
De travailler mes tristes vers
Toujours en froid avec l’Hiver
Sous les lancinantes lansquines
De mettre l’Espérance au vert

Dans mes songes tu plies bagage
Tu m’abandonnes sur un quai
Et ficelée comme un paquet
Au bras d’un vieux tueur à gages
Tu t’estompes dans le frisquet

---------------------

 
LE PORTEFAIX

Un sac de cendre sur le dos
Jeûnes fournaises froids cilices
Je traverse des crescendo
De haine âme et cœur au supplice

Je cours mon vieux sax sur le dos
Mon sax mon sax mon saxophone
Les enfers les eldorados
Des Aphrodite aux Perséphone

Mon dictionnaire sur le dos
Au bras de mame Mnémosyne
Je vous laissse votre credo
Dans les pages des magazines

Mon stylographe sur le dos
J’arpente silences tapages
Chorals symphonies rasgados
Et je bois l’encre des cépages

Je peine un canon sur le dos
Un bon boulet dans chaque poche
Navarone Austerlitz Landau
Un grand soleil dans la caboche

Et cette cloche sur mon dos
C’est le bourdon de Notre-Dame
Qui me prend pour Quasimodo
Pour un voleur d’or d’orgues d’âmes

Et l’astre des nuits sur mon dos
Léger comme balle de plumes
Qui montre à l’aficionado
Ses terribles cornes d’enclume

Mon pesant atlas sur le dos
Sur le ventre chaîne et lunette
J’enjambe les monts les cours d’eau
Et je feuillette les planètes

La croix qui me brise le dos
De quel bois mort est-elle faite
Du pain du jésus de Morteau
Du vin Fi des lois des prophètes

Ma grosse barque sur le dos
Je passe dans vos tristes rondes
Primo pour un fou secondo
Pour le nocher de la noire onde

Et cette hotte sur mon dos
Père Noël dans les froidures
La décharge est un mikado
Et les montjoies des tas d’ordures

Et ce cadavre sur mon dos
Mes vieux copains le reconnaissent
Ils ont le leur comme un cadeau
Ce cadavre c’est ma jeunesse

Et cette échelle sur mon dos
Et cette canne des maraudes
Je cueille aux nues des péridots
Je gaule au bois des émeraudes

Et ce théâtre sur mon dos
Des falots des toiles des planches
Pauvre arlequin dans son rideau
Les nuits noires sont des nuits blanches

Et cette brebis sur mon dos
Qui me tient chaud dans la bourrasque
Quand ma garcette aux seins verdauds
Me plaque au plus gros de mes frasques

Et ce garnement sur mon dos
Jusqu’à la tombe je le porte
Do l’enfant dodo l’enfant do
Depuis longtemps ta mère est morte

Et cette malle sur mon dos
Souvenirs de toute une vie
Pleine de hi hi hi d’ah d’oh
De regrets de remords d’envies

Son dail son grand dail sur le dos
Son dail endeuille la féerie
La moisson le cante jondo
Le Temps nous jette à la voirie

-----------------------


LE SOUFFLEUR

Mon enfance s’est passée dans ces spectacles, assis à côté de mon père dans son « trou » de souffleur.
(Léautaud)

Entre ma cour et mon jardin
Que le revêche hiver émonde
J’en aurai parcouru des mondes
Des merveilleux et des immondes
Brisé des lampes d’Aladin

Recroquevillé dans mon trou
J’avais courbatures et crampes
Enfant fluet de bonne trempe
Ma voix aiguë passait la rampe
M’enfuir m’enfuir mais m’enfuir où

Je me mets comme l’as de pique
Je quitte un instant mon sarrau
Chemise à raies veste à carreaux
Cravate à pois un vrai poireau
Replanté dans le genre épique

Je m’entoile comme un moulin
A la barbe de Don Quichotte
Sa Dulcinée n’est pas manchote
De la langue Sancho chuchote
Rossinante a le boyau plein

Je me roule dans la farine
Dans les flots noirs d’un Waterman
Je règle un compte avec Hoffmann
J’ouate à mort ma wattwoman
Je m’engoue pour la Fornarine

Je m’empêtre comme un perdu
Dans mes ficelles dans mes cordes
Dans les fils blancs de mes discordes
Que faire des miséricordes
Des harts des hardes des pendus

Je m’enferme dans une armure
Sous clef de fa sous clef de sol
Dans mon antre mon entresol
Et j’effeuille des tournesols
Entre quatre murs de murmures

Je me nippe comme un milord
Au milieu des coquecigrues
Manchettes col queue de morue
Vernis canne opinion sur rue
Je ne plains ni l’argent ni l’or

Je me glisse dans des musiques
Faites de pièces de morceaux
De javas mortes de paso
Doble de débris de saxos
D’orgues d’accordéons phtisiques

Je me couvre comme un oignon
Et j’imprime sur mes pelures
Les fausses larmes des doublures
De mes vies et les gravelures
De mes trognes de mes trognons

Je passe un habit de vinaigre
Pour suivre les enterrements
Les mots me manquent par moments
Pour dénigrer allègrement
La Littérature et ses nègres

J’ai l’encolure d’un voyou
Je veux commettre tous les crimes
Pourvu qu’ils mènent à la rime
Je me harnache je me grime
Et je suçote des cailloux

Je me fringue dans vos prairies
Dans vos champs de choux de blé d’ail
Comme un terrible épouvantail
Pour esquiver les coups de dail
Les crachats les allégories

J’invente des contes violets
Des histoires des anecdotes
Du temps d’Hérode et d’Hérodote
Tandis qu’un Cassandre radote
Ou qu’une enfant pousse un galet

Je me vêts de velours vieux rose
Un vrai dandy un vrai gandin
Qui cueille dans tous les jardins
Secrets sous les bronzes -ondins
Sylphes- des joncs des jets des proses

Je m’accoutre comme un troupier
Entre deux grandes algarades
Je monte et je descends de grade
Je me pare pour la parade
Et je m’arme de cap en pied

Je prends mon masque de carême
Ma guenille en papier jésus
Je tiens des propos décousus
Vous vous ne m’avez jamais eu
Pipeurs de dés brouilleurs de brèmes

Sous les feux sous les vers croisés
Mes arpions chaussés à l’ancienne
L’un dans la fosse musicienne
L’autre dans la nuit vénitenne
Pensent J’en suis crétinisé

Je souffle trente-six chandelles
Sous les coups durs des brigadiers
Je suis gueux roi hallebardier
Servante soldat brelandier
Ecrivasseur rapin modèle

Que jamais comme ces auteurs
Nus sous la mise misérable
Le fouet la trique sur le râble
Je ne fasse amende honorable
Sous les huées des spectateurs

Quand je m’affuble d’une fable
Las d’affûter mes arguments
Las de jouer l’époux l’amant
La dame je souffle un moment
La Fontaine était-il affable

Je décapelle ma vareuse
Je n’irai plus courir les mers
Les flots doux ni les flots amers
Loin des phares loin des amers
Je sèmerai ma terre heureuse

Qui dit que je change d’avis
Comme de drap comme de grolles
Et que je tiens mille paroles
Aux papiers peints aux casseroles
Que je me meurs que je revis

J’habite la bosse d’Esope
Les cabotins les bateleurs
Me nomment le souffle-douleur
J’essuie les rires et les pleurs
Entre mon cèdre et mon hysope

--------------------------------

LA CHANSON DES PAUVRES GENS

I


On dit ici que nous vivons
Aux crochets des anges de grève
Que nous nous enivrons de rêves
Un pied dans la caisse à savons

Là-bas que nous battons la plaine
Gelée bras dessus bras dessous
Que sales comme de vieux sous
Nous prions Marie-Madeleine

Nous nous sommes les pauvres gens
La faim nous tord le froid nous pèle
Dieu est pour les grandes chapelles
Et l’argent appelle l’argent
Nous nous sommes les pauvres gens
Nous recevons au cul la pelle

II


Nous attendons en rang d’oignons
Par tous les temps l’eau à la bouche
Aux guichets où l’on sert des louches
De bouillon gras et des quignons

Les malheureux sont seuls au monde
Ne sont-ce pas là vos propos
Vous enragez dans votre peau
Quand nos bouteilles font la ronde

Nous nous sommes les pauvres gens
Traîneurs de quarts et de gamelles
Crépin répare nos semelles
Pour les grands jours de la Saint-Jean
Nous nous sommes les pauvres gens
Avec un coeur sous la mamelle

III


En chiffons vous avez l’air da-
Moiselles de vous y connaître
Jetez l’argent par vos fenêtres
Qui argent a sérénade a

La fille du pisse-vinaigre
Qui lâchera le plus l’aura
Vous n’y comptez pas miséra-
Bles bigleux boiteux bossus nègres

Nous nous sommes les pauvres gens
Les violoneux des fiançailles
Dieu n’a pas d’yeux pour la gueusaille
Et l’argent épouse l’argent
Nous nous sommes les pauvres gens
La vile ivraie l’âpre broussaille

IV


Si les biens viennent en dormant
Que ne ronflons-nous sur le manche
Nous voyez-vous mis en dimanche
Paraît-il le proverbe ment

Chantez ce que d’autres chantèrent
Aux pauvrets un oeuf vaut un boeuf
Une guenille un habit neuf
Ah vous feriez mieux de vous taire

Nous nous sommes les pauvres gens
C’est nous qui sur les terres mornes
Prenons les charrues par les cornes
Et l’argent achète l’argent
Nous nous sommes les pauvres gens
Notre patience a des bornes

V


Le temps c’est de l’argent -time is
Money- Dites serons-nous riches
Pesez justement nos bourriches
Mère des Heures ô Thémis

On la dirait mangée des mites
Comme ses fidèles amants
Pincez-la fraternellement
La misère n’est pas un mythe

Nous nous sommes les pauvres gens
Epouvantails à chènevières
Nous recevons les étrivières
Et l’argent épargne l’argent
Nous nous sommes les pauvres gens
Entre la corde et la rivière

VI


L’argent n’a pas de queue dit-on
Par bonheur les rats en ont une
Dans la grand’roue de la Fortune
Un aveugle met son bâton

L’argent n’a pas d’odeur pardine
Vous l’affirmez à tout venant
Il pue la sueur des manants
Des baladins des gourgandines

Nous nous sommes les pauvres gens
Dieu voulut -que la terre est basse-
Que nos ancêtres se courbassent
Dieu qui panse vos plaies d’argent
Nous nous sommes les pauvres gens
A l’eau tiède des calebasses

VII


Qu’emporte le plus aisé d’en-
Tre-vous en passant le dernier tome
De sa vie son drap de fantôme
Ses chicots et ses fausses dents

Avant de mourir sur la paille
A peine humide du château
A la table du roi Pétaud
Toute la pouillerie ripaille

Nous nous sommes les pauvres gens
Qu’y pouvons-nous les armes saignent
Et les étendards bénits ceignent
Les caporaux et les sergents
Nous nous sommes les pauvres gens
Tous logés à la même enseigne



LE CHANTRE ENCHAÎNÉ

Un poète est un monde enfermé dans un homme. 
Victor HUGO

Je m’aventure dans des contes
Dans des fables dans des romans
J’y joue j’y tue j’y meurs j’y mens
Je m’y désenchante à bon compte

Côté cour et côté jardin
Je décoche des épigrammes
J’épice à ma mode les drames
Je fais la joie des baladins

J’entre à cloche-pied dans des rondes
Je laisse mes tristes rondeaux
Je ne sens plus mon lourd fardeau
J’oublie mes printemps sans arondes

Aux moulins j’apporte mes seaux
Aux fontaines mes grandes odes
Mes fleuves gris mes épisodes
Mes rus mes murmurants ruisseaux

Je marche dans une ballade
Au bras d’une Grisélidis
Les belles dames de jadis
Mettent mon cœur en marmelade

L’amour s’en vient l’amour s’en va
L’amour toujours est en réclame
Je brode des épithalames
Sur un fond sombre de java

Je pleure sur vos élégies
Pierre Ronsard André Chénier
Les fleurs poussent sur les charniers
Et sous nos semelles rougies

Sans peur des rats ni des ragots
Je traîne dans des rhapsodies
Pour nourrir mon bel incendie
J’ai du vin rouge et des fagots

Je vague dans des odyssées
En quête d’un eldorado
Ma guitaronne sur le dos
Et sur la lèvre une pensée

La rote accompagne mes lais
Et j’empoisonne l’existence
Des muses folles de mes stances
A leur sein je suce un doux lait

Je titube dans l’épopée
Je meurs de la mort de Roland
Un cor au pied un coup au flanc
Je bois ma dernière lampée

Je cours dans mes rêves d’enfant
J’y retrouve une sonatine
Une berceuse une comptine
Et la plainte d’un olifant


PRIÈRE DANS LA RUE DU MONDE

Savez-vous la Chanson des gueux de Richepin
Nous l’égrenons souvent sous les sourdes rosaces
Ô Dame le bon Dab ne prête qu’aux rupins
Il ne se soucie pas des porteurs de besace

Nous les lazzaroni les loqueux les quémands
Nous nous pouvons crever l’œil blanc la gueule ouverte
Mais la Misère ô joie tance le firmament
Aux apôtres aux saints tire sa langue verte

Ô Dame taillez-nous de fabuleux habits
Dans les toiles de fond de quelque opéra bouffe
Donnez-nous des décors To be or not to be
Nous sommes comédiens toute la troupe pouffe

Plus belle que jamais dans sa chiffe à flou-flou
Ô Dame vous savez quand la Mort se rapplique
Nous lâchons des heu heu entre de longs glouglous
Et comme des dadais nous mâchons nos répliques

Les nantis les comblés n’ont pas pitié de nous
Dame Jeanne voyez nos habits du dimanche
Troués au cul lustrés aux coudes aux genoux
Ô faites que sa faux ne branle pas au manche

Dame Jeanne arrosez nos repas de brebis
De lacryma-christi pour assoupir nos quintes
De toux et nos hoquets pour mollir le pain bis
Pour mettre des folies dans notre coloquinte

Ô Dame Jeanne ayez pitié de nos boyaux
Faites-leur souvenir du pivois de Falerne
De Cécube d’Asti des crèmes de noyaux
Des vignes du Midi dans ce vent de galerne

Dame Jeanne voyez la corne de nos mains
Le sang noirdenospiedsdansce bourbier immonde
Sanslunessans soleils sans hiers sans lendemains
Nous sommes les forçats de cette rue du monde

Ô Dame Jeanne ayez pour nous mille bontés
Vos bécots vos douceurs vos airs nous affriolent
Laissez-nous plus souvent prendre des privautés
Nous vous paierons en pleurs en cris en cabrioles

Dame nous aimons mieux une boutanche un quart
Un dé de mauvais vin qu’un grand panier de poires
Voyez nos bleus nos plaies nos bosses nos cocards
Dame pardonnez-nous nous ne savons plus boire

Ô Dame donnez-nous les rouges du couchant
Le rouge du corail le rouge de la flamme
Et des coquelicots le rouge de vos chants
Rudes ou gouleyants et le rouge de l’âme

Le rouge des pressoirs le rouge des pavots
Les rouges automnaux ramassés à la pelle
Le rouge des baisers le rouge des gavots
Le rouge des vitraux de la Sainte-Chapelle

Nous les pauvres pécheurs un de ces quatre hivers
Nous débarrasserons le vieux plancher des vaches
Et nous engraisserons les herbes et les vers
Dame priez pour nous les gueusards les gavaches

Nous voyons du pays que par votre goulot
Nous léchons énasés les cruelles vitrines
Et là nous remuons des tonnes de pélots
Une crierie de joie écorche nos poitrines

Ô Dame Jeanne ôtez votre robe d’osier
Montrez-nous vos appas vos merveilles vermeilles
Rincez le mauvais œil et le méchant gosier
Et qu’enfin le charroi des villes s’assommeille

Ô Dame accordez-nous comme des violons
Ne laissez pas en plan vos polisseurs d’asphalte
Vos useurs de pavés qui vous en disent long
Sur l’enfer d’ici-bas à leurs petites haltes


L’INTERROGATOIRE

Je traverse des villes, des villages -villanelles, olivettes, sabotières, valses, forlanes- ; je traverse des pays -fandango, habanéra, mazurka, mambo, paso doble, tango, fox-trot-. Quatre mains m’empoignent, m’arrachent du banc de bois, me secouent, me poussent dans un escalier aux marches étroites et sonores, me sanglent dans un fauteuil geignard flottant dans un nuage de lumière brumeuse ; Je traverse des paysages -dunes, grèves mornes, neiges, arbres morts, châteaux, épaves, ruines, forêts, soleils éblouissants- ; je traverse des visages -routes, déroutes,rives, étangs, pluies, voiles, champs de blé, de lavande- ;.je traverse des voix -fêtes, angélus, déserts, sanglots, rires ; je flâne entre des décors ; je détaille les accessoires et les costumes, j’échange avec mes doubles, mes doublures, mes personnages des bribes, des débris de phrases, des cris, des hurlements, des onomatopées...J’endure de violents éclairages....J’entends les bruits sauvages et caressants de la mer, des bruits portuaires, des pianos, Debussy...J’entends des grésillements, des tintements, des pas cloutés... "Vous croyez que nous nous salissons de gaîté de cœur ? Nous avons vos albums de photographies... Nous avons vos écrits... Nous avons vos bandes magnétiques... Nous n’avons pas besoin de vos aveux... Nous sommes simplement payés pour être curieux... Nous travaillons à l’ancienne dans notre débarras ; des poulies, des tessons de bouteilles, du fil électrique, un petit maillet, des pinces, quelques entonnoirs, un tuyau en caoutchouc de six mètres, une canule..." J’ entends des vaguelettes, des pianos, Debussy, et quant aux demandes et aux réponses des deux masques, je me pose des questions.


LES RACCOMMODEUSES DE FILETS

A l’ombre tiède des figuiers, on dit que les chiennes impétueuses de delà l’eau détraquent les cervelles et gâtent le sang ; on dit que des goîtreux, des pieds bots habitent les flancs arides de la montagne ; on dit que ces infirmes expient la faute de l’un de leurs ancêtres qui échoua sa barcasse sur le continent ; on dit que l’île, dans le temps si boisée, si fleurie, si fructueuse, n’est plus qu’une terre impie, impitoyable, ingrate, stérile ; on dit que, certaines fois, les femmes enfantent dans de grandes douleurs des lambeaux de chair ; on dit que les sources empoisonnent les troupeaux ; on dit que des revenants s’embusquent dans les ravins et dans les grottes ; on dit que, l’hiver, des traces de feux et de pas creusent le sable gris des criques ; on dit que les chants de la mer, autrefois si mélodieux, si prenants, si colorés, si odorants, délabrent les toits et les toiles ; on dit que les mouettes ne se posent, ne se reposent plus sur le môle.

A l’ombre tiède des figuiers, on parle aussi de choses et d’autres...

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -